Dans nos sociétés, la vie est devenue la valeur suprême, la plus sacrée, et en même temps, certains souhaitent pouvoir en sortir quand ils considèrent qu’elle est accomplie, que la prolonger la dégrade. Le philosophe François Galichet analyse ce paradoxe dans son livre Qu’est-ce qu’une vie accomplie ? (Ed. Odile Jacob).
Qu’est-ce qu’une vie digne et digne d’être vécue ? Quel sens lui donnons-nous ? Qu’est-ce qui fait sa qualité et son intensité ? Quand peut-on dire de sa vie qu’elle est accomplie ? Ces questions résonnent beaucoup en ce moment et nous concernent tous.
François Galichet met en balance deux représentations de la vie. On peut la tenir pour un bien absolu à préserver à tout prix. On peut aussi l’envisager à la manière du peintre ou de l’écrivain, comme une œuvre dont on est l’auteur, que l’on peut façonner dans la mesure où l’on est maître de soi.
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Tout démarre par une enquête que François Galichet effectue auprès de personnes qui se sont procuré, via internet, le moyen de décider de l’heure et du jour de leur propre mort, sans douleur ni violence.
Un pouvoir sur la mort qui permet de mieux aimer la vie
Les résultats de l’enquête l’ont surpris : il pensait que leur motivation première était d’échapper aux souffrances en fin de vie. Or ces personnes déclaraient que cela les rassurait bien sûr par rapport à une vie douloureuse éventuelle, mais surtout que cela leur permettait de mieux vivre dès maintenant leur vie présente. Ils exprimaient un immense soulagement à l’idée de ne pas finir grabataire sur un lit d’hôpital, de mieux vivre les plaisirs et les joies de la vie présente, de vivre dans la paix et la sérénité, de vivre plus fort.
Pour d’autres, il était plutôt question de fierté, du sentiment d’avoir fait quelque chose de difficile pour être fidèle à ses convictions.
Pour d’autres encore, le rapport aux autres, à leur famille, à leurs amis, avait changé : ils parlaient plus librement avec eux de la possibilité de choisir leur mort et en tiraient une paix intérieure.
"On voit ainsi que cela dépasse de beaucoup le cadre habituel dans lequel on situe la question de l’euthanasie et du suicide assisté."
Le fait de pouvoir décider de sa mort amène ainsi à mieux s’accepter soi-même et surtout à dialoguer avec soi-même. On peut parler d’une responsabilisation, d’un pouvoir nouveau mais qui oblige à une plus grande vigilance, celle de scruter sa vie en permanence pour juger si elle vaut ou non la peine d’être vécue. Il faut pour cela clarifier ses critères de jugement, ses valeurs et ses priorités. Cela implique une grande lucidité par rapport à sa vie.
"Ce pouvoir sur la mort fait mieux aimer la vie. La mort à la fois est dédramatisée et en même temps elle peut attendre : je ne la crains plus, je n’ai plus l’angoisse de la mort, je peux mieux aimer les choses qui m’adviennent."