Economie

La pension des femmes moindre que celle des hommes : le taux ménage est une des raisons. Mais qu'est-ce que c'est?

Les discussions autour de la réforme des pensions ont également lieu chez nous, en Belgique. Et la ministre en charge de cette compétence, Karine Lalieux, s’est engagée à réduire l’écart de revenus entre les hommes et les femmes.

Cela a d’ailleurs été promis en début de législature : "les inégalités entre hommes et femmes seront prises en considération", est-il écrit dans le chapitre pensions de l’accord de gouvernement fédéral qui précise également : "Le principe de splitting des droits de pension sera étudié." Un principe qui voudrait que chaque membre d’un couple ait une pension égale, ce qui n’est en moyenne pas le cas actuellement.

Le taux ménage a été imaginé après la seconde guerre mondiale.

Dans un couple hétérosexuel, l’homme gagne en moyenne 10% de plus que la femme pendant sa carrière. Cet écart se creuse s’ils ont des enfants et a des répercussions tout au long de la vie de chacun. Jusqu’à la fin de celle-ci : la pension. Et là encore, c’est l’homme qui gagne le plus en moyenne.

La différence est de 488 euros pour les anciens travailleurs salariés et les indépendants selon une publication récente du Bureau fédéral du plan. Il s’est basé sur les 113.121 personnes qui ont, pour la première fois, reçu leur pension de retraite en 2021. Une pension qu’ils n’ont pas cumulée avec une pension de survie et/ou de conjoint séparé ou divorcé.

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Pour bien comprendre, il faut savoir que nos pensions sont composées de trois piliers, trois sources de financement :

  1. La pension légale – Elle est calculée sur base des années travaillées et du salaire reçu pendant cette carrière. Elle est payée par les cotisations des travailleurs.
  2. La pension complémentaire - Pour les salariés, elle est constituée par l’employeur mais n’est pas automatique. C’est l’assurance-groupe. Les indépendants peuvent aussi y avoir droit à condition de l’avoir constituée eux-mêmes.
  3. L’épargne privée – C’est une épargne sur le long terme mise en place à titre personnel via une banque ou une assurance par exemple et qui permet, sous certaines conditions, d’avoir un avantage fiscal.

Selon le Bureau fédéral du Plan, les inégalités de genre se creusent dans les deux premiers piliers, avec une plus grosse part jouée par la pension légale.

Focus sur le premier pilier : la pension légale

Dans ce premier pilier, la différence de revenu est de 403 € selon les chiffres présentés par le Bureau fédéral du plan.

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Il montre également que :

  • Trois quarts (76%) des femmes gagnent moins de 2000 euros par mois via ce pilier contre 58% des hommes.
  • Plus d’une femme sur cinq gagne moins de 1000 euros par mois via ce pilier contre 8% des hommes.

Pourquoi cette différence ? Souvent évoquée, la carrière des femmes est plus "morcelée" que celle des hommes. C’est ce qu’explique notamment le Conseil supérieur de l’emploi dans un rapport de janvier, "les salaires inférieurs durant la carrière, la durée plus réduite de la carrière, les interruptions de carrière plus nombreuses, un taux d’inactivité plus élevé, etc."

Ainsi, le fait que ce sont encore majoritairement des femmes qui s’occupent des tâches ménagères, de la maternité et des soins aux proches et qu’elles travaillent à temps partiel pour cela vient creuser l’écart.

La pension, un reflet de la carrière

"Les pensions ne font que refléter la situation du marché du travail. Le fait que beaucoup de femmes ont des carrières ‘incomplètes’, des niveaux de rémunération plus bas et sont discriminées en termes de carrière se reflète au moment du calcul de la pension", explique Pierre Devolder, professeur de finances à l’UCLouvain.

Mais il y a une autre raison à cet écart mise en avant par le Bureau fédéral du plan pour les personnes salariées ou indépendantes qui sont mariées : le taux ménage. "Le taux ménage est la plupart du temps appliqué à la pension de retraite de l’homme et peut certainement expliquer en partie pourquoi la pension de retraite moyenne des hommes est plus élevée que celle des femmes."

Le taux ménage, c’est quoi ?

Il s’applique au moment du calcul de la pension légale (premier pilier) des salariés et des indépendants. Pour chaque année de pension travaillée, on acquiert un droit à la pension égal à 60% du salaire annuel brut (salarié) ou du revenu professionnel net (indépendant) gagné au cours de l’année en question. Grosso modo, le service des pensions reprend les revenus annuels d’une personne et multiplie par 60%. C’est le taux en tant que personne seule, le taux isolé.

Mais quand on est marié, il y a la possibilité d’augmenter ce pourcentage, c’est le taux ménage. Quand il est appliqué, il n’est plus de 60% mais de 75% sur le plus gros des deux salaires. C’est le service des pensions qui calcule automatiquement ce qui est le plus avantageux pour le couple.

Quand est-ce avantageux ? Quand une des deux personnes composant le couple n’a pas eu ou a eu peu de revenus pendant sa carrière. C’est le cas des épouses restées à la maison pour s’occuper de la vie de famille.

Ainsi, pour les pensionnés d’aujourd’hui, c’est encore en grande majorité sur la pension de l’homme que ce pourcentage est appliqué. C’est donc lui qui touche cet argent pour le couple.

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Par exemple, un homme qui gagnerait 8000 euros au taux isolé, gagnera 9000 euros si son épouse a une petite pension de 1000 euros. Ainsi, le revenu global du couple est plus élevé grâce au taux ménage.

Mise en place après la deuxième guerre mondiale

"La pension légale pour les salariés a été mise en place après la deuxième guerre mondiale", contextualise Pierre Devolder. "À cette époque-là, le modèle classique était : Monsieur qui travaille et Madame qui s’occupe de la maison et/ou de la famille. C’était le modèle traditionnel. Le législateur s’est donc dit que si les deux membres du couple étaient toujours en vie au moment de la retraite, il serait logique d’adapter les ressources à deux personnes plutôt qu’à une seule. Ainsi, si l’épouse n’a pas eu de revenus, on donne une pension un peu plus élevée au couple avec un taux à 75%."

Plus de revenus mais une plus grande dépendance financière

Mais cette manière de calculer est-elle encore d’actualité ? Ne rend-elle pas la femme encore dépendante de son mari financièrement ? Bref, cette méthode de calcul est-elle égalitaire ?

Pour Pierre Devolder, c’est une méthode de calcul qui date clairement du passé mais qui profite aux deux membres du couple. "Même si le montant est versé à l’homme, la femme va également profiter de cette revalorisation. L’idée de la pension ménage est de redistribuer au couple, pas à l’homme seul. Et donc, la femme en profite aussi."

La question est donc de savoir comment l’argent est redistribué dans le couple une fois qu’il est versé à l’homme. "Et cette information est très difficile à obtenir car il s’agit du cercle privé", répond Laurène Thil, économiste et chercheuse à la KULeuven.

"Il est clair qu’avec le taux ménage, l’homme gagne plus grâce à sa femme. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que la femme reçoit moins de richesses à la fin. À partir du moment où les ressources disponibles pour le couple sont augmentées et reversées à l’homme, l’important pour l’égalité de genre est de voir comment elles sont redistribuées ensuite. Si elles sont partagées, c’est très bien, sinon, c’est clair que les femmes sont perdantes… Oui, il s’agit de bien s’entendre !"

Cela signifie ainsi que la femme dépend financièrement de son mari. "Il y a une globalisation des revenus qui fait que vous n’avez plus de droits propres si vous êtes celui, celle en l’occurrence, qui gagne le moins", réagit Dominique De Vos, présidente de la commission Sécurité sociale du Conseil fédéral de l’Égalité des chances entre hommes et femmes. "Ça bétonne la dépendance au mari. Même si, il faut le souligner, ils peuvent se séparer et toucher une pension de divorcés qui, là aussi, dépend des revenus du mari."

Une des solutions étudiée par ces trois experts serait le "splitting". Rappelez-vous, c’est une des solutions qui doit être étudiée selon l’accord de gouvernement. "L’idée de base du splitting est de cumuler la pension des deux personnes et on divise en deux", explique Dominique de Vos qui précise que cela pose énormément d’autres questions. "Que met-on dans ce pot commun ? La pension légale ? Complémentaire ? Cela ne risque-t-il pas d’appauvrir les ménages ?"

Attendre ou agir ?

Pour Pierre Devolder, qui avait également étudié cette solution, le taux ménage va "mourir de sa belle mort". "Progressivement, le taux ménage va devenir un non-sens et ne sera plus appliqué. Les deux membres du couple travaillent aujourd’hui et c’est donc le taux isolé qui sera appliqué parce que ce sera le plus intéressant. Parce que la somme des deux pensions sera plus importante qu’une pension avec un taux ménage."

Une condition à cela, ajoute Laurène Thil : que les carrières entre les hommes et les femmes soient égalitaires. Or, ce n’est pas encore le cas. Même si l’écart salarial tend à se résorber, il existe toujours. Avec un moment crucial : quand le couple devient parent, les études montrent que la carrière de l’homme prend son envol alors que celle de la femme est freinée.

"Cela a des conséquences sur les retraites", explique Laurène Thil qui s’interroge : "Est-ce le rôle des retraites de contrebalancer les inégalités de genre dans la vie professionnelle ? Ou est-ce qu’il faut concentrer les efforts sur la carrière des unes et des autres ?"

La nécessité d’une individualisation des droits

L’idée de réformer le taux ménage n’est en tout cas pas clairement énoncée par la ministre des Pensions, Karine Lalieux, qui a reçu la semaine dernière un rapport des syndicats sur la question de la dimension familiale. "Le rapport demandé aux syndicats pointe la nécessité d’une individualisation des droits progressive, notamment pour la participation au travail des femmes", précise le cabinet de la ministre. "En outre, les partenaires sociaux relèvent que les droits dérivés entraînent des incohérences et ne prennent pas assez en compte les nouvelles formes d’organisation familiale, le mariage étant la seule forme permettant d’accéder aux droits dérivés."

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