C’est la seule explication à laquelle nous avons eu droit dans un premier temps : ce jeudi, nous avons reçu une notification sur notre page Facebook, nous avertissant que notre vidéo intitulée "Police : violence autorisée ?" avait été supprimée, parce qu’elle ne "respectait pas les standards de la communauté". Aucune précision n’est alors donnée sur les détails qui auraient posé problème et auraient forcé Facebook à retirer ce contenu.
Nous n’avons pas eu non plus la possibilité d’exposer les raisons éditoriales qui nous ont poussés à publier ces images. La notification n’était pas un avertissement, c’était une annonce. Lorsque nous avons reçu ce message, la vidéo avait d’ores et déjà disparu.
La RTBF réclame des explications
Comme vous pouvez le voir dans la vidéo en tête de cet article, qui est identique à celle publiée sur Facebook, la vidéo traite de violences policières. Inévitablement, il y a donc des scènes de violences, au cours desquelles on voit notamment des policiers plaquer des jeunes au sol, asséner un coup de poing qui fait perdre connaissance à un adolescent. On y montre aussi les conséquences de cette intervention musclée, avec une photo d’un jeune homme dont l’œil a très sérieusement enflé. Ces images de violence envers de mineurs sont donc à l’origine de cette suppression, alors même qu’elles étaient diffusées par un d’une émission de journalisme d’investigation, donc par conséquent contextualisées.
La RTBF ne peut accepter une censure de ses contenus d’information
C’est d’ailleurs là le problème majeur de cette situation. Le réseau social de Mark Zuckerberg peut-il supprimer ainsi, sans sommation ni explication, une vidéo réalisée par un média d’information reconnu, de service public ? En tant que média, la RTBF connaît les avantages et les inconvénients de Facebook, et nous savons que nous ne pouvons maîtriser cette plateforme, qu’elle ne nous appartient pas. Mais cette suppression pose en tout cas la question du lien entre les médias et la plateforme.
"La RTBF ne peut accepter une censure de ses contenus d’information, affirme Jean-Pierre Jacqmin, notre Directeur de l’information. Nous allons demander des explications à Facebook sur les raisons de cette censure. Et nous allons demander que cela ne se reproduise plus. Pour éviter d’être dépendants de ce genre de pratiques, que nous jugeons scandaleuses, la RTBF veillera à ce que ses contenus soient également disponibles via Auvio. La RTBF a d’ailleurs décidé de republier la vidéo en question, sur ses pages Facebook, comme sur Auvio".
L’administrateur général de la RTBF Jean-Paul Philippot ajoute que Facebook "applique des pouvoirs qu’il s’arroge au mépris de toutes les règles. La première c’est la contradiction : nous ne sommes pas consultés en amont. La seconde c’est l’absence de transparence : qui a pris cette décision chez Facebook ? Un algorithme ? Un collaborateur ou une collaboratrice ? En Belgique, en Irlande ou aux Etats-Unis ? Un groupe de pression ? Toutes ces questions sont sans réponse."
Facebook dit avoir réintégré la vidéo parce que "le mineur a consenti à la partager afin de montrer la violence perpétrée à son encontre par la police, dans un effort de sensibilisation". Justine Katz, responsable éditoriale de #Investigation, dit ne pas bien comprendre cette justification avancée par le réseau social : "Cet argument aurait déjà pu être pris en compte avant la suppression. C’était visible tout de suite que ces mineurs n’étaient pas filmés à leur insu, qu’ils participaient pleinement au reportage, et qu’ils voulaient alerter le public sur ce qui leur était arrivé et sur la plainte qu’ils avaient introduite parce qu’ils s’estimaient victimes de violences policières".
Etienne Wery, avocat spécialisé en droit des médias, constate que "bien sûr que la liberté de la presse est un droit, de même que la liberté dans les arts. La nudité est très présente dans l’art, mais elle est presque systématiquement censurée par Facebook. Et ils agissent quand on les contacte. C’est pareil avec la presse. Le problème c’est que tout cela doit se faire a posteriori : Facebook va d’abord supprimer un contenu, puis vous allez les contacter en disant que vous êtes journaliste et que vous avez fait cela dans un but d’information. Et 9 fois sur 10 ça marche".