CQFD, Ce Qui Fait Débat, en mode grand entretien : 25 minutes quotidiennes avec un spécialiste, pour vous aider à mieux comprendre/vivre la crise du coronavirus, mais aussi pour vous permettre de poser VOS questions (via l’adresse mail cqfdrtbf@rtbf.be). Notre invité, ce vendredi: Isabelle Ferreras, maître de recherche au FNRS et professeure de sociologie à l'UCLouvain.
Comment la crise impacte le travail? Beaucoup de lignes ont bougé depuis le début du confinement: il a fallu s'adapter pour respecter les mesures de distanciation sociale, le télétravail s'est imposé quand il était possible, la liste des secteurs essentiels a été revue, etc. Et certains métiers - pourtant mal valorisés - se sont révélés plus essentiels encore: infirmiers, aide-soignants, transporteurs, personnel d'entretien, caissiers... Des emplois que la crise n'a pas mis sur pause, au contraire.
Il va falloir revaloriser ces postes subalternes dont nous sommes absolument dépendants
Pour Isabelle Ferreras, qui a consacré sa thèse au métier de caissières de la grande distribution en Belgique, "cette crise permet de prendre la mesure du dévouement de nombreuses personnes au travail et qui donnent le meilleur d'eux-mêmes, pour que nous puissions tout simplement survivre [...] Aujourd'hui, il y a une reconnaissance du travail qui est fondamental, et un appel à plus de justice redistributive, plus de revalorisation salariale. Il est évident qu'il va falloir revaloriser ce qu'on a considéré comme des fonctions subalternes avec des bas salaires, alors que nous sommes absolument dépendants de ces fonctions".
Mais la justice redistributive ne suffit pas, selon la chercheuse, la justice démocratique doit aussi intervenir. "Notre modèle économique actuel a considéré qu'on pouvait traiter le travailleur comme une marchandise, une ressource, le payer pour ses heures de travail, sans considérer qu'il s'agit aussi d'un citoyen, égal en dignité et en droit [...] Cela touche au cœur de la manière dont on organise nos entreprises", explique Isabelle Ferreras.
Comment démocratiser l'entreprise?
Il faudrait, selon elle, reconnaître les travailleurs comme "partie constituante" de l'entreprise et leur accorder les droits politiques qui en découlent. "Sans cette partie constituante, il n'y entreprise, ni service, ni production, or les travailleurs sont tenus à l'écart du gouvernement de l'entreprise, ce qui pose problème", poursuit-t-elle.
La crise économique qui s'amorce devrait être l'occasion de passer d'une économie aux mains des détenteurs de capital vers une économie aux mains des investisseurs en travail. Isabelle Ferreras plaide aussi pour une garantie d'emploi pour tous, avec la possibilité pour chaque citoyen de bénéficier d'un emploi décent, d'un revenu juste, et de contribuer à rencontrer les besoins non-remplis par le marché.