Six semaines, c’est le délai laissé par la justice bruxelloise, en référé, à l’Etat fédéral pour rapatrier dix enfants de Belges partis en Syrie. Le gouvernement fédéral en affaires courantes envisage de faire appel, comme il l’a déjà fait il y a un an, quasi jour pour jour. En décembre 2018, le tribunal de première instance de Bruxelles décide, en référé, d’un rapatriement de deux mères et de leurs six enfants de Syrie. L’Etat belge avait 40 jours pour s’exécuter, sous peine d’astreinte, 5000€ par jour de retard et par enfant. Il y a eu appel du gouvernement, jugé fondé par la cour d’appel, trois mois plus tard, la cour estimant que l’Etat belge n’a aucun pouvoir judiciaire en Syrie, il ne pouvait donc y avoir de contrainte à un rapatriement.
Une différence fondamentale : pas les mères
Concernant la décision tombée hier mercredi, le juge néerlandophone demande qu’une assistance consulaire et des documents soient délivrés aux enfants pour qu’ils puissent rejoindre la Belgique. Mais pas les mères. C’est la première fois que celles-ci ne sont pas concernées par une décision de justice. Cette décision va dans le sens de la doctrine du gouvernement fédéral adopté fin 2017 – les enfants de moins de 10 ans, oui, les parents non - mais le ministre de la Justice Koen Geens (CD & V) y voit un problème qui n’est pas de son ressort : "les autorités kurdes et les organisations humanitaires internationales en général ne veulent pas nous donner la permission de rapatrier les enfants sans les mères, mais le gouvernement a déjà rapatrié beaucoup d’enfants et va continuer dans ce sens." L’avocat néerlandophone, Me Abderrahim Lahlali, qui a obtenu ce jugement en référé pointe le même élément bloquant, mais soulignait le fait qu’enfin, un juge néerlandophone a suivi ses collègues francophones sur ce type de dossier.
Le cdH et le délégué aux droits de l’enfant demandent un rapatriement généralisé
Interrogé sur cette question à la Chambre, Koen Geens met l’accent sur les autorités kurdes : "Nous devons convaincre les autorités kurdes qui surveillent les camps, pour permettre aux enfants de partir sans leurs mères. Et nous devons obtenir le consentement des parents, pour pouvoir séparer les enfants de leurs parents. Les possibilités doivent encore être examinées." La Belgique semble donc disposée à respecter cette décision de justice, que le ministre, sur la base d’une première analyse, estime "conforme" à la décision prise par le gouvernement en décembre 2017 de permettre, sur demande, un rapatriement des enfants de djihadistes belges. Mais séparer enfant et mère, ce n’est pas possible pour le délégué général aux droits de l’enfant, Bernard De Vos, "pas une demi-seconde" : "Ce sont de très petits enfants, en bas âge, il n’est pas question de séparer ces enfants de leur mère, leur seul lien depuis leur naissance, seul lien d’attachement affectif et émotionnel."
Ramener femmes, enfants, et même les combattants belges est une nécessité exprimée par d’autres, souligne Bernard De Vos : "depuis septembre, on sait que le patron de l’OCAM, supposé chargé de la sécurité de notre Etat, et le procureur fédéral, plaident tous les deux pour un retour, pour des raisons sécuritaires, des enfants, des mères et des combattants. L’idée c’est de faire rentrer tout le monde pour éviter qu’on se retrouve avec des personnages potentiellement malveillantes dans la nature sans qu’on puisse les contrôler." Attention, poursuit le délégué, "l’idée, c’est pas de faire rentrer les mères en leur disant 'ok tout va bien'. L’idée, c’est de les judiciariser, en notant d’ailleurs que plusieurs d’entre elles sont condamnées par contumace ou par défaut, car elles ont effectivement appartenu à une association terroriste."
Au niveau politique, le cdH, par la voix de George Dallemagne, estime également qu’il faut rapatrier tout le monde : "C’est le bon sens même que d’éviter que nos ressortissants, qu’ils soient enfants, femmes ou hommes, soient entre les mains des personnes qui pourront les utiliser contre nous."