Le monde a été particulièrement frappé par la catastrophe du Rana Plaza, le 24 avril 2013, à Dhaka, la capitale du Bangladesh. L’effondrement de cet immeuble abritant plusieurs usines de confection avait cependant été précédé par de nombreux autres accidents et incendies dans les usines de confection au Bangladesh depuis 20 ans. La mobilisation des ouvrières et ouvriers de la confection au Bangladesh, des syndicats et ONG nationales et internationales, ainsi que la prise de conscience provoquée par ces drames, a entraîné la conclusion entre tous les protagonistes, de nouveaux accords particulièrement innovant dans la mondialisation actuelle.
Depuis 1985, avec la mondialisation et la suppression des droits de douane européens et américains dans le textile, le Bangladesh a connu une croissance extraordinaire de son industrie de la confection, du prêt à porter. En 26 ans, jusqu’à 2012, elle est passée de 384 à 5 700 usines, des usines construites à la va vite, parfois des immeubles de bureaux transformés en ateliers avec de lourdes machines, des étages qui s’empilent les uns sur les autres souvent sans permis… L’emploi est passé de 115 000 à 4 millions de travailleurs, 80 pourcent de femmes… Elles sont les plus mal payées de toute l’Asie, avec des durées de travail harassantes. Et puis il y a les accidents : 226 accidents, incendies, écroulements d’usines en 26 ans, et les plus graves ces dernières années.
En 2005, l’effondrement de la fabrique Spectrum fait 64 morts et 70 invalides à vie. La coupe déborde.
De nombreuses associations, ONG et syndicats, internationaux comme bangladeshi, lancent une campagne, la Clean Clothes Campaign (campagne vêtements propres), pour exiger l’indemnisation des victimes et la prévention des accidents futurs.
Ces revendications s’adressent non seulement aux patrons du secteur de la confection et au gouvernement bangladeshi, mais aussi aux grandes marques de confection et aux grands distributeurs occidentaux. Elles sont les principaux clients des fabriques Bangladeshi, et à ce titre elles peuvent avoir une forte influence sur les conditions de travail et les salaires.
Les choses bougent un peu.
C’est surtout après cet incendie de l’usine Tazreen en novembre 2012 que de nouvelles règles s’ébauchent.
Un premier accord est signé au Bangladesh en février 2013 entre gouvernement, patrons et syndicats bangladeshi, pour améliorer la sécurité dans les fabriques. Comme les syndicats, réprimés dans les usines, sont très faibles dans ce pays, l’organisation internationale du travail, l’OIT, doit contrôler la mise en œuvre de cet accord. Un autre projet s’ébauche pour impliquer les grandes marques occidentales mais elles renâclent, très peu y souscrivent. C’est alors que survient, le 24 avril, l’effondrement du Rana Plaza.
La catastrophe du Rana Plaza a tué 1135 ouvrières et ouvriers et blessé, parfois rendu invalides, des centaines d’autres. Tout le monde est d’accord, même la BGMEA, la puissante association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh le dit : le Rana Plaza est un turning point, un tournant.
La catastrophe a donné un coup d’accélérateur aux discussions en cours et a généré plusieurs nouveaux accords, auxquels cette fois beaucoup d’acteurs ont souscrits. D’abord celui qu’on appelle " l’Accord " tout simplement : il engage les grandes marques et distributeurs.
En résumé, ces marques et enseignes s’engagent à faire tout ce qui est nécessaire pour requérir de leurs fournisseurs au Bangladesh, les conditions de sécurité optimales, garanties par des standards communs, menées par des audits sérieux et communs, transparents, le tout sous le contrôle de l’OIT. Si les fournisseurs refusent les injonctions de moderniser les usines, les clients s’engagent à leur retirer les commandes et les confier à d’autres, au Bangladesh toujours. Les marques occidentales, les grands clients, aideront financièrement les audits et si nécessaire les rénovations d’usines. Tout cela est contraignant et le non-respect de ces engagements peut être sanctionné par des tribunaux même dans les pays d’origine des clients, en Europe. L’accord est appuyé par l’OIT, par l’ONU, l’OCDE, l’union européenne.
Des noms comme H & M, C & A, Carrefour, Zara, Tesco et bien d’autres d’autres l’ont signé. 101 marques et enseignes à ce jour, ont rejoint en quelques mois certains rares précurseurs qui avaient déjà passé des accords du même genre auparavant.
Plusieurs grandes marques américaines comme Walmart, Gap, Penney, Macis, etc. ont refusé de s’engager dans cet accord et préféré une autre formule, " L’alliance ", un programme volontaire d’amélioration des conditions de travail chez leurs fournisseurs. La campagne vêtements propres a déploré cette initiative séparée, moins intéressante à ses yeux que l’Accord. Elle est juridiquement moins contraignante mais, par ailleurs, peut être mise en œuvre sans doute plus vite.
Par ailleurs, avant que tous ces nouveaux accords n’existent, certains distributeurs étaient déjà engagés, en collaboration avec la Clean Clothes Campaign, dans d’autres initiatives d’amélioration de choses au Bangladesh : c’est le cas de la Fair Wear Foundation, à laquelle participe par exemple le groupe belge Cotton Group.
La catastrophe du Rana Plaza a donc incontestablement fait évoluer les choses.
Elle a généré de nouveaux accords, particulièrement intéressant dans le contexte de la mondialisation actuelle. En effet, ils créent une sorte de coresponsabilité transnationale de tous les acteurs au sein d’une filière, la confection, ainsi que des lieux de concertation pour gérer cette coresponsabilité. Si ces formules réussissent, il n’est d’ailleurs pas exclu qu’elles puissent être étendues à d’autres secteurs, d’autres filières. Mais, il faut d’abord qu’elles fonctionnent.
Les enjeux actuels sont donc d’abord la mise en œuvre opérationnelle des accords, avec la coopération de tous. Toutes les usines du Bangladesh devront être inspectées dans un délai défini, selon des standards communs vérifiés par des audits communs. Cela met du temps à démarrer. Une partie du patronat du secteur est réticente et rejette l’essentiel du coût sur les marques. Le gouvernement aussi doit faire son travail, engager des centaines d’inspecteurs, modifier sa législation, jouer le jeu correctement alors qu’il est sous pressions des patrons, dont un certain nombre sont députés, et alors que la corruption est endémique dans ce pays. L’OIT surveille de près les avancées, elle déplore un rythme trop lent d’une part, mais, point positif, vient de finaliser ave tous les acteurs le système de standards et d’audits communs.
Et puis, facteur essentiel, la reconnaissance et le respect des syndicats est encore loin d’être acquise ans les entreprises, malgré des modifications récents de la loi. Les militants et délégués syndicaux sont toujours visés, harcelés, souvent licenciés. Or les syndicats ont un rôle majeur à jouer, non seulement pour défendre directement les travailleurs, mais aussi pour identifier les problèmes, repérer les dangers, éviter les catastrophes. S’il y avait eu des syndicats au Rana Plaza, ils auraient empêché les travailleurs d’entrer et la catastrophe n’aurait pas fait toutes ces victimes.
Enfin n’oublions pas l’indemnisation des victimes des catastrophes passées.
La sécurité sociale est faible au Bangladesh, l’indemnisation qu’elle offre aux victimes est très insuffisante. Des dispositifs particuliers, spécifiques à chaque catastrophe, doivent chaque fois être mis en place, avec des fortunes diverses. A part des aides d’urgence, les familles des morts et les blessés du Rana Plaza ont très peu été aidées à ce jour. Des négociations se poursuivent pour que gouvernement, patrons bangladeshi, grandes marques et distributeurs - clients, prennent ensemble en charge une indemnisation correcte, ce qui est loin d’être le cas aujourd'hui.
Marc Molitor et Patrice Hardy