La future coalition Vivaldi vise un taux d’emploi de 80% en Belgique. Voilà l’une des choses que l’on sait à ce stade de la formation fédérale en cours. Ce taux d’emploi de 80% sera plus compliqué à faire qu’à dire, surtout en Wallonie. Didier Paquot est économiste et chercheur associé à l’Institut Destrée. Ce spécialiste de l’économie wallonne, et en particulier des questions d’emploi l’affirme, "la Wallonie reproduit des générations de chômeurs structurels".
Et avec un taux d’emploi non pas à 80, mais à 64% – largement sous la moyenne européenne, la question de l’emploi n’est pas mince en Wallonie. Et Didier Paquot pointe du doigt… À la fois l’enseignement, le Forem et les entreprises wallonnes. Entretien.
Quel est le problème wallon de l’emploi ?
D.P. : Ce qui ne va pas au départ, c’est le niveau élevé du chômage. On ne peut pas accepter d’être à 8 ou 9% de chômage. On ne peut pas accepter d’avoir un taux d’emploi de 62 ou 63%. C’est inacceptable. Ce sont des questions économiques, mais aussi des questions sociales, sociétales. Et l’on peut faire à mon sens beaucoup plus qu’on ne le pense.
Le chômage n’est pas uniquement la résultante d’une croissance, ou d’une activité économique. C’est toute une organisation d’une société qui permet ou non aux personnes de trouver un emploi.
L’institution centrale c’est évidemment l’Agence pour l’emploi, c’est le Forem - qui depuis quelques années a fait des efforts pour personnaliser l’accompagnement des chômeurs. Au moment du Covid, elle a dit "On va essayer de prendre en charge dans les 48 heures les chômeurs". C’est une excellente idée, mais je crois qu’il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine. L’enjeu, c’est que des chômeurs de courte durée ne restent pas longtemps au chômage – le risque, c’est qu’ils perdent leurs compétences et leur motivation. En matière de suivi personnalisé, il y a énormément à faire.
Et ce n’est pas suffisamment fait aujourd’hui ?
D.P. : Il n’y a pas assez, au Forem, de gens de terrain, des gens qui accompagnent ceux qu’ils appellent "les conseillers". Il en faut plus et on voit dans les autres pays qui ont des agences pour l’emploi qui fonctionnent bien, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Flandre ou la Communauté germanophone, qu’il y a un rapport très étroit entre l’Agence pour l’emploi et la personne qui cherche de l’emploi. Il faut faire mieux pour que des gens qui sont pour l’instant en dehors du marché du travail, reviennent sur le marché du travail.
Ceux-là ne sont pas des chômeurs conjoncturels, temporaires qui viennent de perdre leur emploi il y a un mois. Ce sont des chômeurs structurels, de longue date. La Wallonie a un vrai problème à ce niveau-là ?
D.P. : Oui, elle a un vrai problème. Le chômage de plus d’un an est extrêmement important, plus de 50%, et ce qui est très inquiétant, c’est que l’on reproduit un nombre de chômeurs structurels de génération en génération. Il est apparu lors de la fermeture des grandes industries dans les années 80. Mais le chômeur structurel de 2020 n’est pas celui de 1980. Cela signifie que nous en sommes à la deuxième, voire troisième génération. Nous sommes dans un système en Wallonie qui reproduit des générations de chômeurs structurels.
Et comment est-ce que vous expliquez ça ?
D.P. : Il y a un manque d’activité, de structures, d’entreprises qui engagent certainement. Donc, c’est évident que nous manquons d’entreprises dynamiques et que nous manquons de secteur privé. Ce n’est pas un problème simple et c’est un peu l’histoire de l’œuf ou la poule. Si des entreprises ne trouvent pas les gens dont elles ont besoin, elles vont moins être enclines à se développer. Et en même temps, s’il y a moins d’entreprises, les gens vont être moins enclins à chercher du travail et donc il y a vraiment une imbrication entre le développement économique et l’activation des chômeurs et le dynamisme du marché du travail.
Et puis, il y a aussi un manque de système de formation, un système d’éducation, un système de placement qui est inefficace et qui ne permet pas justement de "matcher" l’offre et la demande sur le marché du travail. Si on veut vraiment réduire ce chômage structurel et ça ne se fera pas en un an ou deux ans – c’est cinq ou dix ans.
Il y a le front immédiat : faisons en sorte que les gens qui sont sortis du marché du travail y retournent. Le deuxième enjeu, plus fondamental est la réduction du chômage structurel.
Il faut repenser nos enseignements professionnels, nos enseignements techniques, nos centres de formation, etc. Les partenariats avec les entreprises, ainsi que la formation en entreprise sont des pistes intéressantes. On en parle depuis dix ans, mais on n’arrive pas à bien les mettre en place.
Qu’est-ce qui coince ?
D.P. : Beaucoup de choses. Quand on voit que ça (la formation en alternance, NDR) marche en Suisse et en Allemagne, c’est qu’il y a un état d’esprit. C’est que les entreprises ont une conscience de leur devoir sociétal.
Qui manque en Wallonie ?
D.P. : Qui manque un peu en Wallonie. Je crois que les entreprises ont une vision un peu plus étroite et ne se rendent pas compte que ce qui est de l’intérêt général va finir par être intéressant pour elles. Les entreprises wallonnes se demandent ce qui est bon pour elles, ou pas. Et je pense que là, il y a un effort à faire des entreprises d’entrer plus dans le système de formation.
En ce qui concerne la valorisation des filières, il y a des choses très concrètes à faire. En Communauté germanophone, par exemple, c’est l’agence pour l’emploi qui va dans les écoles secondaires, présenter les filières porteuses. C’est plus compliqué à l’échelle d’une région, mais l’idée est intéressante : montrer concrètement ce que sont ces filières, ce qui est possible et financièrement intéressant. Il y a sans doute, là aussi, des efforts à faire.