Tendances Première

Enquête sur les Belges et le travail : plus de 80% ne se sentent pas écoutés et reconnus dans leurs besoins !

Tendances Première : Le Dossier

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Alors qu'il y a un an à peine, le bien-être au travail était la préoccupation principale des Belges, aujourd'hui les chiffres d’une récente enquête de Cohezio montrent une forte augmentation de la démotivation des salariés. L’enquête indique aussi une montée de l'individualisme et d'une certaine forme d'élitisme. Comment expliquer ces tendances ? Quelles sont les attentes des Belges par rapport au monde du travail et en quoi ont-elles évolué ? Explications avec Martine Clerckx sociologue, co-fondatrice et Societal Strategist de Wide Group et Pierre Lucas, Patron de l’entité BAO au sein de Cohezio.

L’enquête, commandée par Cohesio, a testé ce qu’attendent les Belges de leur travail dans le futur. Neuf scénarios ont été envisagés.

Bien que le bien-être au travail soit toujours important, ce critère vient d’être devancé par la liberté d’être soi-même au travail et l’importance de la notion de justice, qui surplombe même la notion d’égalité. Pouvoir être soi-même quel que soit sa race, son choix de vie, son genre. 55% des personnes interrogées adhèrent à ce scénario dont 22% pour lesquels c’est une priorité.

Le rôle du travail a changé – Les entreprises l’ont-elles compris ?

Auparavant, le travail marquait notre identité ; c’était un structurant social. Mais de plus en plus, on se structure par rapport à son individualité.

Par ailleurs, avec les débats et les polarisations sur l’égalité tant au niveau politique que des institutions, voire dans les entreprises, celles-ci n’osent plus aborder le sujet et en débattre. Selon Martine Clerckx sociologue, co-fondatrice et Societal Strategist de Wide Group, "On met le couvercle. On a une stratégie d’évitement". Par conséquent, en-dessous, la casserole bout ...

Pour Pierre Lucas, patron de l’entité BAO au sein de Cohezio, les entreprises ne l'ont pas compris ! L'enquête montre que seuls 16% des travailleurs se sentent écoutés au sein de leur entrepriseIl y a une discordance entre la tête (le patronat) et le corps (les travailleurs).

Pierre Lucas paraphrase le Chinois Lao Tseu : "Gouverner un pays, (une entreprise), c’est comme éduquer les enfants". En effet, quand un parent est à l’écoute de ses enfants, il comprend ses attentes, ses besoins pour évoluer. Et, dans une fratrie, tous n’ont pas les même attentes. Donc, se sentir écouté, c’est se sentir reconnu dans ses besoins et ses attentes, l’éthique, le sens que l’on met au travail.

La relation de confiance s’est dégradée

Durant la période de 2007 à 2019, on a étudié le bien-être au travail et les entreprises y réfléchissent.

Pierre Lucas explique que tout nous sépare actuellement, à commencer par les écrans (du vieux français 'escran' signifiant barrière) qui enlèvent à la relation interpersonnelle. Un autre écran est la peur d’aller au contact de l’autre qui est différent, ne pense pas comme nous … Nous nous retirons alors sous notre tente et nous perdons en richesse.

Le problème, c'est qu'on n’a plus de véritable histoire commune

Toutefois, des entreprises travaillent déjà sur la diversité et pour que leurs travailleurs se parlent. Comme l’explique la sociologue Martine Clerckx avec l'exemple du media De Standaard qui, lors de la dernière campagne électorale, a fait se rencontrer des personnes adhérant aux idées du PTB et d’autres aux idées de la N-VA. Après 45 minutes, tous se rendent compte qu’ils avaient plus de points communs que de divergences.

Mais attention au 'greenwashing' de certaines entreprises qui vont parler d’environnement, de bien-être pour 'faire bien'…

Ces maux de l’entreprise sont aussi les maux de la société.

Pour la sociologue Martine Clerckx, "l’entreprise a un vrai rôle social. Elle doit être déterminée avec les gens qui travaillent avec elle ( employés, fournisseur…) et doit déterminer aussi  ce qui est juste pour elle" en se posant la question : la valeur marchande abîme ou aide-t-elle la société ? Et elle ajouté : "Elle doit oser aborder ce genre de problèmes".

On obtient des choses par des combats communs. Comme ce n’est plus le cas, c’est déstructurant… Et c’est dommage, car le travail est une partie de notre vie, comme le rappelle la sociologue.

Comment construire une histoire commune pour que TOUS soient concernés ?

Pour Pierre Lucas, il faut une écoute authentiqueIl reprend encore Lao Tseu "L’homme a deux oreilles et une bouche" pour écouter deux fois plus qu’il ne parle. Ceci afin d’éviter la réponse "J’entends bien ce que tu dis, mais…"

Une démarche qu'il reconnaît très difficile à cause d’une crise de sens profonde. Il y a une dizaine d’années, Pascal Chabot en parlait déjà, chiffre à l’appui, dans son livre " Global burn-out ".

Beaucoup de gens se demandent ce qu’ils font encore au boulot ".

On ne se plaît pas dans son travail mais on n’ose plus changer

Par rapport aux travailleurs américains qui claquent la portent de leur entreprise, l’étude de Cohezio montre que 70% des Belges veulent conserver leur boulot… même s’ils ne s’y sentent plus bien.

La crise énergétique, la guerre en Ukraine peuvent expliquer cette "démission silencieuse", comme l’explique la sociologue. "Mais par cette attitude, ils entraînent un peu les entreprises vers l’immobilisme".

Le bien-être, critère toujours important dans l'enquête

Avec la crise sanitaire, on n’a plus parlé de santé physique que de santé mentale ou émotionnelle. Comment gérer les émotions négatives au travail ? Pour Martine Clerckx, "la peur, l’anxiété au travail poussent au désengagement et à l’inertie". 

Les gens ont l’impression que leur travail a un impact négatif sur un aspect de leur santé, la qualité de leur sommeil. Quant aux directeurs des Ressources humaines – auprès de qui l’enquête a été réalisée en parallèle- ils ont une vision plus positive de leur action sur le bien-être et la santé… qui ne se retrouvent pas dans les résultats des travailleurs.

Leurs actions sont-elles un échec ? Ou comme se demande la sociologue, n’ont-elles pas encore percolés auprès de leur public ?  

Et n'oublions pas la recherche d’un bien-être financier pour des travailleurs ayant une vision plus paternaliste de l’entreprise et des institutions et qui attendent que celles-ci leur assurent une pérennité financière.

Aspects positifs : 50% des Belges veulent acquérir de nouvelles compétences

En effet, certains se rendent compte que la société, l’entreprise évolue et qu’il faut continuer à se former. Et ils aimeraient que l’entreprise les accompagne dans cette voie.

Autre point positif, c’est d’oser parler du problème de la santé mentale et émotionnelle. C’est-à-dire qu’on veut chercher une solution.

Enfin, Martine Clerkx relève une troisième point positif dans l’attention aux inégalités. Ceux qui sont sensibles à cet élément sont souvent ceux qui ont envie de s’impliquer dans l’entreprise. Ils peuvent avoir un énorme effet levier sur les autres !

Pour Pierre Lucas, le positif de l’enquête, c’est peut-être aussi que les gens commencent à se dire qu’ils ont le choix … Choix de changer de secteur d’activité ou choix de faire les choses différemment. "Il faut se poser les bonnes questions et suivre la voie de son cœur."

En conclusion, pour les deux invités – Martine Clerckx et Pierre Lucas - il ne suffit pas d’aimer son travail, mais d’en améliorer les conditions et le but commun vers lequel on tend.

© Getty Images/ Nuthawut Somsuk

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