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Féminicide et double infanticide à Awans : "Ne pas occulter la violence masculine"

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Ce 28 février, un père a tué sa femme et ses deux enfants de 12 et 15 ans avant de se suicider à Awans. Depuis, on a vu émerger de nombreuses tentatives d’explications de cet acte, notamment celle du "suicide altruiste".

"C’est cette idée d’homicides altruistes qui serait de considérer qu’à partir du moment où j’ai tué la mère de mes enfants et que je compte me donner la mort, l’avenir des enfants et la souffrance qui va en découler pour eux est insupportable", explique notamment Serge Garcet, professeur à l’ULiège en Criminologie, expert en victimologie. "Et je ne peux pas, puisque j’aime mes enfants, leur infliger cela. Et donc à ce moment-là, le fait de les tuer, ce qui peut évidemment paraître paradoxal, peut aussi se comprendre dans une logique de protection, d’évitement de la souffrance pour les enfants."

Cette notion de suicide altruiste est-elle adéquate dans ce cas-ci ? Marie Denis, co-fondatrice de l’Observatoire des violences faites aux femmes et intervenante au sein du refuge Solidarité Femmes, pointe les dangers de l’utilisation d’une telle expression. "L’idée que l’on tue pour protéger est une idée aberrante. On attribue aux pères des motivations de protection au travers d’un acte d’infanticide. Cela évacue la dimension socio-politique de ce féminicide et de ces infanticides. Cela revient, en fait, à psychologiser les faits et à trouver des excuses au meurtrier. On trouve beaucoup moins d’excuses aux mamans qui tuent leurs enfants, je pense par exemple à la médiatisation impitoyable de l’affaire Geneviève Lhermitte", explique-t-elle.

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Contrôle et domination

Une lettre aurait été trouvée dans laquelle l’auteur des faits explique ne pas supporter la rupture du couple. "Si on s’intéresse au fond du problème des féminicides, on découvre que ce sont des hommes qui ne supportent pas de perdre le contrôle sur leur conjointe. La séparation est d’ailleurs un moment particulièrement à risque pour les femmes, nous expliquait Josiane Coruzzi, directrice de Solidarité Femmes à La Louvière. "[…] ces actes s’inscrivent dans un contexte de domination. Le dominant ne supporte pas de perdre l’objet de sa domination. Ce n’est pas “je ne supporte pas de vivre sans toi”, c’est plutôt : “je ne supporte pas que tu vives sans moi” "

Dans cette affaire, Marie Denis abonde en ce sens : "L’analyse du suicide altruiste évacue la dimension première des dynamiques de violence intrafamiliale à savoir la prise de contrôle et la domination qui peut amener l’agresseur à aller jusqu’au féminicide et à l’infanticide et ce afin que ni "sa" femme ou "ses" enfants ne puissent continuer à vivre sans lui en cas de séparation. Cela fait partie du continuum des violences faites aux femmes."

Elle poursuit : "Il faut souligner le fait que l’utilisation de ces expressions vient minimiser l’acte en lui-même, permette de développer une forme d’empathie pour le tueur ce qui revient à occulter la violence masculine. Dans la majorité des cas, le meurtre d’un homme sur une femme, un féminicide, survient au sein d’un couple qui se sépare. Cet acte de donner la mort à une femme et à ses enfants relève d’une logique de domination et non de protection."

"Ces enfants risquent aussi leur vie"

En 2021, les associations féministes de terrain avaient compté 6 enfants tué·es dans un contexte de violences conjugales. “Dans ces cas-là, les pères tuent les enfants pour faire du mal aux mères. On le sait parce qu’ils laissent des sms ou des textes qui le disent. Pour les atteindre, ils leur prennent ce qu’elles ont de plus précieux dans leur vie, leurs enfants. C’est pour ça qu’il est important pour nous que les enfants témoins de violences conjugales soient considéré·es comme des victimes, au même titre que leur maman. Car ces enfants risquent aussi leur vie. Il faudrait donc les intégrer aux campagnes de sensibilisation sur les violences conjugales et que cela soit pris en compte par les services d’aide à la jeunesse et les tribunaux”, soulignait pour Les Grenades Céline Caudron de l’association Vie Féminine.

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En janvier 2021, Kevin V. s’était jeté avec sa fille de 6 ans du viaduc de Vilvorde et avait rédigé des messages sur Facebook expliquant ne pas supporter sa rupture avec la maman de la petite fille. Début février 2022, Luca Pisciotto, 22 ans, était tué à coups de couteau par son ex-beau-père. Le jeune homme de 21 ans s’était interposé pour défendre sa mère lors d’une tentative de féminicide. Depuis le début de l’année 2022, les associations de terrain ont déjà recensé 7 féminicides dans notre pays.

Sujet JT du 28/02/2022

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