Elections espagnoles : les fraises au cœur du débat ?

La majorité des fraises en provenance d’Espagne que vous consommez, sont produites dans la Province de Huelva. Comme dans le reste du pays, la région d’Andalousie fait face à une sécheresse historique et l’eau est devenue un bien précieux. Sa rareté devient ainsi un enjeu électoral en cette période de scrutins et ouvre une bataille nationale autour de l’accès à l’or bleu.

La production de ce fruit rouge est telle qu’elle en vient à menacer l’existence du parc National de Doñana. Une zone marécageuse, territoire du lynx et où nichent de nombreuses espèces d’oiseaux migrateurs comme les flamants roses. Classée au patrimoine de l’Unesco, cette zone humide a perdu, à ce jour, 59% de ses lagunes à cause du réchauffement climatique mais aussi de la surexploitation de la nappe phréatique selon le Conseil supérieur de recherches scientifiques espagnol (CSIC).

Alors qu’il n’a pas plu depuis presque deux ans, la nappe est vidée par les producteurs de fraise pour irriguer leurs fruits, produits sous serre et très gourmands en eau. Se rajoutent à cela les nombreux puis illégaux ce qui rend la " situation intenable " pour Felipe Fuentelsaz, responsable de WWF Espagne pour le parc de Doñana. Un parc, qui pour lui, est devenu un " symbole de la raréfaction de l’eau en Espagne ". Si ce problème persiste, il pourrait devenir irréversible.

Malgré ces alertes, lancées depuis plusieurs années, le Parti Populaire (PP, droite conservatrice) au pouvoir dans la région a déposé en mars de cette année un projet de loi pour légaliser les cultures illégales de fruits rouges qui sont autour du parc. Il faut dire que Huelva est la première région exportatrice de fraises en Europe et il ne faut pas négliger le poids électoral du secteur agricole et des " barons de la fraise ".

Pour Rocio del Mar Castellano, maire divers gauche d’Almonte, une commune située au cœur du parc ce projet est "dangereux car il n’y a plus d’eau, comment prétendre accroître les terres irriguées ? Le PP vend du rêve pour grappiller des voix !"

A l’approche des élections Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a dénoncé le " négationnisme climatique " de la droite et de son chef de file national Alberto Nuñez Feijóo. " On ne touche pas à Doñana, c’est le patrimoine des Espagnols ", a martelé le chef du gouvernement, un message relayé par Bruxelles, qui fait planer le risque de sanctions sur l’Espagne.

Le responsable du PP, de son côté, accuse le Premier ministre d’entretenir la polémique pour masquer son inaction en matière de politique hydraulique. En cas de victoire de la droite aux élections nationales, " nous amènerons l’eau là où il n’y en a pas ", a-t-il promis.

Une offensive climatique qui n’est pas dépourvue d’arrière-pensées pour Pablo Simon, politologue à l’université Carlos III de Madrid, cela permet à Pedro Sanchez de " se replacer sur l’axe qui lui convient, un axe droite-gauche, sur lequel il a plus à gagner qu’à perdre ".

Pour les écologistes et Julia Martinez, experte de la fondation pour une nouvelle culture de l’eau, que le sujet de l’eau à Doñana soit devenu une question électorale cela " témoigne d’une prise de conscience et […] cela démontre que notre modèle de gestion de l’eau atteint ses limites ".

Car pour devenir le potager de l’Europe en exportant la majorité de ses fruits et légumes, les agriculteurs espagnols consomment 80% des ressources en eau douce du pays. Selon les projections, si rien ne change les trois quarts du territoire risquent la désertification car la chaleur va augmenter et les ressources en eau diminuer.

Face à la sécheresse historique qui touche le pays, le gouvernement a multiplié les annonces d’aides pour les agriculteurs afin de leur permettre de faire face à ce manque d’eau. Parmi elle, le gouvernement a débloqué, début mai, une enveloppe de 1,4 milliard d’euros pour construire des infrastructures destinées à désaliniser l’eau de mer ou à réutiliser les eaux usées pour l’irrigation.

Pour Julia Martinez, " l’Espagne ne peut plus continuer à être le potager de l’Europe, c’est irresponsable ! Il faut un changement drastique de politique. Certains refusent de voir la réalité en face mais il faut une forte baisse des surfaces irriguées. "

Car la sécheresse est un problème national, elle touche également fortement la région de Murcie qui produit une grande partie des fruits et légumes d’été que vous retrouvez dans vos assiettes.

Le risque de désertification doit dorénavant être pris au sérieux. Rocio del Mar Castellano résume parfaitement la situation " Il faut écouter les scientifiques ne pas jouer avec le feu. La culture des fraises est importante. Mais si l’eau disparaît, nous n’aurons plus de fraises du tout ".