Exposition : Chaimowicz brouille la frontière entre le vrai et le fake avec la "Nuit américaine" au Wiels

Marc Camille Chaimovicz cultive l’art de l’ambiguïté depuis une cinquantaine d’années. Né à Paris, d’un père polonais de confession juive et d’une mère française de confession catholique, il est élevé à Londres où il vit depuis. Le mélange, l’entre-deux, le brouillage des frontières et des catégories sont l’objet de son travail depuis les années 70. Dans les nombreux média qu’il utilise, Chaimovicz ne fait pas de distinction entre arts décoratifs et beaux-arts. La peinture, la sculpture, la céramique, le papier peint, le textile, l’ameublement ou le collage ont la même valeur.

A travers ses installations, comme les deux présentées au Wiels, il crée des espaces singuliers qui superposent l’art et le décor. Marc Camille Chaimovicz nous entraîne dans des sensations et des interprétations diverses.

La vie réelle revisitée

Arrivé au premier étage du Wiels, on est immergé dans la lumière tamisée des spots de couleurs de Celebration? Realife Revisited (1972-2000), mais les guirlandes au sol, les boules à facettes abandonnées et les confettis nous donnent l’impression que la fête est finie. Pourtant à bien y regarder, une série d’objets quotidiens dispersés au sol forment des amalgames ici poétiques, là politique (Lénine) ou encore issus de la pop culture. Sur la musique viscérale de Janis Joplin lors de notre visite.

Cet "assemblage" comme le définit l’artiste a été créé en 1972 avec des objets souvent trouvés dans la rue. "Une nécessité de contester les valeurs culturelles dominantes" explique Chaimowicz qui constate qu’aujourd’hui cette position a, bien sûr, été récupérée par l’art contemporain. Parcourant l’espace de cette Realife Revisited, on hésite entre souvenirs privés et intention artistique, entre la vie et l’art. On se trouve confronté à la manière dont on catégorise les disciplines, y compris nos perceptions du masculin et du féminin quand, par exemple, une photo de Lénine côtoie un bouquet de Lys odorants.

Zoë Gray, la curatrice, nous en dit plus au micro de Pascal Goffaux.

Passons au salon…

Deuxième installation, The Hayes Court Sitting Room (1979-2023), et changement de décor... ou plutôt exposition de trois décors qui sont la reproduction théâtralisée du salon de Chaimovicz à Hayes Court, Londres où il a "rêvé, travaillé, discuté pendant quatre décennies" nous dit-on. L’artiste fait entrer l’espace privé dans l’espace public, certains éléments sont ses créations comme le papier peint, certains meubles et les tissus quand d’autres sont de l’appropriation (une table d'Eileen Gray). Replacé au moment de sa création, en 1979, Chaimovicz, de façon prémonitoire, effectue, plus indirectement, un parasitage de la démarcation du masculin et du féminin. Les arts décoratifs et les tissus étant à l’époque du domaine des femmes.

Assis face à cette installation, The Hayes Court Sitting Room, on est comme au théâtre dans le décor d’une pièce de boulevard où les personnages vont entrer en scène sans tarder. Mais à nous à inventer le scénario. Ou alors cet espace cossu et daté nous renvoie à nos propres souvenirs d’espace domestique (certes pas pour les millennials !). Derrière les palissades de ce vrai faux salon, on découvre une série de photos de personnages en situation dans le décor. A la manière d’un roman-photo des seventies, élément de basse culture à nouveau. C’est une suite de situations de fiction qui "auraient pu se dérouler" dans cet espace privé. Une proposition parmi d’autres. Chaimovicz nous balade entre passé (le sien, le nôtre) et possibles futurs dans le moment présent de notre visite. Un jeu subtil pour peu qu’on en prenne, précisément, le temps.

Une troisième salle propose une quarantaine de collages effectués à partir de Madame Bovary, le roman de Flaubert. Une histoire de libération des conventions par l’amour adultère et le luxe et, bien sûr, l’inévitable fin tragique qui en font une épopée camp qui fascine l’artiste depuis longtemps.

En pratique :

Nuit américaine – Marc Camille Chaimovicz

Du 17.02 au 13.08.2023 – WIELS – 1190 Bruxelles