Les vaccins contre le Covid, entre santé, économie… Et enjeux géopolitiques. Le président français Emmanuel Macron vient d’appeler les pays riches à envoyer rapidement jusqu’à 5% des doses de vaccins qu’ils ont en stock vers le continent africain. Depuis plusieurs semaines, des appels répétés à une solidarité internationale dans l’accès aux vaccins ne masquent que difficilement des commandes de vaccins très inégalement réparties à travers le monde – et une foire d’empoigne sur les prix.
Premier G7 depuis avril 2020
Ce vendredi commence une réunion du G7, groupe de partenariat économique entre les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, L’Italie, La France le Royaume-Uni et le Canada. Un premier G7 depuis avril 2020. Et le premier G7 de Joe Biden. Dont les thèmes centraux devraient être la réponse à la pandémie et, surtout, le partage des vaccins – dans un contexte d’inquiétudes grandissantes concernant les pays défavorisés. Sur cette question du partage des vaccins, le président français enfonce le clou. Et juge "intolérable" la lenteur de la vaccination en Afrique. Il était interrogé hier par le quotidien britannique Financial Times :
" Si on laisse s’installer l’idée que des centaines de millions de vaccins sont en train d’être faits dans les pays riches et qu’on ne commence pas dans les pays pauvres, c’est insoutenable. C’est une accélération des inégalités mondiales inédite. "
La réalité des chiffres
Les appels à plus de solidarité internationale dans l’accès aux vaccins ne sont pas une nouveauté. Mais ces appels successifs ne masquent que difficilement la réalité de l’inégalité dans les répartitions des vaccins, et d’une véritable foire d’empoigne sur les prix. Un regard sur les chiffres concernant les vaccins contre le Covid dans le monde : sur les presque 8 milliards de doses de vaccins commandées par les Etats début février, l’Union européenne, les Etats-Unis, et le Royaume-Uni comptent à eux seuls pour 40% des commandes.
Cacophonie
" Il y a une cacophonie ", pour Mathias Dewatripont, économiste de la santé et professeur à l’ULB. "Et cela aurait été bien mieux de considérer les vaccins comme un bien public global avec une approche réellement collaborative entre secteur public et secteur privé, pour s’assurer que les entreprises qui doivent produire des vaccins ne perdent bien entendu pas d’argent à le faire, mais qu’elles se mettent vraiment au service de la collectivité globale. Et que les Etats réfléchissent de manière globale également. "
Avec de grands pays, riches, qui se sont assuré un approvisionnement important : en tête des plus grosses commandes par habitant, le Canada : 9 doses par habitant. Inutile de préciser que la situation est bien plus difficile, compliquée, pour les pays émergents. " Tout est à faire au niveau de la distribution de vaccins dans les pays pauvres", poursuit l’économiste.
Une "guerre d’influence des vaccins" ?
" Et il est également vrai que chaque région riche au niveau occidental essaye de faire cavalier seul. Même s’il manque des vaccins en Europe, qui a une stratégie commune pour les 27 Etats membres, pour vacciner aussi vite qu’en Angleterre, aux États-Unis ou en Israël, les pays africains sont en retard – même par rapport à l’Europe. Et lancer un signal selon lequel ce serait une bonne idée d’avoir une approche plus globale est une bonne idée. Ceci étant dit, je dirais qu’au-delà de l’aspect plus humanitaire, il y a aussi la question géopolitique, avec des pays comme la Chine, par exemple, voire la Russie, qui font de la diplomatie du vaccin. Il serait bon que l’Europe en fasse plus également. "
L’imbrication devient éclatante, entre enjeux sanitaires, humanitaires, économiques, et géopolitiques. Et le président français, dans son appel ne s’en cache pas. L’enjeu pour lui est d’éviter " une guerre d’influence des vaccins ". Mathias Dewatripont illustre : " La Chine a vacciné jusqu’à présent une très petite partie de sa propre population, mais a déjà fourni des vaccins à toute une série de pays en développement. C’est bien qu’ils le fassent. Mais ils ont sûrement une idée derrière, notamment des gains géopolitiques. "
Covax, l’initiative de l’OMS
Quid de l’initiative de l’Organisation mondiale de la Santé qui visait justement à accélérer le transfert de vaccins vers les pays émergents ? Covax, le premier fonds de solidarité mondial contre le Covid, s’était fixé un objectif ambitieux : vacciner 20% de la presque totalité des pays du monde.
Cette sorte de gigantesque centrale d’achats regroupe entre autres 190 pays émergents. Mais pour l’instant, la quantité de vaccins sécurisée par Covax s’avère largement insuffisante au regard de ses objectifs. Pire, par un mécanisme de fonctionnement interne, certains pays riches, donateurs, contributeurs du programme Covax, reçoivent des doses en retour. Le Canada, par exemple, qui dispose déjà largement déjà de quoi vacciner plusieurs fois sa propre population, a reçu via Covax, presque deux millions de doses de vaccins supplémentaires.