Le fin Mot

Face à la montée des eaux aux littoraux, quelles conséquences urbanistiques et solutions d’avenir ?

Le Fin Mot

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Comment se préparer à l’élévation du niveau des mers résultant du réchauffement climatique ? Jean-Marc Beynet, ingénieur expert en aménagement des littoraux et des ports, a signé plusieurs ouvrages publiés chez Nombre7 dont Habiter ou abandonner le littoral d’ici 2100. Prospective et propositions pour l’Occitanie. Interrogé par Eddy Caekelberghs dans Le fin Mot, il livre, tout comme la géographe Yvette Veyret, plusieurs conseils pour éviter aux citoyens vivant sur les îles et le long des côtes de boire la tasse.

Le 31 janvier 1953, les Pays-Bas connaissaient leurs pires inondations, les obligeant à revoir l’aménagement de leur littoral. 70 ans plus tard, il nous faut être attentifs à ces changements climatiques et aux chantiers qu’ils soient environnementaux ou politiques à mettre en œuvre.

Avec 40 ans d’expertise en matière maritime, Jean-Marc Beynet tire la sonnette d’alarme. Les Pays-Bas ne sont pas les seuls menacés par la montée des eaux entraînée par la fonte glacière causée par le réchauffement climatique. Dans l’Océan Indien et l’Océan Pacifique, les nombreuses îles paradisiaques sont aussi les premières victimes : les Maldives, Kiribati, Tuvalu, la Polynésie française ou encore les Antilles.

La montée du niveau des océans en quelques chiffres

Il y a environ 20.000 ans, le niveau de la mer se situait 120 mètres plus bas qu’aujourd’hui. Cet écart a diminué car des glaciers ont fondu aux pôles suite à la précession des équinoxes : l’axe de la terre change tous les 25.760 ans d’après Milutin Milankovic, entraînant de fortes variations climatiques. Il s’agissait d’une périodicité naturelle, liée aux cycles astronomiques. Le niveau de l’eau s’est néanmoins encore élevé davantage à cause de l’action humaine depuis la Révolution industrielle au XIXe siècleL’utilisation de combustibles fossiles rejette du CO2 dans l’atmosphère. Ce gaz à effet de serre empêchent la Terre de réfléchir le rayonnement solaire comme autrefois.

Par conséquent, la mer, "en étant plus chaude, elle se dilate et en plus elle devient plus acide. C’est ce qui fait que depuis ces dernières années, cela s’est nettement accéléré. Actuellement, c’est de l’ordre de 4 millimètres par an, soit dix fois plus qu’auparavant" explique Jean-Marc Beynet.

D’après les dernières prospectives du GIEC : le niveau des mers a monté de 20 centimètres depuis les 50 dernières années, et augmentera de 30 centimètres d’ici 2050, même en arrêtant aujourd’hui toute émission de gaz à effet de serre. L’enjeu se reporte à 2100. Selon les émissions futures, et donc le réchauffement global de la planète, la mer pourrait monter entre 0,32 dans le scénario le plus encourageant, à 1 mètre selon le pire scénario. Mais une autre incertitude plane autour de la fonte des glaciers : une élévation du niveau moyen de la mer, de 2 mètres d’ici 2100 ou de 5 mètres d’ici 2150 ou 2200 n’est pas à exclure.

La tempête Ciara frappe Saint-Malo le 12 Février 2020 : les vagues se brisent sur les quais le long du front de mer.
La tempête Ciara frappe Saint-Malo le 12 Février 2020 : les vagues se brisent sur les quais le long du front de mer. © Joncheray V/Andia/Universal Images Group via Getty Images

Il faudra surélever les digues de 2 mètres

Les premières conséquences de cette élévation se porteront bien entendu sur les côtés des différents continents et sur les îles du globe. Pour lui, "les îles sont un peu les sentinelles avancées du réchauffement climatique : ce qu’il s’y passe maintenant sera ce qu’il se passera sur le continent dans 50 ou 100 ans". Avec des impacts sur le quotidien des vacanciers par exemple.

"Il y aura des littoraux qui seront submergés : je pense par exemple à des pistes d’aéroport construites dans des zones basses. On a remblayé des mangroves ou des lagons pour faire des pistes d’aéroport, c’est vrai par exemple en Polynésie, dans l’Océan Indien aux Seychelles, plus près de chez nous en Méditerranée, en France, l’aéroport de Nice est sur une plateforme assez basse, celui de Toulon aussi. Donc un mètre de plus de niveau de la mer, cela impactera les aéroports mais aussi les ports" liste Jean-Marc Beynet.

Yvette Veyret, géographe et professeur de géographie à l’Université Paris-Nanterre, également interrogée dans Le fin Mot, nuance en partie la situation des îles coralliennes du Pacifique. "Elles ont toujours eu des problèmes, il ne faut pas se leurrer. Dans certains cas, elles font beaucoup de lobbying pour obtenir des financements parce que dans ce domaine, on est dans la politique et donc dans certains cas, le risque et la crise peuvent être instrumentalisés. Parce que si l’on prend un certain nombre de ces îles, on voit que depuis très longtemps elles étaient très difficiles à vivre (NDLR : en raison de la surexposition aux tempêtes par exemple)" souligne-t-elle, précisant néanmoins que "la montée du niveau marin peut aggraver ses effets".

Alors comment se prémunir face à ces inondations permanentes ? L’ingénieur expert en aménagement des ports ajoute : "Il faut savoir que si la mer monte d’un mètre, il faudra surélever les digues de deux mètres parce que comme il y aura une plus grande profondeur d’eau devant les ouvrages portuaires, la digue ne suffira plus. Si on ne met qu’un mètre de surélévation, cela ne permettra pas de limiter les franchissements parce que la houle aura plus d’énergie : elle déferle dans 0,78 fois la profondeur d’eau […] C’est pareil pour les fronts de mer, il faudra les surélever".

Les deltas du Nil et du Gange ou la Camargue disparaîtront avant les littoraux

13 août à Khulna, Bangladesh : les habitants réparent les remblais endommagés par la marée haute. Cette eau salée ravage les cultures de l'intérieur des terres.

Si les côtes et îles seront les premiers touchés, les terres intérieures ne seront également pas épargnées. Avec la hausse d’un mètre de la mer, les fleuves qui traversent les villes seront plus hauts et les inondations lors des crues s’intensifieront.

Par ailleurs, autre problématique, les deltas sont davantage salinisés par l’eau de mer mais aussi les zones marécageuses plus vulnérables que les autres littoraux. Ces endroits sont touchés par un autre phénomène, la subsidence, à savoir "un tassement du sol qui est presqu’aussi important que l’élévation de la mer" prévient Jean-Marc Beynet"C’est donc la double peine. En Camargue, la mer monte de 4 millimètres, mais la Terre s’enfonce aussi de l’ordre de 4 millimètres par an donc 8 millimètres (de différence). Elle disparaîtra donc avant les littoraux voisins de part et d’autre. Je pense que c’est pareil pour le delta du Nil, le Gange, le Brahmapoutre, le Bangladesh".

Quelles solutions urbanistiques face à la montée des eaux ?

Les immeubles de la Speicherstadt à Hambourg, dans la HafenCity, un réaménagement urbain près du port qui s'adapte à la montée des eaux.

L’ingénieur et expert en aménagement des ports et littoraux invite à ne pas attendre les effets des premières mesures contre le réchauffement climatique, mais plutôt d’anticiper cette montée des eaux.

"Faisons déjà les travaux pour 2050 car là on est sur la côte. Par contre, dans la conception des travaux, les ingénieurs et architectes qui vont concevoir ces travaux de surélévation des waterfronts, des ports ou des littoraux, devront prendre en compte que la suivante puisse être réintégrée dans la surélévation des ouvrages pour 2100, même si on ne la connaît pas maintenant. Il ne faudrait pas que l’on ait à démonter ce qu’on aura fait en 2050 pour faire quelque chose de plus grand en 2100".

D’autres solutions existent pour Beynet comme les îles artificielles flottantes, ce qu’on appelle aussi des 'plateformes offshore multi usages' comme il l’a proposé en Occitanie "surtout quand on a des contraintes sur les littoraux, ou pas trop paysagères, on est tenté de se mettre au large là où on aura moins d’impact sur les littoraux et les riverains".

Pour Yvette Veyret, certaines localités françaises anticipent déjà la progression de la mer dans les terres : "Ce n’est pas facile pour les populations implantées qui ont leurs souvenirs et leur Histoire dans ces lieux. Ce n’est pas facile pour l’économie non plus, mais je crois là-dessus que le futur est tout à fait clair. Il faudra se retirer vers l’intérieur des terres. En France, des stations balnéaires, comme Soulac dans le Sud-Ouest, sont directement concernées parce qu’on a des aménagements qui disparaissent dans l’eau assez régulièrement, aussi en Normandie dans le Pays de Caux". La géographe, coauteure de L’Atlas des risques et des crises, relève aussi l’utilisation de meilleures technologies urbanistiques, comme des immeubles ayant intégré le risque d’inondations à Hambourg – Le HafenCity, tout en reconnaissant que cette astuce "ne résoudra pas tout".

Le Fin Mot

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous