En deux générations, notre culture de la recherche d’une âme sœur a radicalement changé. Nous choisissons désormais nos partenaires sans contraintes. Pourtant, le nombre de célibataires grimpe inexorablement dans le monde. Si les règles du jeu ont changé, hommes et femmes peuvent-ils encore s’entendre ? Comment réinventer les relations hommes-femmes ? Réponses avec la réalisatrice et reporter France Ortelli.
France Ortelli est réalisatrice, notamment, pour l’émission TRACKS sur Arte. Scénariste, reporter, elle écrit pour le papier, le web ou la télévision. Son livre Nos Cœurs Sauvages (Ed. Arkhé) réunit des centaines d’entretiens et décrypte les dernières avancées des sciences sociales sur le sujet, avec humour.
Pour comprendre comment notre rapport à l’amour a évolué depuis l’époque de nos parents et de nos grands-parents, elle a mené l’enquête pendant trois ans, à Paris et à Los Angeles. Ce sont deux villes complètement différentes, à ceci près qu’il y a de plus en plus de célibataires dans ces deux villes. En 2014, aux Etats-Unis, les célibataires sont devenus majoritaires sur l’ensemble de la population, avec 50.2%. A Los Angeles, 73% des femmes sont célibataires. Même si la ville est assez jeune, le chiffre est quand même interpellant.
Les sociologues ont pris 2014 comme date clé pour l’entrée des USA dans l’ère du célibat, dans l’ère des foyers monoparentaux, qui représentent 30% des familles. La culture de la vie communautaire y est par contre beaucoup plus implantée que chez nous, plus particulièrement en Californie.
Sommes-nous des sauvages de l’amour ?
France Ortelli rappelle les sens divers du mot sauvage : un côté animal, non civilisé, voire violent. Il y a aussi une notion de jungle, qui apparaît sur les applications de rencontre. Il y a aussi un sens d’indompté : depuis que les femmes sont libérées, qu’elles travaillent, elles ne peuvent plus être domestiquées. Les femmes ont désormais les pleins pouvoirs, elles ont la volonté d’être autonomes, en particulier en ce qui concerne l’amour.
"Depuis qu’il y a de plus en plus de célibataires, on entre dans une humanité qui est en train de devenir sauvage sur le plan intime. C’est-à-dire qu’on brade nos données intimes et qu’à la fois, on se replie sur soi-même. Il y a un vrai territoire de l’intimité à défendre, et des mécanismes à comprendre pour pouvoir le défendre."
Nous devenons sauvages par nos rencontres et aussi par notre liberté dans la façon de rencontrer l’amour, notamment avec les applications de rencontre. Ce sont des open spaces, sans limites d’âge ou de sexe, ce qui crée un désenclavement. On est loin des bals de village, où l’on pouvait rencontrer l’âme soeur, d’office proche géographiquement. Ce n’était pas pour autant plus facile, il n’y avait qu’un bal par an au village, il fallait bien se préparer, bien repérer !
Aujourd’hui, il faut savoir que 12% des couples seulement se rencontrent via les applis de rencontre. C’est encore le travail et les activités festives entre amis qui facilitent le plus la rencontre.
Un grand sentiment de solitude
Les outils de communication ne sont pas la seule variable à analyser pour expliquer cette mutation de notre intimité, souligne France Ortelli. On observe un sentiment de solitude de plus en plus grand dans le monde.
En Belgique, 1 million et demi de personnes se sentiraient en situation d’isolement, en dehors de cette période particulière de confinement. Cela s’explique en partie par notre migration sur les réseaux sociaux, nous serions en moyenne 30h par semaine sur nos écrans. Et quand on n’a que 5 ou 10 amis sur les réseaux sociaux, on se sent 'seul', parce que la société valorise le fait d’avoir de nombreux amis.
Une autre raison à ce sentiment de solitude, c’est la précarité économique, qui empêche de s’installer en couple.