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Entre instabilité et manque d'écolage, les jeunes enseignants sont nombreux à abandonner en début de carrière

20% des jeunes enseignants quitteraient donc la profession dès la première année.

© Getty Images

Par Estelle De Houck

L’enseignement manifestait son ras-le-bol ce jeudi. Le secteur est épuisé, si bien que pas moins de 34% des enseignants belges francophones ont pensé à quitter la profession durant l’année scolaire 2020-2021. Un constat qui n’épargne pas les plus jeunes : ils sont nombreux à abandonner le métier aux prémices de leur carrière.

Selon une étude publiée en 2013, un jeune enseignant sur cinq quittait la profession dès la première année. Huit ans plus tard, il semblerait que la situation ne se soit pas arrangée. Certes, il n’y a pas eu de nouvelle enquête pour réévaluer les chiffres, "mais ils n’ont pas fondamentalement évolué" affirme la docteure en sociologie et assistante à l’administration scolaire de l’UMons Sandrine Lothaire, dont la thèse parue en 2021 traite du parcours des enseignants débutants.

Aujourd’hui encore, 20% des jeunes enseignants quitteraient donc la profession dès la première année. 35% le feraient endéans les cinq premières années d’enseignement. "Ces chiffres sont particulièrement élevés", reconnaît la sociologue. "Mais ils sont à nuancer", insiste-t-elle.

Pourquoi ? Parce que ces pourcentages représentent un taux global sur l’ensemble des jeunes enseignants. Or, la qualification professionnelle du néophyte joue particulièrement sur les taux de sortie de la profession.

La formation pédagogique

Commençons par nuancer ces pourcentages sur base du titre pédagogique du professeur. En effet, un enseignant non titulaire d’une formation pédagogique serait davantage sujet à quitter la profession au début de sa carrière.

35% d’entre eux abandonneraient l’enseignement dès la première année. 60% endéans les cinq premières années. Or, d’après Sandrine Lothaire, ils représentent près d’un quart des enseignants débutants en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il ne faut donc pas sous-estimer leur poids dans l’équation.

A l’inverse, du côté des titulaires d’un titre pédagogique, ils sont moins nombreux à quitter le secteur. Ils sont seulement 7,4% à se réorienter après la première année de noviciat. Au terme des cinq premières années, ils sont 20%.

A noter qu’au sein même des diplômés pédagogiques, des différences existent en fonction du type de cursus. Ainsi, les jeunes agrégés de l’enseignement secondaire supérieur (AESS) et les titulaires d’un master à finalité didactique sont plus nombreux à quitter l’enseignement : 14% au bout d’un an, 31,5% endéans les cinq ans.

Le baptême du feu

L’instabilité à l’entrée du métier explique en grande partie ces abandons. En effet, si la possibilité d’être nommé dans l’enseignement officiel – ou engagé à titre définitif dans le réseau libre – garantit aux enseignants chevronnés une stabilité d’emploi à vie, cela se fait au détriment des nouveaux venus.

"L’entrée en fonction est un véritable problème dans l’enseignement. On entend souvent qu’il s’agit d’une question de baisse de motivation, mais cela tient aussi aux conditions d’emploi et aux inégalités en termes de stabilisation à l’entrée en fonction", reconnaît Marc Zune, professeur à l’Institut d’analyse du changement dans l’histoire et les sociétés contemporaines de l’UCLouvain.

On utilise les jeunes comme variables de flexibilité

"On utilise les jeunes comme variables de flexibilité. Ils vont alors se retrouver sur des emplois précaires à courte durée", commente Sandrine Lothaire.

"C’est le propre d’une série de profession où les premières années doivent être difficiles. Ça marche quand on est dans des professions où cette stabilisation conduit à des emplois qui sont bien rémunérés, de grande qualité avec de l’autonomie professionnelle, etc. Mais ici les conditions de travail se dégradent dans le temps. Les jeunes voient bien que cela reste compliqué et tout cela conduit à une vision pessimiste", ajoute Marc Zune.

"Quand on interroge les enseignants, ils sont unanimes : ils n’ont pas été assez formés à l’ensemble des facettes du métier d’enseignant"
"Quand on interroge les enseignants, ils sont unanimes : ils n’ont pas été assez formés à l’ensemble des facettes du métier d’enseignant" © Getty Images

De fil en aiguille, les jeunes enseignants qui se retrouvent avec les classes plus difficiles, les horaires plus inconfortables. "Sans oublier qu’ils doivent créer leurs cours au jour le jour en parallèle du travail de correction. Ils doivent donc composer avec toutes ces variables, sans oublier la gestion de classe", illustre la sociologue.

Les horaires, les parents, les corrections… "il n’y a qu’à l’épreuve d’une première année de travail qu’on s’en rend compte", ajoute Marc Zune.

Et faire ses armes n’est pas toujours simple, encore moins pour les enseignants qui ne possèdent pas de titre pédagogique et qui n’ont donc pas été préparés au métier.

Former et armer davantage

Face à ces constats, plusieurs pistes ont été soumises à plusieurs reprises auprès du politique, "mais elles n’ont pas trouvé écho", regrette la sociologue.

La question du mentorat, par exemple, pourrait favoriser des débuts de carrière plus sereins. Or, s’il est déjà imposé aux directions d’accompagner les jeunes enseignants "c’est un accompagnement très léger qui se limite à présenter les locaux, par exemple", remarque Sandrine Lothaire. En d’autres termes, si certaines écoles font figure de pilote, d’autres restent réticentes.

Autre piste, proposer aux jeunes de se faire leurs armes en bénéficiant d’une année scolaire complète, en remplacement d’un enseignant chevronné. "Pendant une moitié d’année, on pourrait suggérer aux chevronnés d’endosser les remplacements pour se frotter à d’autres réalités – cela pourrait être considéré comme de la formation continue. Et pendant l’autre moitié, on pourrait proposer des formations de plus longue durée." Mais là encore, la proposition n’a pas encore convaincu.

Attirer les nouvelles recrues

Terminons toutefois par une note positive : la réforme de la formation initiale des enseignants a pour vocation d’améliorer le cursus des enseignants. Aux yeux de Sandrine Lothaire, cette réforme "prend tout son sens", au vu des différents constats évoqués ci-dessus.

D’autant plus que, "quand on interroge les enseignants, ils sont unanimes : ils n’ont pas été assez formés à l’ensemble des facettes du métier d’enseignant", ajoute-t-elle. "Les cours qui seront ajoutés seront vraiment dans l’objectif de lier théorie et pratique pour les armer davantage", ajoute-t-elle.

Et il est grand temps, car le taux de sortie des jeunes enseignants serait en partie responsable de la pénurie du secteur. "Cette pénurie tient plus aux taux de sortie des jeunes ayant intégré le métier qu’à un manque de diplômés pédagogiques. Sans ces départs, ce ne serait pas aisé de pourvoir tous les postes, mais la pénurie serait moins marquée", conclut-elle.

Si cette grève témoigne d’un le ras-le-bol du secteur, elle montre donc bien l’importance des nouvelles recrues. "On va avoir besoin d’attirer la main d’oeuvre nouvelle qui est prête à frapper à la porte de l’enseignement pour soutenir les équipes", conclut Marc Zune.

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