Biodiversité

Et si on pratiquait l'apiculture darwinienne pour protéger les abeilles ?

Et si on pratiquait l'apiculture darwinienne pour protéger les abeilles ?

© Mandy Disher Photography

Les abeilles sont menacées. En France, près de 30% des colonies d'abeilles disparaissent chaque année.

Si de nombreuses initiatives ont vu le jour au cours de ces dernières années pour préserver les colonies d'abeilles productrices de miel, les espèces qui vivent à l'état sauvage sont également mises sur le devant de la scène car tout aussi menacées et pas moins précieuses pour l'environnement. Pourtant, celles-ci parviennent à mieux résister aux parasites et à mieux se reproduire.

Et si on s'inspirait davantage de leur mode de vie naturel pour préserver toutes les espèces ? C'est le postulat du chercheur américain Tom Seeley, auteur de l'ouvrage "L'Abeille à miel, la vie secrète des colonies sauvages", paru aux Éditions Biotope en mars 2021.

Ce livre, qui répertorie une quinzaine de propositions pour venir en aide aux abeilles, s'inspire d'un concept connu depuis longtemps mais pourtant peu exploré : l'apiculture darwinienne.

Yves Le Conte, directeur de recherche à l'INRAE et préfacier du livre de Tom Seeley, nous en dit plus.

 

À quels dangers les abeilles domestiques sont-elles exposées ? En quoi diffèrent-elles des abeilles sauvages ?

Par définition, toutes les abeilles sont sauvages. En France, on compte entre 900 et 1000 espèces d'abeilles. Parmi elles, certaines sont sociables, d'autres plutôt solitaires. L'abeille dite "domestique" fait partie de la première catégorie.

Mais à la base, l'abeille domestique vit à l'état sauvage. On trouve d'ailleurs encore des colonies d'abeilles domestiques, le plus souvent dans les trous d'arbres ou les toits de cheminée d'une maison car elles ont besoin d'une cavité pour se protéger. Elles sont dotées d'une forte capacité à produire beaucoup de miel, ce qui explique pourquoi elles ont été domestiquées.

Les plus menacées sont les abeilles solitaires car les femelles forment leur nid seules. Si elles meurent suite à une pulvérisation de pesticides, le nid ne survit pas. C'est différent pour les abeilles à miel car même si la butineuse est tuée, le reste de la colonie peut éventuellement s'en sortir et prendre le relais.

Avant, on ne parlait pas de la disparition des abeilles solitaires. Mais les apiculteurs ont lancé l'alerte il y a quelques années en disant que leurs colonies disparaissaient à cause des pesticides. Le fait d'être sensibilisés à la disparition d'abeilles domestiques nous a aussi fait prendre conscience que cela avait des conséquences sur les abeilles sauvages, qui ne sont malheureusement pas épargnées par le phénomène.

 

Qu'est-ce que l'apiculture darwinienne ?

Il s'agit avant tout de faire comprendre et de rappeler que les abeilles font partie de la nature et que les lois de Darwin les affectent tout autant que les autres espèces. La majorité des colonies dans les mains des apiculteurs ont subi des pressions : avec le varroa [parasite qui détruit les ruches], les néonicotinoïdes, le dérèglement climatique. Résultat, il ne reste pas beaucoup de colonies adaptées à leur environnement et capables seules de se défendre contre ces différentes menaces.

Malgré tout, on trouve dans plusieurs endroits du monde des colonies d'abeilles capables de résister à toutes ces menaces. À l'INRAE, nous suivons deux espèces depuis les années 90 en France mais nous pensons qu'il y en a plus. On en trouve également en Angleterre, en Suède ou encore aux États-Unis.

Tom Seeley les a étudiées pendant 40 ans, notamment celles que l'on trouve dans les troncs d'arbres. Ses travaux se basent principalement sur des observations de colonies d'abeilles. Il a notamment cherché à comprendre comment les abeilles survivent, loin de la main des humains.

 

En quoi un plus grand espacement des ruches permet-il de mieux protéger ces abeilles, comme le suggère Tom Seeley dans son livre ?

Quand les ruches sont disposées les unes à côté des autres, certaines abeilles qui sortent pour butiner se trompent de colonie : au lieu de rejoindre celle dont elles viennent, elles atterrissent dans celle d'à côté. Or, si elles arrivent avec un "butin", les gardiennes les laissent entrer dans la ruche. Si elles ont porteuses de virus, elles risquent de contaminer les autres colonies.

À l'automne, quand il n'y a plus rien à butiner, les abeilles ont tendance à se piller les unes les autres, c'est-à-dire à se voler leurs réserves de miel, ce qui contribue aussi à contaminer les colonies.

Dans son ouvrage, le chercheur Tom Seeley explique justement que lorsque la distance entre les colonies sauvages est plus importante, les abeilles résistent mieux aux agents pathogènes, précisément parce qu'elles restent éloignées les unes des autres.

 

Gratter la surface intérieure des parois de la ruche peut aussi fonctionner, selon Tom Seeley… Pourquoi ?

Il s'agit d'un lien entre la capacité des abeilles à récolter de la propolis et leur capacité à résister aux maladies. On sait notamment depuis longtemps que la propolis [substance résineuse récoltée par les abeilles] agit sur l'inhibition d'un certain nombre de microorganismes de la ruche. C'est aussi pour cette raison qu'on l'utilise sur les humains : cette substance permet de lutter contre les bactéries et les virus.

Au cours de ses observations, Tom Seeley a remarqué que les colonies sauvages déposent de la propolis sur toutes les parois de leur nid, ce qui n'est pas forcément le cas des abeilles hébergées dans les ruches des apiculteurs. Le chercheur propose donc de gratter l'intérieur de la ruche afin que les abeilles puissent déposer spontanément de la propolis de manière à les protéger contre les pathogènes. Tom Seeley a donc théorisé ce que l'on soupçonnait déjà mais qui méritait d'être démontré.

 

Quels sont les meilleurs gestes à adopter en tant que citoyen ? (Arrêter de manger du miel, faire pousser des fleurs mellifères dans son jardin, parrainer une ruche)

Je dirais que toutes les initiatives sont bonnes à prendre car elles représentent d'importants vecteurs pour sensibiliser le grand public à la protection des abeilles. La situation de ces insectes nous a ouvert les yeux sur ce qui se passe dans nos écosystèmes, en particulier pour les urbains, qui vivent loin de la nature.

Avant, on se contentait de décrire une abeille comme un insecte qui fabrique du miel et "qui pique". Aujourd'hui, le grand public sait à quel point les abeilles sont cruciales pour notre survie et celle de nos écosystèmes. Mais les gens ont surtout compris qu'elles sont en voie de disparition et sont donc conscients de l'absolue nécessité de les préserver.

Cette prise de conscience globale, notamment celle concernant les pesticides, est non seulement indispensable pour les abeilles mais permettra, en plus, de préserver les autres pollinisateurs comme les papillons ainsi que les autres insectes non ravageurs, dont la vie est également menacée par l'usage de pesticides.

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