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Espagne et franquisme : que prévoit la loi de "mémoire démocratique" adoptée mercredi par le Parlement espagnol ?

Recherche des restes de personnes exécutées sous le franquisme dans un cimetière près de Malaga en 2012

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Par Alain Lechien

Une loi de "mémoire démocratique" a été adoptée ce mercredi par le Parlement espagnol. Cette législation concerne le passé franquiste de l’Espagne. Que prévoit cette nouvelle loi ?

Exhumation des disparus, création d’une banque de données ADN

L’exhumation de plus des 114.000 disparus : selon la nouvelle loi, la recherche des victimes disparues pendant la Guerre civile (1936 à 1939) et pendant la dictature (jusqu’à la mort du dictateur Francisco Franco en 1975) deviendra pour la première fois une responsabilité de l’État. Ce sont donc les autorités qui financeront directement les fouilles et les exhumations. Auparavant, les descendants des victimes devaient faire appel à des organismes tels que l’Association pour la réhabilitation de la mémoire historique (ARMH) pour les aider à faire ce douloureux travail de mémoire, exhumer les corps avant de leur donner des funérailles décentes.

Le Premier ministre Pedro Sanchez estime qu’il y a encore aujourd’hui au moins 114.000 "disparus forcés", c’est-à-dire des personnes dont le sort a été volontairement dissimulé. Actuellement, les disparus de la Guerre civile sont très majoritairement républicains puisque le régime franquiste avait déjà exhumé de nombreuses victimes issues du camp nationaliste des fosses communes, afin de leur donner une sépulture. Une banque d’ADN des victimes sera créée afin de faciliter leur identification tandis qu’une carte de toutes les fosses communes du pays sera élaborée. Pour mieux comprendre ce que représente le combat des descendants des victimes du franquisme, voyez le documentaire Los Nietos, réalisé par Marie-Paule Jeunehomme.

Annulation des condamnations prononcées sous le franquisme

La loi d’amnistie de 1977 prévoyait une transition graduelle au niveau institutionnel et politique. Elle incluait tous les délits antérieurs à 1976, mais elle instaurait aussi une sorte d’impunité pour les actes de violence institutionnelle perpétrés sous la dictature. La nouvelle loi votée mercredi vise à annuler les condamnations prononcées pendant la période franquiste.

Les bébés volés considérés comme victimes du franquisme

Les bébés volés aux familles de républicains par le régime seront désormais considérés comme des victimes du franquisme. Durant la répression qui a suivi la Guerre civile, le régime a soustrait des enfants à des familles républicaines accusées de leur transmettre le "gène" du marxisme. À partir des années 1950, le régime a élargi ce vol à des enfants nés hors mariage ou dans des familles pauvres ou nombreuses. Souvent grâce à la complicité de l’Église, des bébés étaient déclarés morts après l’accouchement, sans que l’on fournisse de preuves aux parents, puis adoptés par des couples qui ne parvenaient pas à avoir d’enfants et en général proches du régime franquiste. Après la mort de Franco en 1975, des trafics de bébés ont continué (notamment pour des raisons financières) jusqu’à l’adoption en 1987 d’une loi renforçant le contrôle de l’adoption.

Il n’y a aucune estimation officielle du nombre de bébés volés en Espagne. Les associations de victimes évoquent le chiffre de plusieurs milliers d’enfants qui seraient concernés. Quant à la justice espagnole, elle estimait en 2008 à plus de 30.000 le nombre d’enfants de républicains morts ou faits prisonniers durant la Guerre civile, dont certains ont pu être "volés", et qui ont été placés sous tutelle par l’État franquiste rien qu’entre 1944 et 1954.

Entre 2011 et 2019, 2136 plaintes à ce sujet ont été enregistrées en Espagne, mais aucune n’a abouti, principalement en raison de la prescription des faits.

La nouvelle loi prévoit qu’un parquet dédié aux enquêtes sur les violations des droits humains commises durant la Guerre civile et la dictature sera créé. Jusqu’à présent, une loi d’amnistie datant de 1977 avait empêché toute poursuite au nom de la transition vers la démocratie. Cette législation de 1977 avait été critiquée, elle impliquait une continuité juridique entre la dictature franquiste et la démocratie d’aujourd’hui.

Ni indemnisation, ni réparation

Dans la nouvelle loi, il n’est en revanche toujours pas question d’indemnisation ou de réparation : ce débat semble toujours tabou en Espagne, tant les montants en jeu pourraient être colossaux.

Après avoir été votée en première lecture par la Chambre des députés mi-juillet, cette nouvelle loi a été adoptée définitivement mercredi par le Sénat avec 128 voix pour, 113 contre et 18 abstentions. Ce score indique que, près de cinquante après la mort de Franco, une partie de la société espagnole ne semble pas prête à tourner la page.

En 2019, la dépouille de Franco avait été exhumée de son mausolée monumental situé près de Madrid. L’idée était d’éviter que ce mausolée soit encore un lieu d’apologie du franquisme. La loi votée mercredi est présentée par le gouvernement espagnol comme une nouvelle étape dans les rapports entre l’Espagne et la Guerre civile et la période franquiste.

Espagne : Franco exhumé de son mausolée monumental

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