Des pédagogues, des responsables politiques, des associations, se sont unis récemment pour proposer de faire l’école dehors. Enseigner dehors permet non seulement de respecter les mesures sanitaires, mais aussi de soutenir et dynamiser les apprentissages, de se reconnecter aux autres et à l’environnement.
L’idée n’est pas neuve. Méconnue chez nous, elle s’est déjà bien développée au Canada et dans certains pays du Nord et offre de nombreuses pistes pédagogiques bien dans l’air du temps.
Et bonne nouvelle, il existe des formations à l’école du dehors, comme celles qui sont proposées par les CRIE (Centres Régionaux d’Initiation à l’Environnement) - Ecole du dehors.
On en parle avec :
Christine Partoune, professeur honoraire et chercheur en didactique de la Géographie à l’ULg, auteure de 'Dehors, j’apprends' (Ed. EdiPro/HELMo)
Et Emilie Hennot, coordinatrice du Centre ethnobotanique de l’étang de Virelles, membre du Collectif Tous dehors.be, qui regroupe des enseignants et diverses associations, dont des CRIE.
_____________________
Un déficit de nature
La préoccupation relative à la nature est beaucoup plus présente qu’avant dans la réflexion des enseignants. Depuis 2 ou 3 ans, de plus en plus d’étudiants souhaitent faire leur travail de fin d’études sur ce sujet, constate Christine Partoune.
Ce n’est cependant pas nouveau. Les hautes écoles pédagogiques forment depuis très longtemps les enseignants, sur le plan de la didactique, à exploiter le milieu extérieur, en particulier les profs d’éveil ou les profs de français. Aujourd’hui, on sent toutefois un engouement plus grand qu’auparavant de la part des étudiants.
Le déficit de nature est de plus en plus manifeste pour des générations entières d’enfants, qui ne sont plus assez en contact avec la nature. En cause principalement : l’évolution de nos modes de vie, l’urbanisation, l’absence de la part sauvage dans les jardins, même à la campagne, ainsi que l’anxiété des parents à laisser les enfants courir seuls dans la nature.
Des cartes blanches pour une prise de conscience
Ces classes dehors pourraient bénéficier de la situation que nous venons de traverser. Les enfants confinés n’ont pas eu la possibilité de s’aérer, d’être en contact avec la nature.
En réaction, des cartes blanches sont parues dans la presse, pour interpeller le gouvernement avec cette idée d’intégrer les classes dehors au programme des enseignants, et ainsi légitimer cette pratique. Et des échanges ont effectivement déjà pu avoir lieu.
Emilie Hennot, membre du Collectif Tous dehors.be, est l’auteur de l’une de ces cartes blanches. "On se rend compte que pour la santé physique et psychique des enfants, faire l’école dehors renforce l’immunité, réduit le stress, après cette période de confinement. La période questionne notre société, les crises à venir, y compris la crise de l’école. C’est donc le bon moment d’en parler, de repenser l’école et d’imaginer vers quoi on pourrait aller pour développer nos enfants et en faire des citoyens épanouis et acteurs."
Tout peut se jouer dehors
L’école du dehors, ce n’est pas tout nouveau, des enseignants la pratiquent en Belgique depuis 2-3 ans. Mais il faut maintenant l’intégrer plus largement dans la pédagogie des enseignants. Cela consiste par exemple à sortir un jour par semaine dans un lieu d’apprentissage différent, à l’extérieur, dans un milieu naturel.
"C’est y apprendre tout ce qu’on peut trouver dans le programme scolaire : français, maths, éveil, géométrie, histoire. Tout peut se jouer dehors, avec des valeurs qui se développent davantage dehors : la coopération naturelle, l’entraide, la curiosité, la motivation à apprendre…", souligne Emilie Hennot.
En Belgique, il serait possible de mettre en place un système de classe dehors, tout en tenant compte du fait que le dehors ne se limite pas au milieu naturel, précise Christine Partoune :
"Le dehors est plutôt la notion de territoire, explorer le territoire et ancrer des apprentissages au départ de cette idée que l’on doit apprendre à connaître le territoire où l’on vit, à y tisser des liens."
L’école dehors est donc possible, quelle que soit sa localisation géographique. Les outils sont multiples et sont disponibles là où l’on se trouve.
L’enjeu est que toute l’école et toute la communauté pédagogique se mobilisent, pour réfléchir de manière plus large aux conditions qui permettraient aux enseignants de faire la classe dehors plus volontiers. Il faudrait déjà par exemple prévoir un local pour pouvoir 'faire des crasses', ramener des choses, entreposer des bottes, des manteaux…
Le problème de fond : la génération indoors
Le problème est que les jeunes enseignants sont de la génération indoors. Le véritable défi des hautes écoles pédagogiques est de prendre à bras-le-corps le fait que bon nombre de jeunes n’ont pas d’appétit pour aller dehors, pour se promener, randonner, découvrir. Ils sont davantage dans des loisirs liés aux écrans. Or pour sortir, il faut en avoir envie. Il faut initier un changement de mentalités.
"Et nous plaidons, poursuit Christine Partoune, pour intégrer, si la formation d’enseignant s’élargit à 4 ou 5 ans, un module d’apprentissage par le service, qui consiste à sortir les étudiants de la haute école pour s’immerger pendant plusieurs mois dans un territoire. Parce qu’aujourd’hui, c’est cela qui manque le plus."
Beaucoup d’enseignants se sentent mal armés pour exploiter le milieu environnant, souvent parce qu’ils ne les connaissent pas, s’ils n’habitent pas sur place. Il serait intéressant d’organiser des journées d’immersion nature pour les enseignants.
Il faut au minima pouvoir choisir quelque chose à découvrir, puis partir des questions des enfants pour voir comment l’exploiter. Il faut aussi pouvoir faire preuve de lâcher prise par rapport à une préparation programmée, pour s’adapter au désir de connaître des enfants qui sont là.
Tant d’avantages pour les enfants !
Pour Emilie Hennot, il est essentiel de se reconnecter avec le vivant, avec la nature, de réhabiter un territoire, quel qu’il soit, et de se rendre compte que nous faisons partie d’un tout. C’est la base pour changer les choses à l’avenir.
Tout domaine enseigné à l’école retrouve des liens dans la nature, parfois tellement évidents. On peut ainsi rendre les mathématiques vivantes à partir de l’observation de certains métiers. L’enfant qui apprend dans le réel avec tout son corps, avec tous ses sens, mémorise beaucoup mieux.
"Partir dans le milieu réel, c’est partir dans la complexité, par exemple la diversité des fleurs. La complexité et le vivant nous amènent cette extraordinaire possibilité d’émerveiller les enfants, et ça, c’est la première chose à faire", plaide Christine Partoune.
Certains enfants qui sont de milieu plus défavorisés bénéficient de grands moments de grâce en contact avec la nature. Hyper agités et peu concentrés en classe, ils deviennent vivants et de vrais acteurs de leur vie en pleine nature.
"Il faut une réflexion systémique sur le territoire, avec les parents, avec les enseignants et les partenaires du territoire, pour réfléchir à une exploitation du milieu qui tienne la route, en termes de durabilité", conclut-elle.