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"Expérience digitale" du Food Market (Tour&Taxis) : Pratique… Mais pas pour tout le monde

Le Food Market de la gare maritime propose une "expérience entièrement digitale"

© Barbara Boulet (RTBF)

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Par Barbara Boulet

Il est un peu plus de midi, ce jeudi. Dans la prestigieuse gare maritime de Tour et Taxis, la halle gourmande ouverte depuis la fin de l’automne se remplit. Attablées, Jasmine et Agnès, la cinquantaine rient de bon cœur. Elles viennent de réserver : "On voulait parler avec des gens. Mais ici, on doit parler avec son QR code, son GSM", explique Jasmine, avant d’éclater de rire. "Mais à 51 ans, ça va, je m’en sors très très bien". "Oui, je suis fière d’elle, poursuit Agnès. Parce que ce n’était pas si facile que ça". Les deux amies ont surmonté l’épreuve avec beaucoup humour.

Il faut dire que l’endroit n’est pas seulement branché sur le plan gastronomique -les visiteurs peuvent se restaurer à l’une des neuf échoppes de chefs renommés. Il l’est aussi sur le plan technologique : sur son site Internet, le Food Market annonce d’ailleurs une fully digital experience, une expérience entièrement digitale. Où l’on consulte la carte en scannant un QR code, on commande en ligne, puis on paie depuis son smartphone, à l’aide d’une application de paiement.

Plus loin, un jeune homme au look barbu hipster n’en est pas à sa première visite. Il est conquis : "Ça facilite tout je trouve, c’est une évolution qui permet d’éviter la manipulation d’argent. Donc oui, je suis pour".

Et puis il y a aussi Bernard, cheveux blancs, venu prendre un café avec son amie Martine. Il s’en sort très bien avec les applis, mais il trouve ça moins convivial : "La digitalisation à outrance, c’est pratique, mais on ne voit plus personne. Le contact humain devient fugitif. C’est dommage".

Pratique et économique

Cette expérience digitale est avant tout confortable, explique le manager Lionel Majorovic : " Ça permet tout simplement de venir avec des copains, rester à table, choisir si on veut manger chez Carne, chez Bart ou chez Bouillon. Rester à sa place, commander dans ces différentes échoppes, recevoir un SMS quand c’est prêt. Puis se lever pour aller chercher". C’est vrai que l’attente est réduite, qu’il ne faut pas faire la file pour commander et payer aux différents "restos" et qu’une seule addition est possible. C’est aussi, bien sûr, une économie en personnel.

Cette digitalisation des services au restaurant fait progressivement son apparition dans certains établissements bruxellois, évidemment encouragés par les mesures sanitaires : chaque client emploie sur son smartphone. Il n’y a plus de partage des cartes des plats, de manipulations d’argent.

Excluant

Mais cette tendance préoccupe certaines associations. L’association Financité qui milite pour une finance éthique et durable, par exemple, observe attentivement ce développement de la digitalisation des services de paiement : "En soi, ce n’est pas un problème, mais il ne faut oublier personne, explique Anne Fily, chercheuse en inclusion financière chez Financité. "Avec la digitalisation à marche forcée, on est en train de créer de nouvelles formes de discrimination et donc d’exclusion. Ces outils sont une bonne chose, mais on doit continuer à avoir le choix". La chercheuse étaye ses propos avec des publications de la Fondation Roi Baudouin et de Digital Wallonia (baromètre des compétences et d’accessibilité au numérique). " Dans la population âgée, il y a un pourcentage élevé, majoritaire, de gens au-delà de 70 ans qui ne font aucune opération bancaire en ligne".

Dans la population des 65 à 69 ans, 22% n’ont pas de smartphone

D’ailleurs le mouvement Enéo qui défend les droits des aînés, parle aussi d’exclusion : " Il y a toute une partie de la population encore aujourd’hui qui n’a pas accès à ces outils digitaux", argumente Violaine Wathelet, secrétaire politique d’Eneo. "Que ce soit en termes d’équipement. Mais aussi au niveau de la maturité numérique, donc la capacité à se servir de ces outils digitaux. En Wallonie, un baromètre annuel montre que dans la population des 65 à 69 ans, 22% n’ont pas de smartphone. 22% de cette population n’aurait donc tout simplement pas accès à ces délicieux restaurants".

Et c’est sans compter sur les soucis physiques des personnes âgées : "Tous ces outils digitaux sont très peu conçus en termes d’ergonomie pour des personnes vieillissantes. Ce sont de petites touches, de petits écrans. Or on sait que quand on vieillit, on voit moins bien, on a de l’arthrose", poursuit Violaine Wathelet.

Le maintien des paiements en espèce

Les deux associations militent pour maintenir une obligation dans les commerces d’accepter les paiements en espèce (parce que oui, les commerçants doivent en principe accepter le cash, en vertu d’une réglementation européenne, même si dans les faits, il n’existe pas de sanctions pénales). Et elles ne sont pas les seules. Test-achats aussi insiste pour que l’argent liquide ne soit pas banni de nos magasins : "15% des gens n’ont pas encore sauté dans le train du numérique, parce qu’ils n’ont pas l’équipement et/ou parce qu’ils sont méfiants", peut-on lire dans l’article intitulé Le cash reste important à lire dans la dernière édition de Budget & Droits.

Retour au Food Market de la gare maritime. Lionel Majorovic précise que le personnel sur place peut aider la clientèle en difficulté avec ces pratiques numériques. Ces personnes peuvent aussi passer commande et payer au bar, de même qu’envisager un paiement à l’aide d’une carte de banque. Mais dans tous les cas, l’argent liquide est banni.

Le service se fait depuis le smartphone, tant pour la commande que pour le paiement
Le service se fait depuis le smartphone, tant pour la commande que pour le paiement © RTBF

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