Face au coronavirus, "il faut qu’on arrête avec la pensée magique : dans une épidémie, il y a des avancées, et des reculs"

Par Adeline Louvigny, sur base de l'invitée de Thomas Gadisseux

Alors que l’épidémie de coronavirus reprend de la vigueur en Europe, et particulièrement dans notre pays, des modifications des mesures sanitaires sont de plus en plus envisagées, notamment une adaptation du Covid Safe Ticket (CST), la vaccination obligatoire, ou encore, la vaccination (volontaire) chez les enfants entre 6 et 11 ans. Car le vaccin n’est pas la solution miracle à cette épidémie, et que les mesures pour protéger les personnes les plus vulnérables doivent continuer de s’adapter, en fonction de l’évolution épidémique.


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"D’une certaine manière il faut qu’on arrête avec la pensée magique. Cette pandémie, elle est extrêmement complexe à gérer, nous n’allons pas pouvoir la résoudre avec une seule mesure, il va falloir une combinaison de mesures, il va y avoir des avancées, des reculs et c’est assez propre aux épidémies" résume Virginie Pirard, membre du Comité consultatif de bioéthique et invitée de Thomas Gadisseux dans la matinale de La Première de ce lundi.

Elle insiste sur l’importance du contexte socio-économique, et de la confiance envers les autorités, dans l’adhésion de la population à ces mesures difficiles. "Il faut prendre en compte les conditions sociales qui permettent de mobiliser les ressorts éthiques chez les individus, […] il faut mettre des mots sur le scénario que l’on cherche à atteindre, et c’est à ce moment-là que l’adhésion pourra survenir."

La vaccination obligatoire "à certaines conditions, à certains moments"

Pour se positionner éthiquement sur les mesures sanitaires qui sont prises pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, l’éthicienne rappelle que l’association des valeurs de solidarité et de liberté est un principe de base. Sur la vaccination obligatoire, c’est une mesure qui est éthiquement acceptable "à certaines conditions, et à certains moments."

"Il est éthiquement acceptable, parfois, de faire prévaloir la valeur de solidarité sur la valeur de liberté, a dit le comité de bioéthique à trois reprises, pour autant qu’un certain nombre de conditions soient remplies. La première, il faut avoir fait ce qu’on pouvait pour solliciter l’adhésion volontaire à la vaccination. Le deuxième point, c’est que cette mesure est nécessaire pour protéger une partie de la population qui est fragilisée : par exemple les personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner, ou qui, bien que vaccinée, aient un profil immunitaire qui ne permet d’être complètement protégées. Ensuite, il faut que ce soit proportionné entre les moyens utilisés, et l’objectif visé. Il ne s’agit donc pas d’aller chercher des personnes chez elles avec des menottes ou en les brutalisant, car ce serait disproportionné."

Sortir d'une polarisation du débat

Il y a un an, le comité consultatif avait demandé une réflexion anticipée sur cette vaccination obligatoire, qui a fait face à un refus politique. Assiste-t-on à une évolution des mentalités, en parallèle de l’évolution de la manière dont le coronavirus continue de bouleverser notre quotidien ? "Le comité est une instance qui n’est pas tenue de plaire sur le plan électoral. Elle peut dire des choses qui ne sont pas populaires à un moment donné. Et à l’époque, venir dire que nous ne viendrons peut-être pas à bout de cette pandémie uniquement avec la vaccination volontaire, c’était très impopulaire. Nous avons néanmoins eu la clarté d’esprit de dire qu’il fallaitt garder ce scénario en tête, sinon la population aura eu la sensation d’avoir été trahie dans ses attentes."

"Ce qui manque, c’est de sortir de cette polarisation pour et contre. Finalement, quel est le scénario derrière cette vaccination obligatoire : finaliser cette pandémie ? Ce n’est pas certain, car le vaccin ne protège que partiellement dans les contaminations. Il faut mettre des mots sur le scénario que l’on cherche à atteindre, et c’est à ce moment-là que l’adhésion pourra survenir." Et de rappeler que la médecine n’a pas la solution miracle."Quasi aucune intervention de santé n’est bénéfique à 100%. Il faut faire avec, il faut combiner pour atteindre le résultat voulu."

Par contre, sur la question de prendre des mesures spécifiques envers les personnes non-vaccinées, comme c’est le cas en Autriche où les non-vaccinés sont en confinement, c’est niet. "Le comité n’a jamais pris position sur ce sujet. Ma position personnelle est que ce n’est pas éthiquement défendable."

Soignants : "la conviction qu’ils travaillent pour des 'institutions justes' s’est effritée"

Un projet de loi est pour l’instant en élaboration concernant la vaccination obligatoire des soignants. "L’équation éthique est assez simple : les soignants sont en première ligne avec les personnes fragilisées, et on sait que le vaccin ne permet de réduire la transmission qu’en partie. Donc derrière ces pourcentages, il y a des vies humaines sauvées, et c’est à ce titre qu’on s’adresse en premier aux soignants. Mais au-delà de cette équation éthique simple, il faut prendre en compte les conditions sociales qui permettent de mobiliser les ressorts éthiques chez les individus. Pour une partie de la classe des soignants, la conviction qu’ils travaillent pour des "institutions justes" (un concept développé par Paul Ricoeur) s’est en partie effritée du fait des conditions dans lesquelles ils travaillent.

"Donc ce n’est pas tant l’équation éthique qui pose question que le contexte socio-économique dans lequel elle doit s’appliquer."

Sur la question des catégories professionnelles concernées par cette obligation vaccinale, Virginie Pirard évoque le principe de non-malfaisance, "un principe fondamental en éthique", et soutient qu’il faudrait que toute personne avec une certaine proximité avec les personnes fragilisées doit être soumise à la vaccination obligatoire.

Vaccination des enfants : les préserver des pressions ou (déjà) les responsabiliser ?

Autre question qui commence à prendre de la place dans le débat public : la vaccination des enfants de 6 à 11 ans. L’avis de l’Agence européenne du médicament, sur la balance bénéfices-risques d’une telle mesure, est attendu courant de la semaine, et doit être pris en compte dans une position éthique à ce sujet.


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"Ce bénéfice peut être compris à la fois du point de vue direct et non-direct, détaille l’éthicienne. Dans un contexte de vaccination non-obligatoire, des parents vont dire que leur enfant ne sera pas vacciné, même si eux le sont, pour préserver l’enfant de ce genre de pression et de ces responsabilités. C’est complètement défendable, ils considèrent que l’enfance est un territoire à préserver. Vous avez d’autres parents, qui vont considérer qu’ils éduquent leur enfant comme un citoyen responsable, ce qui est tout aussi défendable."

"Donc vous avez deux types de considérations éthiques qui sont valides, mais on va pouvoir considérer que dans un contexte de pandémique, il y en a une qui est plus efficace que l’autre pour lutter."

Un Covid Safe Ticket "qui s’adapte, comme le reste"

La position du Comité consultatif de bioéthique a évolué sur la question du Covid Safe Ticket. "Il a d’abord été très réticent, et a considéré qu’il y avait un risque de division sociétale, même s’il n’y a pas de discrimination juridiquement parlant."


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"Mais vu la souffrance sociale très importante, le comité a motivé son acceptation du CST, à certaines conditions. Initialement, le CST était là pour éviter de devoir porter le masque à certaines conditions. Mais les conditions épidémiologiques ont évolué, le CST s’adapte comme le reste, et je ne pense pas qu’il y a là une manipulation."

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