Les Grenades

Expo : portraits de femmes, des récits pour une histoire

Léonie La Fontaine

© Collection Mundaneum

Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

À travers sa nouvelle exposition, le Mundaneum questionne l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire. En partenariat avec Les Grenades, l’institution présente des portraits de femmes belges et des récits d’hier et d’aujourd’hui. L’objectif ? Mettre à l’honneur notre matrimoine et déconstruire les stéréotypes genrés de notre société.

Pourriez-vous citer cinq figures de femmes qui ont marqué l’histoire de la Belgique ? Pas si simple, hein… Si les femmes ont toujours été actrices de lhistoire, pendant longtemps, trop longtemps, elles en ont été invisibilisées.

Aujourd’hui, nombre d’historien·nes, de journalistes, d’archivistes, d’artistes, de citoyen·nes s’inscrivent dans une démarche de déconstruction et posent un autre regard sur les récits historiques. Le Mundaneum sancre dans ce mouvement en mettant en lumière une cinquantaine de figures de femmes des 19e et 20e siècles.

Depuis les années 1990, le musée a organisé plusieurs expositions autour des femmes, mais aujourd’hui on revient avec un propos plus engagé. Et tout ça a commencé par l’examen de notre propre identité, de nos propres biais

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Commencer par son autocritique

Situé à Mons, le Mundaneum est un lieu d’archives et d’exposition. Son origine remonte à la fin du 19e siècle et visait alors à rassembler et indexer lensemble des connaissances du monde, à travers notamment le développement de l’Office international de bibliographie (OIB). Aujourd’hui, au sous-sol du bâtiment, se trouvent 6 kilomètres d’archives à la disposition des chercheur·euses du monde entier. Le centre possède trois fonds principaux, consacrés au féminisme, au pacifisme et à l’anarchisme.

Stéphanie Manfroid est historienne, responsable scientifique et commissaire de lexposition : Portraits de femmes, des récits pour une histoire. Elle explique : "Depuis les années 1990, le musée a organisé plusieurs expositions autour des femmes, mais aujourd’hui on revient avec un propos plus engagé. Et tout ça a commencé par l’examen de notre propre identité, de nos propres biais."

En effet, pendant trop longtemps l’institution s’est racontée à travers deux figures principales : Paul Otlet et Henri La Fontaine. Léonie La Fontaine, elle, fut laissée à lombre de la mémoire. Pourtant, cette dernière a participé entre autres à l’écriture des 400.000 premières fiches du Répertoire bibliographique universel. Mais ce nest pas tout : cette féministe engagée au sein de la Ligue belge du droit des femmes aux côtés de Marie Popelin a créé l’Office de documentation féminine, devenu le fonds féminisme du centre. Sans conteste, elle est l’une des figures principales des lieux et il était grand temps de le reconnaître.

"Le féminisme était très ancré au Mundaneum grâce à Léonie La Fontaine, mais nous avions un peu perdu cette valeur de vue. Nous l’avons retrouvée en préparant cette exposition. C’est d’ailleurs à travers la voix de Léonie La Fontaine que la visite est articulée. C’est elle qui emmène le public à la découverte des portraits et thématiques", poursuit Stéphanie Manfroid.

D’hier à aujourd’hui en passant par Les Grenades

Tout au long du parcours, les récits sont volontairement réunis selon des thématiques particulières : lenseignement, les injonctions à la maternité, les violences, la place des femmes dans le sport ou la presse… au total 17 sujets sont déclinés. Des dessins réalisés par Florence Sabatier et des documents d’archives sont présentés pour illustrer les propos.

Chaque panneau commence par une mise en contexte historique pour saisir les enjeux auxquels nos ancêtres devaient faire face. Pennons par exemple l’enseignement : l’exposition nous apprend notamment que les querelles entre les laïques et les religieux, additionnées au schéma conventionnel de la place des femmes à la maison, ont très longtemps exclu les filles du parcours scolaire organisé par l’État. Il fallut attendre 1914 et la loi sur l’obligation scolaire pour que toutes les filles puissent être scolarisées.

Pour donner vie à ce pan de lhistoire, des figures sont mises en avant ; Isabelle Gatti de Gamond (1839-1905) pédagogue autodidacte et militante pour l’instruction des filles, Madeleine Jacquemotte-Thonnart (1907-2000), lune des premières femmes à endosser la direction dun établissement scolaire public ou encore Léonie De Chestret de Haneffe (1836-1926) qui a fondé lAssociation pour l’éducation des jeunes filles à Liège.

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Mais ce n’est pas tout ! Chaque thématique est questionnée avec un point de vue contemporain amené par… Les Grenades. En effet, depuis quelques mois, dans les coulisses, nous avons plongé dans cette aventure muséale en apportant notre touche féministe.

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Lhistoire des femmes permet doffrir une clé de compréhension sur la société patriarcale d’aujourd’hui ; ce fut un exercice passionnant de faire le pont entre passé et présent. "On a voulu proposer le regard des Grenades en plus du regard historique. Nous ne pouvions pas ignorer le mouvement #metoo. Organiser cette expo sans évoquer les questions qui restent taboues aujourd’hui, ce n’était pas possible. Nous avons choisi Les Grenades pour leur ton, leur liberté et leur modernité !", confie la commissaire. Chaque commentaire des Grenades peut être prolongé via des liens vers notre site, amenant ainsi le public à aller plus loin dans le décryptage de la société sous l’angle du genre.

Valoriser le matrimoine

Retour dans le passé… Pour nourrir les récits historiques, il faut des matériaux, des sources. L’archiviste sest basée principalement sur trois ouvrages de référence le dictionnaire des femmes belges, l’Encyclopédie d’histoire des femmes en Belgique et le livre Des femmes dans l’Histoire en Belgique, depuis 1830.

Si l’histoire des femmes est restée ignorée pendant des années, des initiatives comme le Groupe interdisciplinaire d’Études sur les Femmes (GIEF) fin des années 80 ont mis un terme à ce silence et fait des émules. À partir de 1995, Amazone devint le carrefour de l’égalité de genre. Les lieux abritent entre autres le Carhif, un centre d’archives et de recherches spécialisé dans l’histoire des femmes, du genre et des sexualités.

C’est également au centre Amazone que l’on retrouve la bibliothèque féministe de l’Université des femmes : la bibliothèque Léonie Lafontaine, justement.

La valorisation du matrimoine est une question politique, y compris à travers l’espace public ; les noms de rue portent encore en très grande majorité des noms d’hommes. Heureusement, ça bouge doucement, grâce à des actions comme Equal Street Names, Noms Peut-Être, les journées du Matrimoine

Les journées du matrimoine – Le shot des Grenades

Caroline Boussart (1808-1891) journaliste, Isala Van Diest (1842-1916) première femme médecin, Marie Popelin  (1846-1913) première femme à accéder au barreau en 1922, Anna Boch (1848-1936) peintre, Marie Parent (1853-1934) qui s’est battue pour l’émancipation des femmes, Marguerite Bervoets (1914-1944) résistante... Et beaucoup d’autres figures encore sont à découvrir à travers l’exposition.

Enrichir les récits

Les femmes qui ont marqué l’histoire du plat pays sont très nombreuses, la sélection fut complexe... Stéphanie Manfroid explique avoir fait des choix subjectifs tout en essayant de présenter des femmes issues de différents courants politiques, différentes régions, différentes classes sociales. "L’objectif était vraiment d’offrir un autre regard sur l’histoire. Tout un travail de mémoire et de sources est encore à entreprendre pour donner à la diversité des récits une réalité aussi variée que légitime notamment en mettant en avant les femmes immigrées et les femmes afro-descendantes", dit-elle.

Je crois que l’histoire doit être faite par tout le monde

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"L’objectif était vraiment d’offrir un autre regard sur l’histoire. Tout un travail de mémoire et de sources est encore à entreprendre pour donner à la diversité des récits une réalité aussi variée que légitime notamment en mettant en avant les femmes immigrées et les femmes afro-descendantes", dit-elle.

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Des propos qui entrent en résonance avec la conclusion de Titiou Lecoq dans son ouvrage Les grandes oubliées. Pourquoi lHistoire a effacé les femmes : "Lun des objectifs actuels du féminisme, en dehors de l’égalité, cest de déviriliser le monde. Déviriliser donc également l’histoire, pour laisser de la place aux autres et, peut-être en fin de compte, parvenir à trouver notre unité. Pour cela, il faut avoir le courage de s’interroger sur nos bornes historiques et sur nos modèles. Notre histoire doit marcher sur ses deux jambes. Elle doit également inclure l’histoire des non-blancs."

Dans cette vision de visibilisation de tous les héritages, Les Grenades organiseront lenregistrement dun podcast live au Mundaneum le 3 juin pour questionner la mise en récit de lhistoire et limportance de la valorisation de la mémoire, en partant de paroles de femmes issues de limmigration italienne notamment.

Stéphanie Manfroid conclut : "Je crois que l’histoire doit être faite par tout le monde. Chacun·e peut l’écrire. Ici c’est une valorisation par une expo, mais ça pourrait être une émission radio, une création artistique... Aussi, je voudrais ajouter que si on manque de sources, alors le récit permet de rejoindre la réalité. Il faut pouvoir utiliser l’imagination pour faire parler les silences."

L’histoire des femmes, c’est notre histoire à toutes et tous.

Portraits de femmes, des récits pour une histoire. Une exposition à découvrir jusqu’au 22 novembre au Mundaneum. Plus d’infos par ici.


Légitimes, une expo photos de Nafi Yao

Jusqu’au 16 aout, en écho à l’exposition Portraits de femmes, des récits pour une histoire, le Mundaneum présente l’expo Légitimes de l'asbl Women We Share. La photographe Nafi Yao a dressé 95 portraits de femmes et personnes non-binaires. Chaque portrait est décliné en une série de trois photographies noir et blanc : une sur un fauteuil en studio avec un objet symbolisant le domaine dans lequel elles œuvrent, une sur leur lieu d’action et une en phase de repos. À travers son travail, l’artiste offre surtout des rencontres tout en déconstruisant les préjugés sexistes et en présentant des role models inspirantes. 

Les Grenades avaient réalisé le portrait de la photographe l’année dernière. Voilà la boucle bouclée, en nous retrouvant ensemble au Mundaneum dans ce projet de mise en lumière des femmes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

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Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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