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Entre deux boulettes, on a discuté de la scène musicale avec DJ Marcelle

© Johan Poezevara & Fabien Silvestre Suzor

Par Guillaume Scheunders via

Depuis de nombreuses années, DJ Marcelle égraine les scènes des clubs et festivals du monde entier, portée par un amour brut de la musique et une personnalité hors du commun. Elle qui se joue des codes et du conformisme était de passage par Arlon à l’occasion du festival Les Aralunaires. On a pu la rencontrer pour discuter avec elle de sa vision de la sphère musicale, de sa démarche artistique ou encore de la société.

Arlon, 12 septembre, 18h30. Après deux heures de set intenses voyageant à travers les genres et les émotions, carbonisant au passage un caisson de basses, Marcelle Van Hoof nous retrouve en backstage, plaçant entre elle et nous un plat de boulettes sauce lapin qui lui avait été promis, et nous demandant d’ailleurs entre deux questions d’immortaliser l’instant. Le décor est planté, on peut commencer l’interview. "Je ne suis pas du genre à voler vers un endroit, jouer mon set, prendre des drogues, rentrer à l’hôtel, dormir puis prendre l’avion le lendemain. Je ne vis pas cette vie. J’aime voir la ville dans laquelle je joue, je me promène, je goûte de la bonne nourriture, je vais au musée… Je prends beaucoup de plaisir à ce niveau-là."

Je ne cherche pas de disques, je trouve des disques

N'étant pas passée du côté de Park Music, le dernier disquaire de la province du Luxembourg, elle n’a pas pu trouver de merveilles avant son concert comme elle a l’habitude de faire dans les villes où elle se rend, mais sans jamais rechercher quelque chose en particulier. "Je ne cherche pas de disques, je trouve des disques. C’est jouer sur les mots, mais c’est une grosse différence. Je suis curieuse, j’écoute beaucoup de musique que je ne connais pas, ce qui me fait découvrir plein de choses. Parfois, la pochette m’intrigue. Je connais beaucoup de labels et d’artistes donc je sais ce qui peut être intéressant. En général, je ne joue pas des disques conventionnels. Je suis plus attirée par des choses qui me surprennent, ou même qui m’énervent. C’est plus important que le style musical en lui-même."

Sans compromis

"Je ne me suis jamais dit que j’allais passer de la musique à des personnes. Ça a grandi de façon organique. J’ai toujours acheté des disques et j’ai voulu les partager à d’autres personnes, mais je n’ai jamais pris la décision de devenir DJ." Depuis toute jeune, bercée par le mouvement punk, Marcelle met un point d’orgue sur sa liberté personnelle, liberté qui l’a dirigée vers le milieu musical. Et depuis plus de 20 ans elle a fait du DJing son gagne-pain, après être passée par le journalisme de la même manière, naturellement. Et tout cela, sans jamais faire de compromis. "Je réalise que je suis privilégiée, mais je suis aussi fière de moi, car c’est vraiment compliqué pour des femmes de se frayer un chemin dans une sphère très masculine. Beaucoup de jeunes femmes viennent me parler, elles me voient comme une sorte de modèle. Elles pensent toutes qu’elles devraient mixer comme les hommes, de façon très technique. Mais les femmes sont en général plus intuitives, moins focalisées sur le fonctionnement des choses, elles agissent, tout simplement."

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Enfreindre les règles

Avec l’expérience accumulée via son parcours, qu’il soit journalistique ou artistique, il était forcément indispensable d’avoir son avis sur l’industrie musicale actuelle, et plus particulièrement sur la scène électronique. "Ce n’était pas vraiment différent avant, que ce soit la dubstep, la techno, la drum and bass, le punk ou le dub. En général, j’aime quand certaines règles musicales sont enfreintes. J’ai une bonne oreille pour les nouvelles sonorités, je suis curieuse. J’ai été introduite à la musique à 13 ans avec le punk, dans les années 70. Mais souvent, quand un style devient populaire, des gens disent qu’il y a des règles à suivre." Et pour la Néerlandaise, c’est là que la musique perd tout son intérêt, lorsqu’elle devient une formule. Un point de vue qu’elle prolonge sur la sphère DJ : "Quelle est la définition du disc-jockey ? À quoi sert-il ? À satisfaire son public, lui donner ce qu’il veut et être un divertissement ? Ou bien à être un artiste ? Je ne jouerai jamais pour satisfaire mon public. Je sais très bien quel morceau je dois passer pour que tout le monde danse. Mais si je passe un morceau comme ça, je ne vais pas continuer dans le même style après, parce que je veux que les gens sortent de leur zone de confort. Un artiste doit toujours avoir un coup d’avance sur son public, c’est lui qui doit décider de ce qui va arriver."

Qu’ils commencent d’abord par trouver de la bonne musique !

Post-punk dans son attitude, dub dans sa vision musicale, Marcelle Van Hoof n’hésite pas à dézinguer la scène musicale actuelle. Que ce soit les nouveaux groupes de post-punk, qu’elle trouve trop conventionnels et manquant de développement depuis l’avènement du genre, ou les DJs qu’elle trouve dénués de créativité. "La qualité des DJs s’est beaucoup détériorée. D’abord avec la digitalisation : n’importe qui peut monter sur scène et jouer grâce au beatmatching. Je passe le plus clair de mon temps à chercher de bons morceaux et c’est quelque chose que les gens ont tendance à oublier, surtout les hommes. Ils sont très focalisés sur l’aspect technique. Pour moi, c’est très cliché, ça manque de liberté. Qu’ils commencent d’abord par trouver de la bonne musique !"

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Un milieu calqué sur la société

Toujours en parlant du monde musical, celle qui se fait aussi appeler Another Nice Mess (en référence au film de Laurel et Hardy) n’hésite pas à mettre celui-ci en parallèle avec la société au sens global. "Nous vivons dans une société très néo-libérale, tout le monde veut réussir, avoir du succès, mais seulement en termes de notoriété ou d’argent, jamais artistiquement. Pour moi, il faut d’abord être intéressant artistiquement et le reste vient par après."

Elle enchaîne ensuite sur la nécessité de rester soi-même et de travailler sa propre singularité, elle qui n’a jamais changé son comportement entre le début de sa carrière et aujourd’hui. "Il faut pouvoir se regarder dans le miroir et se dire “je suis moi, je ne simule pas quelque chose. Tu peux ne pas m’aimer mais je ne mens pas, je ne suis pas là pour plaire à quiconque”. Je ne vais jamais jouer de la musique que je n’aime pas pour plaire à une audience, ce qui me rend toujours très relâchée. J’aime être très créative avec la musique, ça me rend heureuse. C’est aussi pourquoi j’ai commencé à mixer sur trois platines. À tout moment, on entend au moins deux morceaux en même temps. Cela rend tout plus intéressant. Je n’ai jamais rencontré personne qui mixait comme moi. Je ne croise jamais beaucoup de vraies personnalités, de personnes qui font vraiment ce qu’elles veulent, sans la pression de comment les choses devraient être."

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Punk’s not dead

On devine une vision assez péjorative de la musique actuelle chez DJ Marcelle, mais son activité de DJ en elle-même prouve qu’elle reste encore émerveillée par un tas de nouvelles sorties. Plus que la musique en elle-même, ce sont les mentalités qu’elle décrie. De là à regretter l’ère punk et le lot de libertés qu’elle offrait ? Pour elle, c’est un non catégorique"Je ne suis pas de ceux qui disent “c’était mieux avant”. Pour moi, ça n’a aucun sens, parce qu’on ne parle que des bonnes choses mais on oublie que c’était aussi une période merdique. Mais l’influence du punk au niveau des mentalités est toujours présente. Le “DIY”, faire pousser sa propre nourriture, ça existe encore. Organiser ses propres concerts, sortir ses propres disques sans Major… Tout cela découle du punk. Avant cela, il fallait aller dans des académies de musique rien que pour pouvoir jouer de la guitare. Rien n’était libre."

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Si elle ne trouve pas forcément d’inspiration dans la musique d’autres artistes, bien qu’elle trouve la musique électronique "beaucoup plus intéressante que les groupes à guitares de nos jours", DJ Marcelle s’associe beaucoup à la démarche artistique de l’Art Brut. "J’aime beaucoup car c’est toujours un peu personnel. Ces artistes ne créent pas ces œuvres pour devenir célèbres ni pour gagner de l’argent, mais juste par nécessité intérieure. Évidemment, je n’ai pas de problèmes de cerveau ou autres comme certaines de ces personnes ont, mais je m’identifie à leur démarche. Ils ne veulent pas forcément être dans un musée, être vus, ils créent juste. C’est quelque chose que je trouve très inspirant."

Très focalisée sur le présent, Marcelle n’a pas pour habitude de se projeter dans le futur. "C’est une mauvaise attitude d’avoir certains objectifs, car tu es toujours déçu si tu ne les atteins pas. Je ne m’occupe que de la manière dont les choses se déroulent actuellement, ce qui est parfait pour moi. Le plus important, c’est d’être en paix avec soi-même, de rencontrer des personnes sympathiques… C’est une expérience très enrichissante."

On arrive donc à la fin du plat de boulettes, ainsi que de la demi-heure que cette super-mamie des platines nous a accordée pour partager sa vision singulière du monde qui l’entoure ainsi que sa passion pour la découverte et son amour du son. Une chose est certaine : il y a beaucoup de DJs mais il n’y a pas deux DJ Marcelle.

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