Guerre en Ukraine

Famine et guerre en Ukraine : la spéculation est "l’explication essentielle" de la hausse des prix, selon Olivier De Schutter

Olivier De Schutter

© BELGA PHOTO BENOIT DOPPAGNE

Alors qu’avant le début de la guerre en Ukraine il y avait 150 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë, elles sont aujourd’hui 280 millions, explique Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté, interrogé sur La Première. A cela s’ajoutent, dans une série de pays, "des conflits, des ruptures climatiques, une dette qui les empêche d’acheter des produits alimentaires à des prix exorbitants qui résultent de l’affolement des marchés. Dans ces pays (comme l’Ethiopie, le Sud-Soudan, le Nigéria, le Yémen, l’Afghanistan, la Somalie), le risque de famine se précise d’heure en heure. Malheureusement la communauté internationale n’a pas les moyens de réagir et il y a tout lieu de s’inquiéter pour la vingtaine de pays que la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et le Programme alimentaire (PAM) ont identifiés".

"Les leçons de la crise de 2007-2008 n’ont pas été tirées, on est aujourd’hui toujours dans l’impréparation lorsqu’une crise humanitaire se profile", regrette-t-il. "750.000 personnes sont en situation de famine, dont 400.000 rien que pour la région du Tigré (nord de l’Ethiopie). En principe il faudrait avoir des réserves prévues pour que le PAM puisse immédiatement venir au secours de ces populations. Au lieu de cela, les agences internationales doivent frapper aux portes des donateurs, et il faut deux à trois mois pour qu’ils se réveillent et versent de l’argent. Il faut ensuite identifier où des réserves alimentaires peuvent être achetées, les acheminer vers les lieux en danger : tout cela met 6 mois. Pendant ce temps les populations soit sont en train de mourir, soit se déplacent. Et quand les personnes migrent, les cheptels dépérissent, les cultures ne sont plus plantées, donc on n’a pas de récoltes pour l’année suivante. Et c’est un cycle de dépendance à l’égard de l’aide humanitaire qui s’enclenche et qu’il très difficile ensuite de briser".

Environ 25 millions de tonnes de céréales sont bloquées dans les ports de la mer Noire et l’acheminement par rail via la Roumanie ou la Pologne n’est pas une option viable, il y a donc une rupture de la chaîne d’approvisionnement. "Mais la véritable cause de la hausse de prix ne vient pas du fait qu’il n’y a pas assez de denrées alimentaires disponibles. Le véritable problème c’est la panique qui s’empare des marchés en raison de ce qu’on ne sait pas quand ce conflit va s’arrêter. Et certains acteurs financiers tirent profit de cette incertitude en spéculant à la hausse, provoquant par un effet mécanique une hausse qui est une sorte de prophétie autorisatrice. On a une situation où les marchés doivent être rassurés. Il faut davantage de transparence sur les stocks. L’essentiel des réserves alimentaires est entre les mains d’opérateurs privés, des grands traders de céréales qui ne participent pas à la mise en commun des informations auxquelles les gouvernements sont attachés pour calmer la nervosité des marchés".

"Cinq ou six compagnies contrôlent 80% des transactions mondiales de céréales et détiennent l’essentiel des stocks". Mais ces compagnies ne publient pas l’état de leurs stocks comme le font les pays. "L’opacité subsiste", ce qui génère de la spéculation. "Les marchés anticipent des hausses et provoquent des bulles spéculatives, c’est l’explication essentielle de l’augmentation des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux", conclut Olivier De Schutter.

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