Epitaphe de Seikilos, une musique du IIe siècle avant notre ère qui reprend vie
Journal du classique

Epitaphe de Seikilos, une musique du IIe siècle avant notre ère qui reprend vie

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Par Céline Dekock

    L’épitaphe de Seikilos est l'une des plus anciennes et des plus précieuses traces de musique grecque. L’histoire de sa découverte et celle qu’elle renferme ont participé à la renommée de cette épitaphe qui trône actuellement au Musée National du Danemark, à Copenhague.

    Les voix du passé ne se sont pas toutes tues. Si nous savons de manière certaine que la musique occupait une place centrale dans les civilisations antiques, que ce soit en Grèce, à Rome ou en Egypte, grâce à des peintures, des fresques ou encore des vases et amphores décorées de scènes musicales, il ne nous reste que peu de traces physiques des instruments ou de partitions de musique de cette époque. 

    Dans la Grèce antique, la musique occupait une place de premier ordre, aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère politique et religieuse. L’esthétique musicale est d’ailleurs l’un des piliers de la République de Platon, qui se plaisait à dire que pour "connaître un peuple, il faut écouter sa musique".

    Une stèle menacée par un chemin de fer

    Stèle portant l’inscription de Seikilos, datant du IIe siècle avant Jésus-Christ, exposé au Musée National du Danemark, à Copenhague

    La plus ancienne trace de musique grecque "complète" est la célèbre stèle de Seikilos, datée du IIe siècle avant notre ère, et découverte à la fin du XIXe siècle par Sir William Ramsey à l’occasion de la construction du chemin de fer ottoman.

    Tout commence en 1883, lorsque Sir William Ramsey découvre une tombe à une trentaine de kilomètres d’Ephèse, se trouvant sur le tracé du futur chemin de fer ottoman. En inspectant la stèle, Ramsey remarque des signes musicaux présents au-dessus du texte et tente de les retranscrire.

    Entre-temps, le directeur des chemins de fer ottomans, Edward Purser décide de s’octroyer la stèle. Lors de l’extraction, la stèle est endommagée à sa base, au niveau des deux dernières lignes de texte. Le directeur des chemins de fer ottoman offrit la stèle à sa femme pour que celle-ci puisse y poser ses fleurs. Une bien drôle de fonction pour un vestige du passé aussi précieux.

    Cette stèle contient en effet la plus ancienne source de musique grecque complète jamais mise au jour. Cette petite stèle marquait donc l’emplacement d’une tombe. Son auteur, Seikilos le Sicilien, a livré cette épitaphe à un membre de sa famille.

    Maxime épicurienne et dédicataire inconnu

    Le texte présent sur la stèle comporte tout d’abord trois vers, traduits comme suit par les chercheurs : "La pierre que je suis est une image. Seikilos me place ici, Signe immortel d’un souvenir éternel." Ces vers nous permettent donc d’identifier l’auteur de cette stèle, un certain Seikilos. Ils nous permettent également de supposer la raison d’être de cette stèle, à savoir l’hommage à un être aimé.

    Le texte se poursuit avec ce que l’on appelle "le chant de Seikilos", c’est-à-dire, la partie de la stèle qui comporte une notation musicale, est une maxime épicurienne. La traduction donnée au texte est la suivante :

    Texte présent sur la stèle dite "de Seikilos"

    Tant que tu vis, brille !
    Ne t’afflige absolument de rien !
    La vie ne dure guère.
    Le temps exige son tribut

    La vie est courte, la fin ne peut pas être évitée, donc, jouis de chaque instant !

    Si la traduction de ce texte n’est pas sujette à discussion, le dédicataire de cette stèle, en revanche, fait débat et aucun consensus clair n’a été trouvé parmi les spécialistes.

    En effet, c’est à la base de la stèle que l’on retrouve la mention de la personne à qui est dédiée la stèle. Le souci est que cette base a été fortement endommagée lors de l’extraction de la stèle à la fin du XIXe siècle et il est difficile de déterminer avec exactitude le dernier nom, ce qui donne lieu à plusieurs interprétations.

    Représentation d'Euterpe, muse grecque de la muse, à qui le chant de Seikilos est peut-être adressé

    Les trois interprétations les plus répandues sont :

    Σείκιλος Εὐτέρ(πῃ) (Seíkilos Eutér(pei), "De Seikilos à Euterpe") suggérerait une dédicace de Seikilos à son épouse, qui se prénommait Euterpe.

    Une autre reconstruction possible propose Σείκιλος Εὐτέρ[που] (Seikilos Euter[pou], "Seikilos [fils] d’Euterpos"). La stèle serait alors dédiée au père de Seikilos.

    Enfin, une autre traduction potentielle ferait de l’auteur de cette épitaphe "Seikilos [fils de la muse] Euterpe". Dans la mythologie grecque, Euterpe est une muse qui présidait à la musique, et dont l’un des attributs est la flûte. Certains écrits lui attribuent même l’invention de l’aulos, instrument à vent de la Grèce antique. Sur la représentation présentée à gauche, Euterpe joue d’ailleurs de l’aulos.

    La musique du passé voyage jusqu’à nous

    Au-dessus du texte grec, sur la partie inférieure de la stèle, les archéo-musicologues ont pu identifier des signes de notation de musique vocale. Il faut savoir que la notation musicale de la Grèce antique diffère en tout point de notre système actuel. En effet, les Grecs avaient développé un système de notation de la musique extrêmement complexe, comportant près de 1700 signes, et différenciant la notation de la musique vocale et la notation de la musique instrumentale.

    Afin de retranscrire les notes présentes sur la stèle de Seikilos, dans notre système de notation musical actuel, les chercheurs ont fait appel aux "Tables d’Alypius", un précieux traité qui consigne, dans différentes tables, le nom de chacune des notes de musique et y a associé le signe correspondant dans la notation de la musique vocale et le signe correspondant dans la notation de la musique instrumentale. Une véritable "Pierre de Rosette" de la musique de la Grèce antique.

    C’est grâce à ces fameuses Tables d’Alypius que les archéo-musicologues ont réussi à redonner vie à cette musique du IIe siècle avant notre ère, que l’on peut entendre ci-dessous.

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