“Autre moment violent pour moi, c’est quand Claire n’en peut vraiment plus de sa grossesse qui arrive bientôt à terme. Pour se détendre, elle mange du camembert, boit un verre de vin et fume des cigarettes. Frédéric s’en rend compte et lui crie dessus. Claire, ses désirs et ses besoins n’existent pas. Elle n’est plus qu’un réceptacle pour le bébé, le désir de son mari. C’est lui qui contrôle, même ce qu’elle mange. Au 9ème mois de grossesse, manger du camembert ou boire un verre d’alcool n’est vraiment pas dangereux pour le bébé. Tout se joue durant les premiers mois de grossesse où il faut être un peu plus vigilante”, précise l’experte.
Un film qui banalise les violences ?
Il s’agit donc d’un film qui célèbre le male gaze tout en risquant de banaliser les violences faites aux femmes dans l’espace privé et les multiples injonctions qui pèsent encore sur les femmes, quand elles sont enceintes ou quand elles ne veulent pas d’enfants.
Claire est passive et fort silencieuse, elle n’existe plus, son mari présente par exemple son ventre au personnel hospitalier, et pas elle. On manque son regard sur sa grossesse et les événements jusqu’à la fin du film : elle accouche, et elle se rend immédiatement à un concert, que son mari l’a forcée à accepter par ailleurs.
Elle ne prononce pas un mot, elle ne répond même pas elle-même aux questions du personnel de l’hôtel. Quand on lui demande comment elle s’appelle, c’est Frédéric qui répond
Pendant qu’on l’entend jouer dans le fond à la télévision, la caméra se penche sur le bébé dans les bras de Frédéric, en gros plan. “Voilà, Claire a joué son rôle, elle ne sert plus à rien. Elle a accouché. Le message, c’est que le bébé est important, pas elle, c’est sur lui que l’histoire se termine et pas sur le concert de Claire. En plus, le post-partum est complètement éludé”, s’insurge Marie-Hélène Lahaye.
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Pas de conséquence
Frédéric a eu ce qu’il voulait. Il s’agit bien évidemment d’une fiction, même si la réalisatrice trouble volontairement les genres cinématographiques en introduisant des images documentaires dans le récit. L’accouchement est un vrai accouchement, les sages-femmes et les gynécologues sont des vraies praticiennes.
“Pour l’accouchement, je remarque qu’il s’agit d’un accouchement complètement médicalisé qui est montré, dans lequel la femme est couchée et passive. C’est aussi le cas de Claire qui est passive tout le long de l’histoire. Face à cette situation horrible, qui énerverait n’importe qui, elle n’a que des petits moments de révolte qui ne réussissent pas vraiment. A la fin, elle donne elle-même son nom à l’infirmière. C’est tout, quelle révolution !"
Toute fictionnelle qu’elle est, l’histoire ne nous fera jamais comprendre que les actes de Frédéric sont graves, il n’en subit aucune conséquence, que du contraire
"Il y a une scène aussi dans laquelle Claire s’énerve et demande qu’on arrête de la toucher et de toucher son ventre. La femme lui répond qu’elle la touche pour son bien et elle ne retire pas sa main. Cette séquence est presque insoutenable. Puis, Claire finit par se détendre. Le message est qu'il faut une fois de plus forcer les femmes et elles finissent par comprendre que c'est pour leur bien", explique Marie-Hélène Lahaye. "Il y a encore L'épisiotomie non consentie montrée sur une autre femme qui accouche. C'est une violence obstétricale qui passe crème, comme le reste. Cela n'est pas questionné", continue-t-elle.
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Toute fictionnelle qu’elle est, l’histoire ne nous fera jamais comprendre que les actes de Frédéric sont graves. Si certains personnages comme l'avocate ou la sage-femme lui rappellent que son comportement est punissable, ces séquences sont utilisées est comme un ressort comique. Il ne subit en outre aucune conséquence négative, que du contraire : Frédéric est excusé et Claire et ses réactions sont jugées.
C’est dommage car il y a de la place pour d’autres représentations de pères dans la culture populaire. Il y a de la place pour représenter le désir masculin d’enfant ou d’équilibre dans la charge mentale, ce qui n'est pas la même chose que de faire apparaitre les désirs masculins comme tout-puissants.
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