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Étaler sa richesse, est-ce encore « cool » dans le rap ?

Rick Ross, Zola et Gazo exposent leur richesse.

© Yves An

Par Alexandre Millet via

Les rappeurs ne manquent pas d’imagination pour étaler l’opulence dans laquelle ils vivent. Certains s’amusent à publier tous les biens bling-bling qu’ils possèdent sur les réseaux. Rick Ross est certainement un expert dans le domaine. Récemment, il a publié une photo de son nouveau jet privé. Il n’existe pas une publication sur son compte Instagram où sa richesse n’y est pas exposée. Voitures de luxe, grosses chaînes en or, bouteilles de champagne hors de prix, des vêtements que personne ne peut s’offrir, bref, la panoplie du riche flambeur.

Tout pour le show

Il existe plein d’autres moyens pour faire transparaître sa richesse quand on est rappeur. Simplement dans ses clips ou dans ses paroles. Gazo a su combiner ces deux techniques en 2022 dans le clip de "Celine 3x". Il expose des billets de 50€, mais il est surtout sapé de la tête aux pieds en Celine, la célèbre marque de luxe. Ses paroles sont tout aussi explicites : "ma monnaie ne fait que m’embellir", "j’suis pas en Dion, mais je m’habille en Celine".

La raison à ça ? Elle est simple : c’est la culture du rap. "Quand vous êtes rappeur, vous êtes dans une culture de l’ostentation, c’est-à-dire que ça fait partie de la culture d’exposer, voire de surexposer des richesses. Il est nécessaire donc de montrer son appartenance à cette culture en utilisant toute une série d’accessoires représentant une richesse, parfois nouvelle", explique Yves Collard, expert en éducation des médias. Il ajoute, "cette idée d’exposer sa richesse est une façon de surexposer en fait l’ascenseur social."

À la base, le hip-hop est un art qui vient de la rue. Les rappeurs ont souvent connu la galère et ils la racontent en bas des bâtiments. C’est le cas de nombreux OGs comme Kery James pour n’en citer qu’un. Mais la culture hip-hop évolue vite. Certains rappeurs se glorifient, se clashent et font la course à celui qui aura la plus belle chaîne autour du cou. C’est une manière de montrer qui est le plus fort dans le game. Mais porter de grosses chaînes en or, montrer des liasses de billets monstrueuses et conduire des grosses bagnoles n’a pas qu’un aspect compétitif. Cela permet aussi de montrer que l’on passe d’une classe sociale à une autre, chose relativement compliquée aux États-Unis.

Mais aujourd’hui, le public se demande ce que cela apporte à la musique. Ici, un follower de Gambo, un rappeur Ghanéen émergent, répond à l’une de ses publications : "Laisse parler ton travail acharné dans le rap game et arrête de montrer de l’argent tout le temps… Tu veux des fans fidèles ou des fans d’argent…"

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Plus on a, mieux on se porte ?

Les fans veulent désormais juger un artiste sur ce qu’il fait et non pas sur ce qu’il possède. Une étude publiée en 2022 dans le Journal International de Recherche Environnemental et de la Santé Publique, au Royaume-Uni s’est penchée sur le rôle que pouvait avoir le matérialisme dans la poursuite du bien-être. Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que "les valeurs matérialistes fortes ont des conséquences négatives sur le bien-être durable individuel".

Il y a une pression des réseaux sociaux

Ces valeurs matérialistes s’expriment notamment à travers les réseaux via des photos où l’on montre notre nouvel outfit ou pour un rappeur, sa dernière voiture de luxe par exemple. "Il y a une pression des réseaux sociaux. L’idée qu’il faut constamment proposer une vision idéalisée de soi-même est, pour moi, en lien avec une injonction globale de la société qui consiste à dire : "Vous devez améliorer constamment votre potentiel". Ça va les pousser à soigner davantage leur image via leur look ou leur pause sur les réseaux sociaux. Pourtant, ils ne sont pas comme ça dans la vie quotidienne. Ces personnes vont devenir en quelque sorte des icônes d’eux-mêmes en fait", raconte Yves Collard.

Jay-Z a déjà montré sa fortune par le passé, mais il est passé à autre chose. Il n’a plus l’envie de montrer à tout-va son opulence. "Je n’ai jamais dit qu’on ne devait plus faire le "money phone", je dis juste qu’on ne fait pas de l’argent pour le montrer sur internet. Tu peux le faire si tu veux, je ne suis pas la police du cool […]. Juste, mec, apprends de mon expérience. J’ai fait ça [par le passé]. Tout ce que je veux, c’est que les jeunes soit meilleurs que moi et qu’ils aillent plus loin", raconte Jay-Z dans un podcast.

Si Jay-Z demande aux jeunes rappeurs d’arrêter de montrer l’opulence dans laquelle ils se complaisent, c’est peut-être aussi pour préserver les jeunes adeptes de rap. Il se peut qu’il y ait un effet de comparaison qui puisse provoquer le mal-être d’un adolescent en construction. Bien qu’Yves Collard relativise : "les jeunes sont tout à fait conscients de l’usage des filtres ou du fait que le reflet des réseaux sociaux n’est pas réel. Les adolescents sont beaucoup plus conscients qu’on l’imagine et ne vont pas forcément vouloir correspondre à l’image qu’ils ont vue sur les réseaux sociaux."

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