Chroniques

Energie : des semaines où des décennies se produisent

Par Bertrand Henne via

Le moment de vérité se rapproche pour décider de notre avenir énergétique. La ministre de l’énergie, l’écologiste Tinne Van der Straeten propose la prolongation de deux centrales nucléaires contre un paquet de 8 milliards d’euros d’investissement dans le renouvelable. La négociation s’annonce compliquée. Elle s’annonce aussi historique.

Ecologie et productivisme

On prête à Lenine cette phrase : il y a des décennies où rien ne se passe et des semaines où des décennies se produisent. Lénine avait certainement pensé à la loi de sortie du nucléaire belge en la lâchant. Pendant des décennies rien ne s’est passé, désormais on est dans des semaines ou des décennies se produisent. On arrive à un point de rupture ou la décision sur le mix énergétique empêchée en Belgique depuis 20 ans par un mélange d’idéologie, d’intérêts, de faiblesses politiques et institutionnelles ne peut plus être repoussée.

Car derrière le mix énergétique deux visions du monde s’opposaient, sans pouvoir se parler jusqu’ici. D’un côté la vision écologiste, qui considérait depuis les années 70 que le nucléaire bloquait toute possibilité d’une transition vers une autre société. Une société écologique, durable, pacifiste. Les partis verts au nord et au sud ont été les véhicules politiques de ce courant.

De l’autre une vision plus productiviste, qui considère depuis les années 70 que le nucléaire est la clef pour une croissance économique forte, une énergie pas trop chère, présentée comme sûre et stable. Jusqu’au milieu des années 2000 tous les autres partis politiques traditionnels étaient plus ou moins alignés là-dessus. Aujourd’hui c’est surtout le MR qui défend cette vision, la N-VA au nord. Les autres partis sont en retrait. Ils hésitent ou sont dans la nuance. Le PS par exemple, par la voix de Paul Magnette, semble opter de plus en plus vers l’abandon du nucléaire dans une vision eco-socialiste mais semble accepter sans trop de problèmes la prolongation.

De la real politique

Ces deux visions ont progressé en parallèle jusqu’ici. Désormais, la guerre semble avoir cassé les lignes droites, obligé à des bifurcations.

D’abord, poussé par le discrédit sur le gaz russe, Ecolo ne considère plus le nucléaire comme un obstacle à la transition et à une société écologique. En tout cas un peu de nucléaire. Prolonger deux réacteurs n’empêcherait pas des investissements massifs dans les renouvelables. Ces investissements qui conduiront à une domination écrasante des renouvelables dans le mix énergétique futur. Prolonger trois ou quatre réacteurs par contre pourrait freiner ces investissements, c’est la crainte des écologistes qui s’y opposeront. C’est l’un des enjeux de la négociation.

En réalité cette coexistence nucléaire/renouvelable est discutée au sein du courant écologiste depuis des années. En particulier au nom du climat parce que le nucléaire est une énergie bas carbone. Cela n’avait pas convaincu les écologistes belges jusqu’ici, ils sont désormais rattrapés par l’événement.

L’autre élément majeur, concerne le tabou du camp d’en face, pro nucléaire, et productiviste, qui considérait au mieux les renouvelables comme une énergie d’appoint. Ce qui s’est imposé en quelques jours c’est que les énergies renouvelables sont devenues de la realpolitik pour reprendre les mots du journaliste Thomas Legrand. Ce qui était considéré par certains à la N-VA et au MR comme des énergies dogmatiques et décroissantistes sont devenues des énergies pragmatiques, indispensable à la sécurité européenne à long terme. 

Carrefour

Ce qui saute aux yeux, c’est que tout ce qui rendra l’Europe autonome, en matière d’énergie, mais ça vaut pour l’économie en général nous rendra plus fort et plus résilient.

Sans nucléaire, la société écologique d’Ecolo risque de coûter un prix trop élevé et s’avérer insoutenable pour de nombreuses entreprises et citoyens. Mais, au même moment il devient clair aussi que la société productiviste du MR ne peut plus espérer s’approvisionner naïvement en matière première comme avant dans un monde devenu instable et marqué par la rareté des ressources.

Il y a donc un momentum, historique, pour les partis qui représentent ces courants au sein de la Vivaldi pour atterrir et offrir au citoyen belge une perspective d’avenir. Oui, comme disait Lenine il y a des semaines, ou des décennies se produisent.

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