Fatima descend du train. Elle vient d’Anvers, où elle est aide-soignante aux urgences d’un grand hôpital. Fatima, c’est une maman de trois enfants. Abdallah, Z. et K. L’aîné est mort en Syrie, dans une prison kurde, épuisé par ses blessures et un diabète mal soigné. Il avait 25 ans. Il était combattant pour l’organisation terroriste Etat islamique.
"Il est parti le jour de son anniversaire, il venait d’avoir 18 ans. C’était en 2013. Il m’a laissé une lettre en m’expliquant qu’il allait 'aider les Syriens'." Il était endoctriné. Très vite, il a été blessé, et comme il était inutilisable pour l’Etat islamique, ils lui ont demandé de menacer la Belgique. Pour ces menaces, Abdallah a été condamné à 10 ans de prison par l’Etat belge, et déchu de sa nationalité. "Abdallah était un enfant joyeux, serviable. Et d’ailleurs là-bas, on le surnommait le djihadiste joyeux", détaille sa mère, sans se douter de l’effroi que ces deux termes accolés peuvent susciter.
Comme près de 650 autres jeunes Belges, Abdallah est parti sans crier gare, sans crier guerre. Il s’est glissé dans une faille géopolitique, laissant une famille effarée. Fatima ne l’excuse pas. "Il y a eu du lavage de cerveau, je n’ai rien vu venir, parfois il s’habillait en djellaba, c’est tout."
Là-bas, il a eu deux enfants. Huit fois on a annoncé sa mort à Fatima. La neuvième fois, c’était vrai, c’était il y a un mois. Epuisé par un diabète, faute d’insuline, Abdallah a succombé dans une prison kurde. Il a eu le temps de dire à sa mère et à la Belgique qu’il regrettait.
Retissons du lien
Fatima a rejoint un groupe en Belgique. "Retissons du lien" réunit des victimes du 22 mars et des parents de jeunes partis en Syrie, séduits par l’idéologie djihadiste. Dans ce groupe, elle a rencontré Sophie, la maman d’une rescapée des attentats de Maelbeek.
Sophie raconte (extrait d’un livre à paraître aux éditions "Les Cerisiers", ndlr) : "Je te rencontre dans les heures chaudes d’un après-midi d’été, Fatima. J’ai rejoint le projet initié par Isabelle Seret et Vincent de Gaulejac qui ont eu l’audace d’inviter à se rencontrer des proches de jeunes radicalisés et des personnes victimes ou proches de victimes des attentats. L’objectif étant de travailler sur 'ce qui nous rassemble, de chercher d’autres manières de faire société, au-delà des différences, des divergences et des traumatismes'".
Nous alignons des fragments d’humanité