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Elections à l’est de l’Europe : des enjeux très contrastés entre menace russe, crise économique et divisions ethniques

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Par Françoise Berlaimont avec agences

Trois pays de l’ancienne Europe de l’est organisent des élections ce week-end : La Lettonie votait ce samedi, la Bulgarie et la Bosnie votent ce dimanche.

Les élections dans ces trois pays, auparavant sous bannière communiste, présentent des situations très contrastées, entre menace russe, crise économique et divisions ethniques.

La Lettonie

Le parti centriste du Premier ministre sortant Krisjanis Karins a remporté les législatives lettonnes samedi, selon les résultats partiels portant sur 96 % des bureaux de vote, alors que les partis proches de la minorité russe en sortent affaiblis.

Nouvelle Unité de M. Karins obtient 18,94 % des voix, alors qu'un seul parti soutenu par la minorité russophone, Stabilité!, dépasse le seuil d'éligibilité de 5% avec 6,75 %, et que la formation historique des russophones, Harmonie, jadis puissante, se retrouve hors du parlement, tout comme l'Union Lettonne des Russes (pro-Kremlin).

Concernant la menace russe, Krisjanis Karins a déclaré : "Ni moi, ni mon gouvernement, ni mon pays ne réagissons par peur. Nous continuerons à investir dans notre propre défense en tant qu’Etat membre de l’OTAN".

30% de Lettons russophones

Le parti Harmonie a dit condamner l’invasion de l’Ukraine, mais est resté discret sur les atrocités dont les forces russes sont accusées en Ukraine. Cette évolution a divisé l’électorat russophone. 

Certains Lettons russophones considèrent que les comportements des autres Lettons à leur égard se sont détériorés depuis le début de la guerre et ont le sentiment que leur identité linguistique et culturelle est remise en question.

La menace russe

Dans un contexte de guerre, les Lettons ont tendance à se rassembler autour du drapeau. Un électeur rencontré par l’AFP confirme cette tendance : "J’ai 83 ans, j’ai vécu les occupations militaires soviétique et allemande dans la première moitié de ma vie, donc je fais aujourd’hui mon choix en fonction du parti qui soutient le plus l’Ukraine contre l’invasion russe".

Le président Levits avait appelé les citoyens de ce pays balte membre de l’UE et de l’Otan à se rendre aux urnes, tout en les mettant en garde contre des partis pro-Kremlin, proches de l’importante minorité russophone, qui "ont hésité à déclarer clairement qui est l’agresseur et qui est la victime au début de l’invasion russe de l’Ukraine".

La peur de l’hiver en Bulgarie

Les Bulgares votent ce dimanche pour la quatrième fois en un an et demi, avec un sujet dans toutes les têtes à l’approche de l’hiver : l’envolée des prix sur fond de guerre en Ukraine. Les études montrent la peur de tomber dans la misère devant les tarifs du chauffage et des produits alimentaires qui explosent.

Si la corruption endémique occupait les débats des dernières élections législatives, l’insécurité économique a cette fois dominé la campagne, alors que l’inflation frôle les 20% dans ce pays des Balkans le plus pauvre de l’Union européenne.

"Ce sont les prix qui préoccupent les électeurs, beaucoup plus que les sujets géostratégiques qui agitent les partis", explique à l’AFP l’expert Antony Todorov, de la Nouvelle université bulgare.

La lutte contre la corruption

Dans ce climat anxiogène, l’ex-Premier ministre Boïko Borissov, 63 ans, tire son épingle du jeu : les instituts d’opinion placent son parti conservateur "Gerb" en première position, avec 25% des intentions de vote.

Malgré un retard de neuf points dans les sondages, son rival centriste Kiril Petkov veut y croire et "continuer le changement", nom de sa formation. Cet ancien entrepreneur de 42 ans, formé à Harvard, a débarqué en 2021 sur la scène politique bulgare. Il a gouverné sept petits mois avant d’être renversé par une motion de censure.

Dans un entretien à l’AFP, il se félicite de s’être attaqué aux "pratiques de corruption", son cheval de bataille, pour redistribuer l’argent aux plus jeunes et aux retraités mais "il reste beaucoup de travail".

"Le défi consiste à choisir entre une Bulgarie européenne, progressiste et transparente, et un retour aux années de corruption politique", résume-t-il, dans un appel ultime aux électeurs.

L’appui du parti pro-Kremlin ?

Le Premier ministre sortant Kiril Petkov exclut fermement une alliance avec Boïko Borissov, son ennemi juré, faisant planer le spectre d’une poursuite de l’instabilité politique, sans précédent depuis la fin du communisme en 1989.

Pour le politologue Gueorgui Kiriakov, l’ancien Premier ministre Boïko Borissov pourrait toutefois s’allier avec le parti de la minorité turque MDL et la formation Vazrajdane (Renaissance), ultranationaliste et proche du Kremlin, dont "le comportement sera décisif".

Crédité de 11% à 14% des voix, ce mouvement est monté en puissance depuis le lancement de l’offensive russe en Ukraine, dans un pays aux liens historiques, économiques et culturels forts avec Moscou.

Des crises politiques en série bloquent les réformes, freinent la croissance et accélèrent l’exode des jeunes de ce pays qui a déjà perdu un dixième de sa population en une décennie.

La Bosnie

Les Bosniens votent ce dimanche dans un pays en pleine crise politique, déchiré par des divisions ethniques croissantes qui mettent en danger son intégrité.

Entre menaces sécessionnistes des Serbes orthodoxes, frustrations des Croates catholiques qui ne veulent plus cohabiter avec les Bosniaques musulmans et rêves "d’État citoyen" d’une grande partie de ces derniers, beaucoup craignent de nouvelles turbulences après le scrutin.

Le petit pays pauvre des Balkans est divisé entre une entité serbe, la Republika Srpska (RS), et une fédération croato-musulmane, reliées par un faible pouvoir central souvent paralysé. Ce système est hérité des accords de Dayton de 1995 qui ont mis fin à la guerre dans laquelle 100.000 personnes ont été tuées.

Trois communautés

Les électeurs bosniens doivent désigner les trois membres de la présidence collégiale de la Bosnie, les députés du Parlement central et ceux des deux entités ainsi que, la présidence en Republika Srpska. "Je n’espère rien, je vote car c’est la seule chose que je puisse faire en tant qu’individu", a déclaré à l’AFP Amra Besic, économiste désabusée de 57 ans, en votant à Sarajevo.

Dans les trois communautés, des chefs qui occupent depuis longtemps le devant de la scène se livrent à la surenchère nationaliste pour se maintenir au pouvoir pendant que tous ceux qui le peuvent choisissent l’exil face à l’absence de perspectives tant politiques qu’économiques. Près de 500.000 personnes ont quitté le pays depuis le dernier recensement de 2013, quand il comptait 3,5 millions d’habitants.

Les Serbes bosniens tournés vers Moscou

Le népotisme favorise le statu quo, jugent de nombreux observateurs. D’après l’analyste Zarko Papic, un million de personnes dépendent d’une façon ou d’une autre du secteur public (250.000 employés et leurs familles) et constituent "un bassin d’électeurs pour les partis au pouvoir".

Milorad Dodik, chef politique indéboulonnable des Serbes de Bosnie et représentant serbe sortant de la présidence collégiale, brigue cette fois-ci la présidence de la Republika Srpska. Le nationaliste de 63 ans a multiplié ces derniers mois les menaces sécessionnistes qui lui ont valu des sanctions de Washington et de Londres, tout en répétant à l’envi que la Bosnie était un pays "raté".

Certains analystes parient sur une victoire de ce grand admirateur du président russe Vladimir Poutine même si sa principale concurrente, Jelena Trivic, universitaire de 39 ans, assure le contraire. Elle aussi joue sur la corde nationaliste mais promet de pourfendre la kleptocratie instaurée selon elle par Milorad Dodik.

Changer les règles électorales

Dans la communauté bosniaque, Bakir Izetbegovic, chef du principal parti, le SDA nationaliste, n’est pas en reste dans la rhétorique incendiaire pour briguer un troisième mandat au fauteuil musulman de la présidence tripartite. Fils du premier président de la Bosnie indépendante, il joue une partie plus difficile qu’avant face à un candidat soutenu par onze partis d’opposition.

De leur côté, les Croates, qui ont menacé pendant des mois de boycotter le scrutin, sont mécontents de devoir partager une fédération avec les Bosniaques. Tous les partis croates réclament une entité propre ou du moins une modification des règles électorales.

Ces règles permettent aux Bosniaques largement majoritaires démographiquement au sein de l’entité commune d’élire de fait le membre croate à la présidence collégiale. Le coprésident croate sortant, Zeljko Komsic, porte-drapeau d’un État "citoyen" considéré comme "illégitime" par une grande partie de sa communauté, affrontera Borjana Kristo, candidate du HDZ nationaliste.

En cas de victoire de Zeljko Komsic, certains craignent de nouveaux tumultes et blocages institutionnels.

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