Exposition

EUROPA Oxala – 21 artistes Afropéens entre passé et futur à l’AfricaMuseum

Sabrina Belouaar. Dada. 2018. Sculpture, moulage de mains en plâtre et ancienne ceinture en cuir

© ADAGP, Paris 2021

Par Xavier Ess

Dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, les artistes afro-américians ont gagné en visibilité. On ne compte plus les peintres travaillant l’identité afro-américaine à travers le portrait. EUROPA Oxala proposée par l’AfricaMuseum se tourne vers la création des artistes afropéen.ne.s, d’origine africaine et vivant.te.s en Europe. Vingt et un.e artistes européen.ne.s des deuxième et troisième générations qui sont né.e.s et ont grandi dans un contexte postcolonial, proposent une réflexion sur leur héritage, leur mémoire et leur identité.

Márcio Carvalho, Falling Thrones. 2020.
Márcio Carvalho, Falling Thrones. 2020. © Tous droits réservés

Falling Thrones, œuvre de Márcio Carvalho, représente assez bien une bonne part de l’exposition, focalisée en sur les cicatrices/ les douleurs/… d’un passé colonial dont ils et elles subissent toujours les conséquences, même si ils et elles n’en ont pas été les victimes directes. Falling thrones, chute des trônes, est une série utilisant les Jeux Olympiques pour évoquer la lutte contre les dirigeants coloniaux. La chute des trônes -au pluriel - présentée ici, montre l’athlète Patrice Lumumba en lutte avec Léopold II. Un combat difficile pour déboulonner la statue, symbole d’une difficile décolonisation des esprits, qui entraînera aussi la chute de la figure de l’indépendance et du panafricanisme, fomentée par la Belgique et les Etats-Unis.
 

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Djamel Kokène -Dorléans, Ça a été
Djamel Kokène -Dorléans, Ça a été © Xavier Ess - Rtbf

Une des pièces les plus fortes, est celle de Djamel Kokène -Dorléans. L’artiste reprend la célèbre formule de Roland Barthes "Ça a été" qui atteste - Barthes parlait de la photographie - de la réalité d’une chose passée. Ici, à travers la chicotte, la réalité de la violence coloniale et raciste. On peut y lire aussi la résilience du peuple africain; "on s’est relevé". Le métal poli met la lumière sur le fait historique et projette aussi le texte à l’envers, signe d’une affirmation toujours illisible pour certains. L’œuvre, adroitement placée au sol, nous fait baisser la tête, dans une position de recueillement. Une proposition frontale, sobre et puissante.

Aimé Mpane, Table de fraternité, 2020
Aimé Mpane, Table de fraternité, 2020 © Xavier Ess - Rtbf

La pratique d’Aimé Mpane, basé à Kinshasa et Bruxelles, se nourrit des allers-retours entre son Afrique natale et son Europe d’adoption. S’il traite principalement de l’héritage du colonialisme, il cherche à établir du lien, des complémentarités entre Afrique et Europe. Dans sa réappropriation de la Cène, œuvre iconique de la peinture occidentale, Mpane prend la formule du Christ "ceci est mon corps, ceci est mon sang" à la lettre, évoquant "les minerais de sang", certaines matières premières de nos smartphones qui proviennent de RDC et de zones en conflit. Le pain et le vin sont remplacés par le lingot d’or et les smartphones et PC fabriqués avec le coltan et d’autres métaux rares de la RDC.

John K.Cobra, Barres de kwanga, 2022
John K.Cobra, Barres de kwanga, 2022 © Xavier Ess - Rtbf

Enfant d’un couple belgo-congolais, John K.Cobra se définit comme un "créateur métis" qui s’exprime entre deux territoires : la Flandre et le Congo. Il explore les possibilités d’expression de son identité afropéenne. La fluidité des identités et l’hybridation sont un de ses thèmes de recherche, illustré entre autres par cette sculpture Barres de KwangaLe kwanga est un pain congolais à base de manioc.

"Le kwanga a les caractéristiques du caoutchouc blanc congolais. Comme les liquides, les barres de kwanga peuvent être transformées en n’importe quelle forme [et elles] peuvent toujours retrouver leur forme d’origine. La consommation des barres liquéfie votre identité culturelle, nationale et de genre, la rendant fluide. Les Barres Kwanga sont un espace de corrélation entre les traditions culturelles africaines et européennes" écrit John K. Cobra sur le site qui présente ses projets.

John K.Cobra, Mascarade des clowns sacrés. Etude II, 2020
John K.Cobra, Mascarade des clowns sacrés. Etude II, 2020 © Xavier Ess – Rtbf

La sculpture Mascarade des clowns sacrés, Etude II est un élément de son projet autour du clown sacré et du bouffon de cour qui ont une longue histoire en Afrique et en Europe.

Sara Sadik explore l'identité "périphérique" des quartiers Nord de Marseille.
Sara Sadik explore l'identité "périphérique" des quartiers Nord de Marseille. © Xavier Ess - Rtbf

Sara Sadik, afropéenne de troisième génération, explore la culture "beurcore", culture périphérique des jeunes Français d’origine maghrébine. A travers le récit à la première personne du personnage de Zine, jeune adulte face à son avenir, on plonge dans une réalité souvent caricaturée.

Sara Sadik, Khtobtogone , 2021
Sara Sadik, Khtobtogone , 2021 © Xavier Ess - Rtbf

Cette fiction Khtobtogone (de Khotba la demande en mariage), réalisée dans l’esthétique du jeu vidéo, est une réflexion sur la masculinité dans la communauté maghrébine de Marseille. Le déclassement social, Zine est livreur UberEats, la fraternité et la solidarité entre amis, la mystification de l’amour et de la famille comme passage à l’âge adulte, tout en perpétuant le lien indéfectible avec les hommes avec lesquels on a grandi. Une mixité construite, constituée d’une hybridation d’éléments de plusieurs cultures.

Sara Sadik, Khtobtogone , 2021
Sara Sadik, Khtobtogone , 2021 © Xavier Ess - Rtbf

Les œuvres de ces cinq artistes, et des seize autres, toutes d’une grande pertinence - certaines plus explicites que d’autres -, nous font vivre intensément ce décentrement bienvenu d’une vision monolithique européenne. Et en évitant tout "exotisme" qui renverrait chacun dans l’espace de sa culture. Tous et toutes, européen.ne.s de souche et afropéen.ne.s cocréons cette culture du dialogue, entre poids de l’Histoire et Europa Oxala. Traduction: Europe en devenir; work in progress.

Europa Oxala, exposition temporaire à l’AfricaMuseum jusqu’au 05 mars 2023

vue de l'exposition Europa Oxala, AfricaMuseum, Tervueren 2022
vue de l'exposition Europa Oxala, AfricaMuseum, Tervueren 2022 © Xavier Ess - rtbf

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