Santé & Bien-être

Droit de suite : un an après, le secteur infirmier est-il toujours en manque d'oxygène?

Par Kevin Dero, sur base d'une séquence d'Elisabeth Groutars via

Rappelez-vous, en juin 2021, de grandes manifestations du secteur des soins de santé eurent lieu. A Namur, Mons, Charleroi, les infirmiers ont défilé. Dénonçant notamment un manque de bras. Un ras-le-bol qui existait depuis longtemps et qui ne s’est pas arrangé après la période "covid". Il faut maintenant rattraper le retard, reprogrammer les interventions reportées, alors que le personnel est à bout. " On a été applaudi, considérés comme des héros, et finalement traités comme des zéros ", considérait une infirmière. D’autres soulignaient également le traitement salarial " de misère " des infirmiers et infirmières.

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Un peu plus d’un an plus tard, où en sommes-nous ?

Un peu plus d’un an plus tard, où en sommes-nous ? Un ensemble de mesures ont été prises par les autorités, et ce même avant cette manifestation. Les politiques ont mis à leur actif le fonds " blouses blanches ", qui permet d’engager davantage de soignants. Primes de fin d’année, d’attractivité et formations supplémentaires ont aussi été mises sur pied… Le cabinet du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, a déclaré avoir engagé depuis 2019 quelque six milliards d’euro supplémentaire pour revaloriser le secteur.

Très bien, mais cela ne semble pas suffire pour les professionnels de la santé. Des actions de revendication ne cessent d’être menées dans le secteur. Pourquoi ? Elisabeth Groutars a tenté de répondre à ces questions avec Alda Dalla Valle, vice-présidente de la fédération nationale des infirmières de Belgique.

Tout d’abord, ces mesures ont-elles eu un impact concret sur le personnel soignant ? " Non " fustige Alda Dalla Valle, catégorique. " Le personnel manifeste encore et toujours. Il essaye de se faire entendre… Pour la population, aligner des zéros (comme l’annonce le ministre avec ses 6 milliards d’euros, ndlr) est toujours splendide. On se dit " pourquoi l’infirmier ou l’aide-soignant se plaint-il encore ? " ". Mais la réalité est autre, selon la représentante. L’argent a été libéré. Fort bien. Mais a-t-il été bien investi ?


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Pour ce qui est de l’aide psychologique, oui, souligne la vice-présidente. Mais en ce qui concerne le fameux "fonds blouses blanches", ce serait une autre paire de manches. L’argent aurait bien été donné pour le recrutement de nouveaux infirmiers et aides-soignants, mais "la réalité c’est qu’on n’arrive pas à les trouver". Nous sommes donc face à une pénurie de personnel.

Cercle vicieux

Pour y remédier, des mesures ont été prises : engagement de personnes au chômage (qui peuvent garder une partie de leurs indemnités)…

Yves Hellendorff , secrétaire national CNE pour le secteur non-marchand et infirmier, expliquait cela à notre micro : " Nous continuons à vivre ce cercle vicieux qui est que les conditions de travail étant mauvaises, les gens ne viennent pas travailler dans le secteur. Ou ne tiennent pas le coup. On a donc un manque de personnel sur le terrain. Ce manque de personnel crée une difficulté supplémentaire, c’est-à-dire que cela détériore encore plus les conditions de travail ". Un " cercle vicieux " qui, malgré des moyens importants engagés, n’a pas été possible de casser, selon le syndicaliste. Car les moyens pécuniaires ont été " mis en place sur une situation qui était déjà catastrophique ".

Rendre le secteur plus attractif

Pour Alda Dalla Valle, il faut plus (et mieux) écouter le personnel de terrain. Selon elle, les autorités ne consultent pas réellement le secteur infirmier. " Autour de la table des négociations se trouvent des partenaires sociaux autres qu’infirmiers et le patronat. Vous n’avez personne réellement de la profession. Comment casser un cercle vicieux ? Tout d’abord en donnant la parole aux infirmiers que nous sommes " somme Alda Dalla Valle (qui est aussi infirmière en chef dans le service des urgences à Epicura Hornu)​​​​​​​.

Que manque-t-il pour attirer les aspirants soignants ? Pour l’infirmière, le sens est tout d’abord important. Redonner un bien-être au travail, reconnaître l’expertise des employés du secteur, et surtout de la pénibilité.

Comment casser un cercle vicieux ? Tout d’abord en donnant la parole aux infirmiers que nous sommes 

Revalorisation salariale

Le ministre prévoit de changer les règles, et de prendre en compte pour le salaire dorénavant les tâches accomplies et non plus le diplôme. Une erreur, selon Alda Dalla Valle​​​​​​​ : la classification IFIC – cette nouvelle façon de faire – " lisserait " les compétences. " Ce serait à travail égal, salaire égal. Donc c’est une non-reconnaissance, une gifle faite à notre profession par la non-reconnaissance des compétences requises et de la formation continuelle ". De levées de boucliers se sont déjà fait jour dans la profession afin que le ministre et ses services revoient leur copie et prennent en compte d’autres facteurs.


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Il faudrait une " classification de fonctions spécifique aux infirmières et aux aides-soignantes qui tiennent compte des compétences et des formations. C’est tout à fait possible ".

85% du personnel infirmier est de sexe féminin. Le bien-être au travail, il faut, selon Alda Dalla Valle, aussi qu’il passe par une flexibilité du patronat par rapport au rythme de vie. Les horaires sont " ingrats ", le turn-over important, les temps sont souvent partiels (pour se libérer pour le cercle familial). Les normes actuelles datent d’il y a 30-40 ans. Pour redonner du sens au travail et être dans son temps, il faudrait donc retirer des tâches administratives, remettre plus de personnel qualifié aux soins, améliorer la logistique… Ce qui permet aussi de dégager plus de temps pour que le travailleur de la santé soit auprès de ses patients.

Soigner votre soignant pour qu’il soigne bien votre patient

Le bout du tunnel ?

Des pistes existent donc. Le ministre de la Santé veut lui créer un agenda de l’avenir pour le personnel soignant. Et la vice-présidente de la fédération nationale des infirmières de Belgique d’annoncer qu’elle mettra à l’ordre du jour, dans le cadre de ces discussions " la reconnaissance de la profession et de sa pénibilité ". Pour les pensions et les aménagements de fin de carrière notamment. Il faudrait aussi repenser les horaires et un meilleur soutien. Ainsi que " ne plus être dépendant du médecin. Médecins et infirmières, ce sont deux professions complémentaires et pas subalternes ". Le bien-être passe aussi donc par une responsabilisation des infirmières (devant s’en référer alors au conseil infirmier et la coordination infirmière).

Considération et responsabilisation, deux maîtres-mots primordiaux pour tout un secteur.

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