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En raison de son genre

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Par Une carte blanche de Lucie Wajnberg pour Les Grenades

Nous publions cette carte blanche à l'occasion du 25 novembre, journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes.

En moyenne, une femme vit quatre ans et six mois de plus qu’un homme en Belgique, selon les chiffres de Statbel pour l'année 2020. En 1998, cet écart d’espérance de vie était de six ans et quatre mois. Il peut s’expliquer par divers facteurs socio-économiques, trop nombreux pour être listé de manière exhaustive dans cet article.

Lorsqu’on se penche un peu plus précisément sur les causes de décès, on remarque que le nombre de cancers, de maladies cardiovasculaires et de tumeurs mortelles chez les femmes suit la même évolution que la courbe des hommes. Par contre, nuançons que les femmes sont par exemple plus souvent atteintes de démence – environ 65% –, la démence étant définie par l'OMS comme un syndrome dans lequel on observe une dégradation de la mémoire, du raisonnement, du comportement et de l’aptitude à réaliser les activités quotidiennes.


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Le cas des morts violentes

On remarque également une étrange disparité en ce qui concerne les mortalités relatives aux morts violentes. On peut se demander ce qui se cache sous cette catégorie au contour indicible. Difficile de trouver une définition claire dans les relevés officiels. Ces morts violentes sont souvent attribuées à des accidents, des catastrophes, des guerres, des suicides et des homicides.

À l’origine des différentes définitions de morts violentes, on retrouve fréquemment la même source : les écrits d’Aristote. Le philosophe développe plusieurs théories à ce sujet et fait une distinction claire entre les morts naturelles et les morts violentes. Bernard Schumacher précise les propos d’Aristote en définissant les morts naturelles comme étant “la fin du processus vital d’un organisme propre à la structure biologique ou ontologique du sujet. Tandis que les morts violentes sont dues à un “accident venant briser l’élan vers l’avenir de la réalisation des possibles.

Les théories de Nagel apportent quelques précisions à ce sujet. Il avance en effet que la mort devient “un mal de l’ordre de la privation”. La privation est ici pensée en termes de perte. La mort est un mal composé de maux, notamment de la perte de son corps, de ses pair·es, de son habitation, de ses biens matériels, de la perception et du désir. Un autre aspect intéressant à ajouter à cette définition de la mort est que la privation de la vie est le mal le plus grand et donc que la mort est le plus grand des maux.

Sans conteste, les féminicides entrent dans la catégorie mortalités violentes. En France, les morts violentes au sein de couples touchent à 84% les femmes, d’après une étude nationale du Ministère de l’Intérieur.

Le féminicide se distingue des homicides masculins par des particularités propres

Les féminicides font partie de notre quotidien : qu’on entende à la radio qu’une énième personne est morte sous les coups d’une autre, qu’on lise en passant dans la rue des prénoms de femmes assassinées, qu’on écoute des histoires d’ami·e·s ou qu’on sénerve sur cet évènement parfois encore qualifié de crime passionnel ou un coup de folie alors qu’il sagit d’un meurtre.

Un féminicide est le meurtre d’une femme en raison de son association au genre féminin. La qualification de l’acte comme meurtre est importante. Les souffrances de la victime et les douleurs pour les proches ne doivent en aucun cas être diminuées. Tout comme le coupable ne doit en aucun cas espérer une quelconque justification de ses gestes.

Nul n’est censé ignorer la loi

En Belgique, le traitement judiciaire de ces affaires est inégal. Tout d’abord, le terme féminicide n’a aucune existence juridique en Belgique. On peut se demander quelles seraient les conséquences de la pénalisation du féminicide et pourquoi les deux propositions de loi datant de 2019 et visant à son inscription dans le Code Pénale n’ont rien fait changer.

Chez nos voisin·es français·es, le code pénal ne donne aucune définition juridique de féminicide mais on en retrouve une pour le crime passionnel. Pour 84% des affaires, les cours d’assises françaises retiennent la qualification de meurtre aggravé – car commis par le cohabitant, conjoint ou encore concubin, selon le rapport de missions sur les homicides conjugaux d’octobre 2019 de l’Inspection générale de la justice. La qualification d’assassinat est rarement retenue, car cela implique une préméditation de l’acte. Et enfin, la dernière qualification, concernant 6% des affaires, est la violence volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Étonnant lorsqu’on sait que 15% des auteurs ont déjà été condamnés pour violences conjugales et dont 77% pour des faits commis sur la même victime. Les statistiques montrent que dans la moitié des affaires, l’auteur a récidivé dans les trois ans de la condamnation antérieure sous la forme d’un homicide ou d’une tentative d’homicide sur la même victime. 80% de ses plaintes sont classées sans suite et seulement 18% des mains courantes donnent lieu à une investigation.

"Je ne supporte pas que tu vives sans moi"

D’après Josiane Coruzzi, directrice de l’asbl Solidarité Femme et Refuge pour femme battues, dans la majorité des affaires, le féminicide est commis parce que "l’homme violent ne supporte pas de perdre le contrôle sur sa compagne", de ne plus "exercer une domination sur la femme". Josiane Coruzzi lutte quotidiennement pour que le féminicide ne soit plus vu comme un moment isolé de perte de contrôle, de pulsions incontrôlées et passionnelles, un "je ne supporte pas de vivre sans toi" mais plutôt un contrôle coercitif qui se traduit pas "je ne supporte pas que tu vives sans moi."

Le 20 novembre, le blog Stop feminicide dénombre en Belgique 18 femmes mortes de la main de leur conjoint ou ex-conjoint en 2021. En France, le 18 novembre, on estimait à 101 le nombre de femmes mortes d’un féminicide. Dans le monde entier, depuis la crise de Covid-19, le nombre de féminicides et d’infanticides a augmenté.

Et maintenant ?

Face à ce constat horripilant, quelles sont les pistes de sortie que l’on pourrait imaginer ? Premièrement, travailler sur le victim-blaming. Concrètement, c’est l’une des pistes de sortie la plus accessible à tou·tes, même à l’échelle des individus. L'organisation française NousToutes nous offre une définition intéressante du victim-blaming : "Blâmer les personnes victimes de violences. C’est inverser la culpabilité et donc faire croire aux victimes qu’elles ont leur part de responsabilité". Le premier réflexe à avoir en tant que citoyen·nes est de démonter les mécanismes de violence.

La violence à l’égard des femmes constitue autant un problème majeur de santé publique qu’une violation des droits fondamentaux

Deuxièmement, de nouvelles mesures prises par le gouvernement pourraient être mises en place pour renforcer la protection des victimes. Des bureaux d’aides aux victimes pourraient être ouverts, des maisons d’accueil pour les femmes et les familles pourraient être créées, une assistance juridique et psychologique gratuite pourrait être mise en place afin d’en démocratiser l’accès.

Et enfin, il est pertinent de réaborder la question de la qualification pénale des féminicides en tant que solution. Autrement dit, comment traiter la question d’un point de vue institutionnel et sociétal. Selon Diane Roman ou Catherine Le Magueresse, créer une catégorie spéciale dans le droit permettrait de rendre visible l’ampleur des féminicides. "Nommer le crime, donc le reconnaître, et favoriser un traitement effectif de la question des violences à toutes les échelles de l’enquête, en en faisant une infraction spécifique, non systématiquement ancrée dans la question conjugale". Par ailleurs, ces juristes soulignent que le droit international et le droit européen, dans un processus global de reconnaissance du féminicide, encouragent depuis plusieurs années les États à "qualifier juridiquement de “féminicide” tout meurtre de femme fondé sur le genre et à élaborer un cadre juridique visant à éradiquer ce phénomène".


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Cette position rejoint celle de l’OMS qui estime que "la violence à l’égard des femmes constitue autant un problème majeur de santé publique qu’une violation des droits fondamentaux", et insiste sur le fait que "Le féminicide se distingue des homicides masculins par des particularités propres. Par exemple, la plupart des cas de féminicide sont commis par des partenaires ou des ex-partenaires, et sous-entendent des violences continuelles à la maison, des menaces ou des actes d’intimidation, des violences sexuelles ou des situations où les femmes ont moins de pouvoir ou moins de ressources que leur partenaire."

À l’inverse, Catherine Marie suggère quant à elle une autre réponse juridique : augmenter la prévention et la protection plutôt que l’inclusion dans le droit d’une catégorie juridique spécifique. Agir sur les individus plutôt que dans le droit.

Le problème des féminicides est social, sociétal et institutionnel. Ouvrons le débat, prenons la rue, agissons, inscrivons le féminicide dans les lois internationales et traités, dénonçons-le dans notre quotidien.

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Le féminicide dans le code pénal ?

Féminicide dans le code pénal ?

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Lucie Wajnberg est sociologue et anthropologue. Elle est actuellement assistante de production et chargée de projets dans le cinéma.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d'actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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