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Europe : le règlement "Dublin" pour les demandeurs d’asile est inefficace et injuste

Le règlement de Dublin : l’échec migratoire de l’Europe

© Françoise Berlaimont RTBF

Le gouvernement italien, présidé par la post-fasciste Giorgia Meloni, avait annoncé mardi son refus de reprendre en charge les demandeurs d’asile arrivés dans la péninsule, mais qui étaient partis demander une protection dans un autre État membre, en Belgique par exemple. Pour la secrétaire d’Etat belge à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, cette attitude italienne était "inacceptable".

Mercredi soir, Rome est finalement revenu sur sa décision. Une fois de plus, c’était donc bien le règlement de Dublin qui était sur la sellette. "Un système injuste, inefficace, et qui dysfonctionne", estiment depuis des années les associations présentes sur le terrain.

Tous les chemins mènent à Rome

Ali, Afghan, est "dubliné" en Autriche. Hakim est somalien et est "dubliné" en Italie. Mohamed est irakien et "dubliné" en Grèce. Ils sont des milliers dans ce cas de figure. Être "dubliné" signifie que la personne a été enregistrée dans le pays par lequel elle est entrée en Europe, et elle est censée y introduire sa demande d’asile. Sauf que ce sont toujours les mêmes pays qui, depuis des années, sont la porte d’entrée de l’Europe pour les migrants. La Grèce, l’Italie et l’Espagne pour les migrants africains, la Hongrie pour les migrants du Proche et Moyen Orient.

"Les conditions d’accueil et les procédures de demande d’asile devraient être les mêmes partout en Europe, or ce n’est pas le cas", explique Jessica Blommaert, chercheuse au Ciré (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers). "On assiste à une loterie de l’asile. Chaque pays applique les directives européennes à sa façon". Et de fait, l’accueil des demandeurs d’asile est très différent que l’on arrive en Hongrie (où ils sont pourchassés sans relâche), en Italie, en Grèce ou en Espagne. Ce sont surtout les pays du sud qui sont concernés et, depuis des années, ils appellent à la solidarité des autres pays de l’Union.

Les objectifs de Dublin

La convention de Dublin remonte à 1990. A l’origine, il s’agit d’une convention entre plusieurs États européens, dont la Belgique. Le but était de "déterminer un seul Etat responsable d’examiner la demande d’asile d’une personne exilée arrivée sur le sol européen"La Convention est devenue contraignante en 2003 (Dublin II) et révisée en 2013 (Dublin III). Comme le rappelle le Ciré, "l’objectif de ce mécanisme interétatique est de contrôler et de limiter les mouvements à l’intérieur du territoire de l’UE, puisqu’une fois que les personnes y sont entrées, il n’y a en principe plus de contrôle aux frontières internes et elles peuvent donc circuler d’un pays à l’autre".

Les signataires (Belgique, Danemark, France, Allemagne, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Espagne et Royaume – Uni) avaient pour ambition de s’assurer que chaque demande d’asile soit examinée par UN pays et éviter que des demandeurs d’asile se retrouvent “sous orbite”, c’est-à-dire, renvoyés d’un État à l’autre, sans que leur demande d’asile ne soit jamais traitée. Le but était aussi de lutter contre le "shopping de l’asile", d’éviter plusieurs demandes déposées dans des pays différents en cas de demande rejetée dans un pays.

Ne pas perdre le nord

"Si les objectifs de Dublin étaient louables, la réalité sur le terrain est catastrophique", estiment en cœur les associations. Il n’y a pas de solidarité des pays du nord, peu pressés de modifier ce règlement de Dublin. Sauf à des périodes précises, rappelle Jessica Blommaert, "comme l’Allemagne, en 2015, au moment de l’exil de milliers de Syriens, et qui a volontairement décidé de ne pas appliquer le règlement". Plus d’un million de Syriens ont ainsi été accueillis Outre-Rhin.

L’Italie avait annoncé ne plus vouloir provisoirement appliquer le règlement de Dublin, car elle doit faire face à une pénurie de places d’accueil. La Belgique, par la voix de Nicole de Moor, la secrétaire d'Etat, fustige l’attitude du gouvernement de Giorgia Meloni, estimant que notre pays est sous pression migratoire, bien plus que l’Italie. Une déclaration que Jessica Blommaert, du Ciré, nuance : "La secrétaire d'Etat comptabilise les réfugiés ukrainiens, qui composent 60% des demandes de protection. En fait, Nicole de Moor, comme ses prédécesseurs, veut dissuader les demandeurs d’asile de rester en Belgique".

Appliquer la convention de Genève

Sur les côtes de la Manche, les migrants, dont beaucoup sont "dublinés" dans un pays situé aux frontières de l’Europe, tentent à tout prix de passer en Grande Bretagne où, depuis le Brexit, le règlement de Dublin n’est plus appliqué. En Méditerranée, des migrants meurent tous les jours lors des tentatives de rejoindre une terre européenne. A l’instar d’autres associations et collectifs, Médecins du Monde demande notamment "l’ouverture de voies d’accès légales et sûres pour que les personnes issues de pays tiers, comme la Jordanie ou le Liban par exemple, puissent rejoindre l’Europe sans avoir à risquer leur vie ni avoir recours à des passeurs".

Et l’association ajoute : "les mesures sécuritaires, et les murs honteux qui s’élèvent en violation des règles européennes, ne font que renforcer la dangerosité des passages. Nous demandons aux autorités d’offrir des conditions d’accueil décentes. Les personnes doivent être correctement informées et exercer sereinement leurs droits, notamment celui de demander l’asile et de répondre à leurs besoins vitaux. Il s’agit tout simplement d’appliquer la Convention de Genève relative au statut des réfugiés".

Réunion à Bruxelles

La réforme des règles européennes d’asile et de migration est dans l’impasse depuis des années. Ce jeudi 8 décembre, neuf pays (La Belgique, la France, l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et la Tchéquie) se retrouvent à Bruxelles pour une concertation à la veille d’un conseil des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne. Ce sont essentiellement des pays du nord "sur la même longueur d’onde", a déclaré la secrétaire d'Etat à l’Asile Nicole de Moor.

Les ONG demandent depuis des années une révision du droit d’asile européen en commençant, par suspendre, puis abolir le dispositif Dublin III, jugé inefficace et inopérant. C’est aussi ce que préconisent le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et le Rapporteur spécial sur les droits des migrants de l’ONU.

 

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