Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a annoncé la couleur, avant même la première rencontre qu’il tient ce jeudi en Alaska avec son homologue chinois : "C’est important d’avoir une occasion de nous parler directement, clairement, ouvertement, pour prouver à nos homologues" que "les inquiétudes que nous avons exprimées publiquement sont les mêmes que nous exprimerons en privé".
L’administration Biden veut faire passer le message à Pékin que la fermeté qu’elle affiche depuis son entrée en fonction n’est pas du bluff : les États-Unis sont prêts à mener un long bras de fer avec l’autre superpuissance économique mondiale.
Pékin représente une menace
Pékin devra poser des actes pour rétablir une confiance minimale avec les États-Unis. Devant le Congrès, le secrétaire d’Etat américain avait estimé que "les actes et l’attitude de Pékin représentent une menace pour la sécurité, la prospérité, les valeurs des Etats-Unis et de nos alliés et partenaires". En ajoutant qu’il allait évaluer "s’il y a des possibilités de coopération".
Sous la présidence de Donald Trump, les relations Chine-Etats-Unis se sont progressivement détériorées, au point que l’on évoque désormais un climat de guerre froide. Si les Chinois espéraient que le changement d’administration apporte un assouplissement, la réponse de Joe Biden est "peine perdue": le nouveau président américain a repris à son compte la fermeté de son prédécesseur.
L’alliance anti-Pékin : le Quad
Mais Joe Biden a choisi de changer radicalement de méthode. Là où Donald Trump agissait par coups d’éclat et décisions unilatérales, il a décidé d’élaborer face à la Chine une stratégie concertée avec les alliés des États-Unis à travers le monde, en Europe et en Asie en particulier.
Dans la région, il s’appuie désormais sur une alliance anti-Pékin baptisée "le Quad" qui réunit États-Unis, Australie, Corée du Sud et Japon. Ce groupe est élevé au rang de "principal atout stratégique de l’Amérique", au même titre que l’Otan.
Premier sommet virtuel
Pour bien montrer aux Chinois la réalité de cette nouvelle coopération régionale, Joe Biden a organisé en février le premier sommet virtuel du Quad. Aucun des quatre dirigeants n’a ouvertement cité la Chine. En jargon diplomatique, cela s’est traduit par des discussions sur la "sécurité maritime" et le maintien d’une région indo-pacifique "libre et ouverte".
Poursuivant sur cette lancée, Anthony Blinken s’est rendu à Tokyo et à Séoul, en compagnie du ministre américain de la Défense Lloyd Austin. Le chef du Pentagone s’est lui rendu en Inde. Et le Premier ministre japonais sera, en avril, le premier dirigeant étranger à être reçu en personne aux Etats-Unis par le nouveau président.
Le plus grand défi géopolitique du XXIe siècle
"La vraie force, ce ne sont pas les fanfaronnades et les coups de menton. Elle ne s’appuie pas uniquement sur la puissance militaire", avait expliqué Antony Blinken lorsqu’il avait présenté sa politique à venir. Cela signifie "travailler avec nos alliés et partenaires sans les dénigrer, car nos poids combinés rendent beaucoup plus difficile pour la Chine de nous ignorer", a-t-il martelé. Il avait aussi souligné la nécessité pour les États-Unis de reprendre leur place au sein des organisations internationales, car "lorsque nous les avons quittées, la Chine a rempli le vide".
Antony Blinken avait alors érigé la compétition avec la Chine en "plus grand défi géopolitique du XXIe siècle" et en priorité de sa politique étrangère. "La Chine est le seul pays avec la puissance économique, diplomatique, militaire et technologique susceptible d’ébranler sérieusement le système international stable et ouvert, toutes les règles, valeurs et relations qui rendent le monde tel que nous voulons qu’il soit", a-t-il affirmé.
Compétition, collaboration, antagonisme
Il avait promis que les relations avec Pékin seraient un mélange de "compétition quand ce sera sain", "collaboration quand ce sera possible" et "antagonisme quand ce sera nécessaire".
Lors de sa rencontre ce jeudi avec son homologue chinois, Antony Blinken a affirmé vouloir aborder notamment les sujets sur lesquels Washington a "de profonds désaccords". Voici les principaux sujets de contentieux mis en avant par les États-Unis.
► Les pratiques économiques chinoises. L’administration Biden effectue un examen complet de la relation commerciale entre les deux premières puissances mondiales. Dans la continuité du gouvernement dirigé par Donald Trump, l’actuel exécutif estime que les pratiques commerciales chinoises sont "déloyales", en pointant les pressions économiques, des mesures injustes ou illégales ou le vol de propriété intellectuelle.
► Taïwan. Pékin considère ce territoire comme une de ses provinces et menace de recourir à la force en cas de proclamation formelle d’indépendance sur l’île. La Chine multiplie les initiatives pour isoler davantage l’île, d’un point de vue diplomatique, économique et militaire. "Il est clair que Taïwan fait partie de leurs ambitions et je pense que la menace est évidente", a expliqué le commandant des forces américaines dans la région, l’amiral Philip Davidson.
► La région Indo-Pacifique. La zone est le théâtre d’une lutte d’influence entre Pékin et Washington. La Chine revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, et se plaint régulièrement des opérations américaines dites "liberté de navigation" près d’îles qu’elle y contrôle. Plusieurs pays riverains comme les Philippines, la Malaisie, Brunei et le Vietnam contestent également certaines revendications chinoises dans cet espace maritime, une route clé du commerce maritime mondial.
► Hong Kong. Les Etats-Unis accusent la Chine de mener des "attaques permanentes" contre les institutions démocratiques de Hong Kong et d’affaiblir systématiquement l’autonomie de l’ancienne colonie britannique.
► Xinjiang, Tibet et droits de l’homme. Les Etats-Unis comptent réaffirmer leur rôle mondial dans la défense des droits de l’homme, y compris en Chine. L’administration de Donald Trump avait accusé la Chine de s’être rendue coupable de génocide et crimes contre l’humanité envers les Ouïghours. Joe Biden a prévenu de son côté que la Chine subira des répercussions pour les violations des droits de l’homme qu’elle commet à l’encontre des minorités musulmanes dans la région du Xinjiang.
Mais Antony Blinken a aussi promis de dialoguer avec la Chine à la recherche de terrains d’entente pour lutter contre le changement climatique, renforcer la sécurité sanitaire et promouvoir la non-prolifération.
Pas d’ingérence américaine
Durant leur premier entretien téléphonique, le mois dernier, Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping sont apparus en contradiction sur la plupart des sujets, bien que Pékin a dit considérer qu’une confrontation serait un "désastre" pour les deux pays.
Pékin a clairement fait savoir qu’il ne se laisserait pas dicter son comportement par Washington. Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a promis que jamais Pékin n’accepterait les "accusations et les dénigrements". Selon lui, les Etats-Unis utilisent le prétexte des droits de l’homme et de la démocratie pour s’ingérer dans les affaires des autres pays. "Il faut que les Etats-Unis le comprennent aussi rapidement que possible, faute de quoi, le monde continuera de vivre dans l’instabilité", a-t-il menacé.
Lors de la réunion annuelle du Parlement chinois, le Premier ministre chinois Li Keqiang avait appelé au respect des intérêts fondamentaux des deux pays, à une coopération "gagnant-gagnant" entre les deux puissances et à la non-ingérence dans les affaires intérieures. La Chine et les États-Unis ont des intérêts communs et doivent œuvrer à développer des relations "saines", avait-il déclaré.
Deux puissances étroitement liées
En dépit des tensions, les deux pays restent en effet étroitement liés économiquement. On estime que La Chine sera le premier bénéficiaire du vaste plan de relance de l’administration Biden de 1900 milliards de dollars. Le stimulus budgétaire devrait ainsi générer une croissance additionnelle des exportations chinoises vers les Etats-Unis de 60 milliards de dollars en 2021-2022, principalement sous la forme d’ordinateurs et de téléphones, d’électroménager et de textile.
En conséquence, le déficit commercial américain devrait se creuser pour atteindre 4,5% du PIB d’ici 2022, contre une moyenne de 2,9% lors des cinq dernières années. La volonté de rééquilibrer les échanges entre les deux premières puissances économiques mondiales était pourtant à l’origine de la guerre commerciale déclenchée par l’ancien président Donald Trump à coups de hausses de droits de douane.