Pour le secrétaire général de la FIJ, l’intérêt de la vidéo incriminée aujourd’hui, "et qui compte des millions et des millions de vues", souligne-t-il, est qu’elle "montre tout simplement en direct l’assassinat de civils, et deux journalistes en Irak en 2007 […] que les Etats-Unis, l’administration américaine pour être précis à l’époque, peut être accusée de crimes de guerre. Il y a eu 18 morts, il y a eu des enfants qui ont été blessés… Et deux journalistes de Associated press comme on l’a écrit à plusieurs reprises… Cela a une véritable valeur informative. Avant Wikileaks, avant Julian Assange, personne n’avait eu connaissance de cette information qui est absolument infâme."
On l’aura compris : au cœur des débats, se trouvera la question de savoir si Julian Assange mène des activités journalistiques, qui doivent être protégées comme telles.
Pressions, écoutes… Des moyens extraordinaires qui posent question
Devant le tribunal, l’Australien de 49 ans est apparu pour la première fois publiquement depuis février. Ses proches le qualifient de très affaibli, physiquement et psychologiquement.
Julian Assange est actuellement emprisonné à la prison londonienne de haute sécurité de Belmarsh, où ses conditions de détention ont par ailleurs été dénoncées par le rapporteur de l’ONU sur la torture.
Durant ce procès, les avocats de Julian Assange tenteront aussi de prouver que le fondateur de Wikileaks a été victime d’actes illégaux. Pendant son séjour forcé dans les bâtiments de l’ambassade équatorienne à Londres, Julian Assange aurait fait l’objet d’écoutes illégales de la part d’une firme espagnole. "Cette forme espagnole a transféré aux Etats Unis une série de ses données, d’écoutes directement de conversations privées de Julian Assange et de conversations avec ses avocats, explique Marc Molitor. Rien que cela, c’est déjà un motif d’invalidation de la procédure."
Les autorités américaines chercheraient par tous les moyens à étoffer un dossier qui, selon Marc Molitor, est plutôt fragile. Si Julian Assange est considéré comme journaliste par la justice, il sera difficile de justifier des poursuites, même devant des cours américaines. Pour ce connaisseur de l’affaire, les pressions engagées par les autorités américaines contre Chelsea Manning, la soldate qui avait fourni les documents incriminés à Wikileaks, sont symptomatiques. "Bradley Manning devenu entre-temps Chelsea Manning, qui a été repéré par le FBI, interpellé, arrêté, et qui a été condamné et a purgé sa peine. Juste avent qu’il ne sorte de sa charge, Barack Obama l’a graciée. Après quoi elle a été réinterpellée, réarrêtée pour lui faire avouer une sorte de conspiration entre elle et Assange dans le cadre de l’obtention illégale de ces documents et de leur diffusion… "
Aujourd’hui, Chelsea Manning a été remise en liberté, mais pour Marc Molitor, il s’agit bien d’une entreprise de pression, pour pallier un dossier qui "comporte une série de failles juridiques sérieuses".
Un personnage controversé, un journaliste critiqué
Si la justice britannique accepte la demande d’extradition formulée à son encontre par les Etats Unis, Julian Assange encourt donc de longues années d’emprisonnement. Il pourrait être jugé pour 18 chefs d’inculpation, à savoir 17 au titre de la loi relative à l’espionnage et un chef d’inculpation au titre de la loi relative à la fraude et à la délinquance informatiques. C’est le premier éditeur à être inculpé au titre de la loi relative à l’espionnage.
Si, de par le monde, Julian Assange est aujourd’hui défendu par plusieurs ONG et associations de journalistes, ces prises de position en sa faveur n’étaient, il y a quelques années, pas légion.
L’homme a été au centre d’une procédure judiciaire initiée par la justice suédoise pour des faits présumés de viol. Cette procédure est terminée aujourd’hui, sans qu’il ait été finalement accusé. Mais elle a durablement terni l’image du fondateur de Wikileaks auprès du grand public.
Des accusations d’immixtion dans la campagne électorale américaine de 2016 ont aussi été portées contre Julian Assange et contre son site lorsque ce dernier avait publié des échanges de mails de la candidate démocrate Hillary Clinton, ce qui lui a valu nombre de critiques après la défaite de cette dernière face à son concurrent républicain, Donald Trump.
Ses méthodes ont aussi été durement jugées par les médias journalistiques. "Il y a aussi des médias qui l’ont critiqué en disant il ne fait aucun tri, il balance toutes les informations. Cela a été vrai dans certains cas, admet Anthony Bellanger. Mais c’est faux pour d’autres. Tous les journalistes dignes de ce nom doivent se remettre en question. Il y a eu des erreurs, il les accepte et il est prêt à les corriger. Et il est prêt à admettre qu’il ne doit pas en recommettre", ajoute le secrétaire général de la FIJ.
Et Anthony Bellanger d’insister : ce procès en extradition est central. "Il y a d’abord l’enjeu pour l’homme, puisqu’il est malade, sa santé est fragile. Et si demain cet homme est extradé vers les Etats-Unis, n’importe quel journaliste peut demain être extradé vers un pays si le contenu de l’article du son ou du reportage qu’il a fait ne convient pas au pays en question. C’est un vrai danger pour toute la profession demain. On est sur une question de principes", appuie-t-il, des questions qui seraient contraires à l’article 19 de la déclaration des droits de l’Homme des Nations Unies, qui consacre la liberté d’opinion et d’expression.