Emeutes et violences sur fond de hausse des prix du gaz : que se passe-t-il au Kazakhstan ?

Manifestation contre la hausse des prix du gaz à Almaty, Kazakhstan le 5 janvier 2022.

© AFP et Belga

Par Lisa Rouby

Depuis quelques jours, le Kazakhstan est en proie à de violentes émeutes, notamment à Almaty, la plus grande ville du territoire. Ce pays d’Asie Centrale situé entre la Russie et la Chine connu pour son régime très autoritaire possède de grandes ressources pétrolières. Aujourd’hui, le Kazakhstan fait face à une situation rare qui menace sérieusement son équilibre.

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Un pays déséquilibré

La situation est instable depuis plusieurs années

Tout est parti d’une hausse des prix du gaz naturel liquéfié (GNL), qui a provoqué des manifestations dans l’ouest du pays, particulièrement riche en pétrole. Mardi soir, les autorités ont tenté de calmer le jeu en annonçant accorder une réduction du prix du GNL pour le fixer à 50 tenges (0,1 euro) le litre dans la région.

Mais loin de calmer les ardeurs des manifestants, ce geste a au contraire renforcé leur détermination. Les protestations se sont intensifiées à travers le pays, pour se transformer en véritables émeutes.

"Les gens ont été massivement touchés par la hausse des prix et ça a provoqué une exaspération générale", déclare Nicolas Gosset, chercheur à l’École Royale Militaire de Belgique. Si cet évènement est déterminant, il rappelle cependant que la situation au Kazakhstan est instable depuis plusieurs années. La pandémie a en effet provoqué une grosse récession économique, ce à quoi sont venues s’ajouter les turbulences au sein du marché de l’énergie ces derniers temps. "La machine économique est ralentie". Tous ces éléments n’ont fait que creuser les inégalités, déjà très présentes.

Autre facteur important qu’évoque Nicolas Gosset, le fait que les grosses industries sont détenues par le clan familial du président précédent, Noursoultan Nazarbaïev, ce que la population a beaucoup de mal à supporter.

Comme le souligne Jean de Gliniasty, diplomate français et ancien ambassadeur de Russie, Nazarbaïev a conservé des postes importants qui lui permettent de continuer à régner sur la patrie. "Il a gardé une influence déterminante sur l’évolution du régime". La capitale, anciennement Astana, a d’ailleurs été renommée Nour-Soultan en son honneur en 2019. L’actuel président, Kassym-Jomart Tokaïev, est l’un de ses fidèles.

L’ancien président Kazakh Noursoultan Nazarbaïev (droite) en compagnie du Premier ministre Indien Narendra Modi (gauche) en juin 2018.
L’ancien président Kazakh Noursoultan Nazarbaïev (droite) en compagnie du Premier ministre Indien Narendra Modi (gauche) en juin 2018. © AFP et Belga

Pourquoi la Russie intervient ?

C’est un poids lourd à l’intérieur de l’ancienne Union Soviétique

Jeudi 6 janvier, la Russie a annoncé envoyer des forces armées en renfort au Kazakhstan après l’appel à l’aide du président Kazakh Tokaïev. La Russie et le Kazakhstan entretiennent des liens étroits, qui ont de solides fondations.

En décembre 1936, la République socialiste soviétique autonome Kazakhe, qui fait jusque-là partie de la République socialiste fédérative de Russie, devient une république socialiste soviétique à part entière. En décembre 1991, lors de l’effondrement de l’Union Soviétique, le Kazakhstan est le dernier état des quinze états soviétiques à déclarer son indépendance.

Aujourd’hui, les deux pays sont liés à travers l’Union Economique eurasiatique (UEEA), fondée en 2014 et rassemblant cinq pays : Le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, le Kirghizistan, et l’Arménie. A l’origine une idée de l’ancien président Kazakh Nazarbaïev, le projet a été porté et concrétisé par Vladimir Poutine. Beaucoup de Russes vivent au Kazakhstan, généralement placés à des postes importants. Comme le précise Jean de Gliniasty, c’est aussi le premier partenaire commercial de la Russie.

La Russie a donc tout intérêt à garder le contrôle du Kazakhstan si elle veut conserver sa domination géopolitique et économique de la région. Après l’Ukraine en 2014 et la Biélorussie en 2020, le pays est le troisième à se soulever. Immense et très développé industriellement, il a une importance particulière dans l’Eurasie. "C’est un pays qui compte politiquement et économiquement", affirme Nicolas Gosset.

Partagé par le ministère de la Défense Russe, ce cliché montre des parachutistes Russes embarquer pour le Kazakhstan, le 6 janvier 2022.
Partagé par le ministère de la Défense Russe, ce cliché montre des parachutistes Russes embarquer pour le Kazakhstan, le 6 janvier 2022. © AFP et Belga

Les évènements de ces derniers jours

"Il y a eu beaucoup de morts"

Sujet dans notre journal télévisé du 6 janvier :

Kazakhstan : des manifestants tués, les troupes russes en renfort

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Dépassé par les nombreuses manifestations qui éclatent dans son pays, Tokaïev a décrété mercredi soir l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire, ainsi que l’instauration d’un couvre-feu. Il a également dénoncé les agissements de ce qu’il qualifie de "gangs de terroristes" entraînés à l’étranger et venus semer la discorde.

"Des groupes d’éléments criminels battent nos soldats, les humilient, les traînant nus dans les rues, agressent les femmes, pillent les magasins" a-t-il déclaré durant une allocution télévisée.

Déterminés à faire entendre leur voix, les manifestants ont pris d’assaut plusieurs bâtiments officiels et administratifs, notamment à Almaty, la capitale économique. Selon un porte-parole de la police, cité par les médias locaux, des "dizaines" de manifestants ont été tués par la police. De son côté, le ministère de l’Intérieur Kazakh a annoncé la mort de "26 criminels armés". 18 membres des forces de sécurité auraient été tués. Plus de 3000 personnes ont également été arrêtées et plus d’un millier de personnes seraient blessées.

Partout dans le pays, les scènes de chaos se sont multipliées.

Les émeutes ont été marquées par des échanges de tirs à l’arme à feu. Nicolas Gosset possède des contacts sur place. Il parle de gens "terrés chez eux", et explique que la situation est devenue très dangereuse la nuit dernière. "Ils ont massivement tiré à balles réelles sur les gens, ça a été particulièrement violent". Il confirme également la présence de troupes russes en ville, le plus souvent déployées devant les bâtiments officiels.

Le président Tokaïev affirmait pourtant ce vendredi matin que "l’ordre constitutionnel a été largement rétabli dans toutes les régions", et que les interventions se poursuivront "jusqu’à la destruction totale des combattants". Il a également donné aux autorités l’ordre de "tirer pour tuer sans avertissement".

Des officiers de police patrouillent dans une rue à Almaty, le 5 janvier 2022.
Des officiers de police patrouillent dans une rue à Almaty, le 5 janvier 2022. © AFP et Belga

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