Décrypte

Evras : "Les parents très inquiets ne sont pas tous des complotistes"

Des centaines de personnes se rassemblent pour protester contre les nouvelles méthodes d’éducation sexuelle dans les écoles de Bruxelles, Belgique, le 07 septembre 2023.

© Dursun Aydemir/Anadolu Agency via Getty Images

Par Romane Bonnemé

Environ 1500 personnes se sont réunies ce dimanche pour dénoncer l’obligation de l’animation sur l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) pour les élèves de sixième primaire et de quatrième secondaire des écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Parmi les associations présentes dans le cortège figuraient notamment "Bons sens Belgique" dont le credo est de s’opposer à l’Evras par de la désinformation.

Une désinformation qui, selon l’une des organisatrices de la manifestation, n’est pourtant "pas [du] côté" des anti-Evras : "On nous dit complotistes, non civilisés, brutales", on cherche "à nous imputer les incendies dans les écoles", a-t-elle déclaré à la tribune ce dimanche.

Discours identique sur les réseaux sociaux. Quelques heures avant le début de la manifestation, un internaute du réseau social "X" insistait sur la nécessité d’éviter les amalgames : "Généraliser n’est pas constructif. La majorité des parents inquiets se préoccupent du guide lui-même, pas des fake news".

Loin d’être tous adeptes de théories du complot, les opposants à l’Evras se disent d’abord inquiets du bien-être de leur enfant.

Une inquiétude légitime

"Se soucier du bien-être de son enfant, de vouloir le meilleur pour lui, c’est tout à l’honneur des parents", commence le docteur Caroline Depuydt, psychiatre. Selon elle, "cette inquiétude est légitime" car certains parents n’ont pas "d’avis éclairé sur la question".

Même son de cloche sur le terrain. Véronique de Thier, responsable de la régionale bruxelloise de la Fédération des Parents et des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel (FAPEO), constate que "les parents très inquiets ne sont effectivement pas tous des complotistes. Ils soulèvent des questions habituelles, souvent légitimes, sur le manque d’information, de dialogue ainsi que la crainte d’avoir son enfant qui revient à la maison avec des questions et d’être juste démunis".

A juste titre selon elle car "parfois ce dialogue entre l’école et les familles n’existe pas" et les parents ne sont pas tous égaux sur les sujets de sexualité et de genre. En effet, ajoute Véronique de Thier, "tous n’ont pas les mêmes codes pour entamer une discussion avec leur enfant qui aurait des questions".

Ce sont ces mêmes parents qui, pour Caroline Depuydt, "n’étaient pas trop au courant et plutôt neutres sur le sujet, qui, en entendant les arguments anti-Evras, se sont demandé : "Mais au fond, est-ce que c’est vraiment ça que je veux pour mes enfants, est-ce que je dois m’inquiéter ?".

Les réseaux sociaux comme caisse de résonance

Martelés surtout sur les réseaux sociaux, ces arguments ont été davantage vus et entendus par certains parents que la communication officielle.

En effet, internet a été une véritable "chambre d’écho" et servi d'"amplificateur" aux démonstrations anti-Evras, selon les termes de Caroline Depuydt, créant ainsi "une espèce de filtre qui ne reflète pas la réalité". "Vous avez une telle volée de bois vert de la part des opposants farouches qui crient tellement fort et qui sont tellement violents dans leurs réponses que ça fait une espèce de filtre qui ne reflète pas la réalité. Et donc du coup, on se demande si on doit s’inquiéter", poursuit la psychiatre.

Une opposition mue par la même vision du monde

Cette opposition farouche est notamment portée haut et fort par des personnes qui ont une vision conservatrice de la société. Ce sont "des gens qui sont animés par une vision du monde dans laquelle la sexualité relève purement de la vie privée, et que son éducation est le rôle des parents et non pas de l’école", souligne le professeur de psychologie sociale à l’Université libre de Bruxelles (ULB), Olivier Klein.

Ils défendent un agenda "plus large et très conservateur sur la société, qui dépasse ce qui va être enseigné pendant la formation Evras", ajoute le psychologue.

On peut ainsi noter que le discours de l’organisatrice de la manifestation de ce dimanche n’était pas seulement anti-Evras, mais aussi anti-LGBT, anti-dépénalisation de l’avortement, anti-féministe, ou anti-CAL (Centre d’Action Laïque). Des positions toutes fondées sur la peur d’une "destruction de la famille".

Cette mobilisation anti-Evras rassemble "des mouvements qui, a priori ne se ressemblent pas du tout, mais qui sont unis par une même chose : la crainte de l’évolution du rapport à la sexualité, aux transformations des questions de sexe, de genre", avance Olivier Klein. Une vision qui "pose question" selon lui "quand on sait que de nombreux enfants sont notamment confrontés très jeunes à la pornographie".

Selon une étude française de Médiamétrie commandée par l’Arcom publiée en mai 2023, la moitié des garçons de 12-13 ans consultent des sites pornographiques chaque mois.

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Cette "exposition débridée à la pornographie" met notamment en lumière l’importance de sensibiliser les parents "avec une information sereine, exacte, qui vient contrebalancer les fausses informations qu’on peut trouver sur internet" insiste Caroline Depuydt. Selon elle, "il y a toute une partie de la population qui a besoin d’être rassurée".

Importance d’un dialogue respectueux

Bien que "certains parents soient condescendants sur ces questions-là, indique Véronique de Thier, si on ne leur parle pas, on fait face à une vraie difficulté". Selon elle, la situation actuelle "particulièrement tendue puisqu’il y a toutes ces fake news", en est la preuve.

"L’enjeu majeur est d’être dans un dialogue respectueux où les uns et les autres s’écoutent" conclut-elle. Et ce, quelles que soient les raisons pour lesquelles un parent serait farouche ou favorable à l’Evras.

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