Week-end Première

Et si on utilisait l’urine comme engrais au jardin ?

Projet d’urinoir féminin sec

© Louise Raguet

Un programme est actuellement mis au point pour récupérer l’urine humaine et l’utiliser comme engrais. L’objectif est de proposer un cycle de l’azote bien meilleur pour l’environnement. Des systèmes de récupération et une collecte à grande échelle pourraient-ils s’organiser un jour ? Explications avec Louise Raguet, qui a également créé un urinoir féminin à destination de l’espace public.

La problématique de l’azote

Pour pousser, les plantes ont besoin des nutriments qu’elles prélèvent dans le sol, principalement l’azote, le phosphore et le potassium. Pour maintenir la quantité de nutriments dans le sol, on répand des engrais après chaque culture. Depuis environ un siècle, les produits employés en agriculture conventionnelle sont des engrais de synthèse, des engrais chimiques fabriqués à partir de ressources fossiles, dans un processus très polluant et énergivore.

Ces nutriments assimilés par les plantes sont ensuite consommés par les humains, puis évacués entre autres par l’urine, lorsque notre corps n’en a plus besoin. Ces nutriments, qui sont en fait des engrais, finissent donc dans l’eau de nos toilettes. Cette eau rejetée à la rivière provoque une énorme pollution, comme si on versait de l’engrais directement dans l’eau, explique Louise Raguet.

Les stations d’épuration permettent bien sûr de purifier l’eau, mais ne peuvent enlever 100% de l’azote. En France, on estime que 40% de l’azote finit quand même dans la rivière. A l’échelle d’un énorme bassin de population comme la région parisienne, cela fait une très grosse quantité d’azote qui finit dans la Seine…

Par ailleurs, le traitement des eaux usées est très énergivore et émet beaucoup de gaz à effet de serre.

Enfin, l’azote intervient beaucoup plus qu’on ne le croit dans la perturbation du cycle naturel et de l’équilibre de la planète. Le dérèglement du cycle de l’azote est en réalité aussi important que celui du carbone. Les milieux naturels et aquatiques en particulier sont sursaturés en azote réactif et en sont totalement déséquilibrés. Certaines algues se développent exagérément et étouffent le milieu aquatique originel. C’est le cas dans la problématique des algues vertes en Bretagne, causée par le lisier animal qui procure un surplus de nutriment. Les poissons meurent par étouffement.

Quelle solution ?

La solution proposée par Ocapi, Organisation des Cycles Carbone Azote Phosphore, consiste à collecter et à séparer l’urine dans nos maisons, nos immeubles, nos bureaux, pour assainir nos cours d’eau et transformer cette urine en engrais.

Le programme s’attache à interroger les alternatives au tout à l’égout et les autres manières de gérer nos excréments. Si on pratique la séparation à la source, on obtient un engrais disponible pour l’agriculture, grâce à des transformations très simples et peu coûteuses en énergie.

Cette pratique existait jadis : dans les villes, à l’aplomb des habitations, des fosses de vidange récoltaient les matières, qui étaient ensuite collectées et exportées vers les campagnes pour enrichir les sols. Cette pratique a été perdue avec l’invention des engrais chimiques.

L’urine est-elle saine ?

L’urine est salubre, c’est-à-dire qu’elle n’est pas vecteur de microbes pathogènes, confirme Louise Raguet. Même l’OMS préconise son utilisation en agriculture, selon un protocole assez précis. Il n’y a pas de risque sanitaire, à l’inverse des matières fécales qui doivent être compostées parce qu’elles contiennent des pathogènes.

On peut donc utiliser l’urine directement dans son potager, en la diluant dans 20 fois son volume d’eau, selon la recette de Renaud de Looze, auteur de L’urine, de l’or liquide au jardin (Ed. Terran). On peut l’appliquer toutes les trois semaines sur ses cultures.

Comment récolter l’urine ?

On peut utiliser des urinoirs pour hommes, sans chasse d’eau, qu’il suffit de raccorder à une cuve.

L'urinoir féminin sans eau, développé par Louise Raguet

Louise Raguet a par ailleurs développé un urinoir féminin sans chasse d’eau, qui permet de collecter l’urine au même titre que les urinoirs masculins. Il propose aussi aux femmes une alternative plus rapide pour aller aux toilettes dans les lieux publics à forte affluence. L’urinoir est assez hygiénique, il s’utilise en position semi-accroupie, de façon à ne pas toucher la cuvette.

"C’est la position que la plupart des femmes pratiquent déjà dans les toilettes, sauf que là, l’objet est conçu pour que cette position soit facile et que cela n’éclabousse pas."
 


>>> Plus d’infos sur le site urinoirmarcelle.fr


 

Divers traitements possibles

Une filière entière doit être construite pour collecter tous ces millions de litres d’engrais naturel. Chaque contexte de collecte nécessite une logistique différente. Ainsi, à Paris, le quartier Saint Vincent de Paul va être construit dans le 14e arrondissement, et prévoit, via des toilettes à séparation d’urine, la collecte d’urine dans 600 logements. Elle sera ensuite centralisée au niveau d’une micro-usine de traitement, qui fabriquera un engrais à partir de la méthode de concentration des nutriments. L’urine sera d’abord stabilisée pour ne plus dégager d’odeur, puis distillée pour être concentrée. Elle passera ensuite sur un filtre à charbon pour éliminer les éventuels résidus pharmacologiques.

Ce traitement a été mis en place par un centre de recherche suisse, à Zurich : le Vuna. Le produit est déjà commercialisé dans les jardineries suisses, comme engrais naturel pour les potagers.

Ces installations d’extraction ne sont pas intéressantes à utiliser à l’échelle d’un ménage, car elles sont coûteuses et nécessitent de l’énergie. Elles sont intéressantes dans le cas de très gros volumes d’urine à récolter et à traiter. Pour des échelles plus petites, Louise Raguet conseille plutôt le simple stockage, dans le cas où le bâtiment est accolé aux champs. L’urine est alors stockée en cuve pendant 6 mois avant d’être utilisée directement en agriculture, une fois devenue engrais.
 

Cette transition prendra un peu de temps, d’un point de vue culturel, car le sujet est méconnu des agriculteurs et des citoyens, observe Louise Raguet. Une prise de conscience s’impose, pour utiliser cette ressource qu’on gaspille aujourd’hui et qui pollue les cours d’eau !

>> Ecoutez Louise Raguet ici !

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