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Double féminicide à Gouvy : "C’est un homme qui a tué deux femmes parce qu’elles se désiraient"

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Par Camille Wernaers

Le numéro gratuit pour les victimes de violences conjugales est le 0800 30 030. 

Nathalie Maillet, la directrice générale de Francorchamps, et Ann Lawrence Durviaux, avocate et professeure à l’Université de Liège, ont été retrouvées mortes dans la nuit de samedi à dimanche. Il s’agit selon tout vraisemblance d’un double féminicide et le meurtrier est le mari de Nathalie Maillet, Franz Dubois.

"A 00h10, le corps sans vie de deux dames et d’un homme ont été découverts par les services de police dans une habitation à Gouvy, tous trois présentant des blessures par balles. D’après les premières informations recueillies, l’individu masculin aurait fait volontairement usage de son arme à l’égard des deux femmes, parmi lesquelles figurait son épouse, entraînant leur décès, avant de se donner la mort", a indiqué le parquet dimanche dans un communiqué. L’enquête est en cours.

Un double féminicide lesbophobe ?

Il est possible qu'il s'agisse d'un crime lesbophobe. Sandrine Detandt est professeure de psychologie et des sexualités à l’Université Libre de Bruxelles. Elle connaissait également Ann Lawrence Durviaux à titre personnel. "La façon dont les médias parlent de cette affaire est à pleurer. Dans un premier temps, le nom de l’homme qui a tué ces deux femmes n’a pas été cité. Ensuite, dans un deuxième temps, on a cité son nom mais entre autres pour lui trouver des excuses. Il y a des articles qui titrent qu’il allait fêter son anniversaire dimanche ou qu’il était très charmant ! C’est insupportable", explique-t-elle. "Pour moi, il est important de rétablir le vérité des faits. Ils étaient séparés, Nathalie Maillet lui avait annoncé qu’elle était tombée amoureuse d’Ann Lawrence. Ils étaient en procédure de divorce. Il a prétendu que cela ne lui faisait rien, il a même rencontré Ann Lawrence… On est loin de l’homme trahi qui rentre chez lui à l’improviste retrouvant sa femme dans les bras d’une autre ! C’est une manière de romancer cette affaire. Nous sommes face à un homme qui a tué deux femmes parce qu’elles se désiraient. Il n’en avait tout simplement pas le droit. Il y a là des rapports de pouvoir qui se jouent."


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"C’était aussi deux femmes de pouvoir, elles évoluaient dans des cercles habituellement masculins. Et Ann Lawrence n’a jamais caché qu’elle était lesbienne. Il y a une semaine, au restaurant, elle me disait encore qu’elle avait probablement perdu la bataille pour le rectorat de son université entre autres pour cette raison. Parce qu’elle était une femme, mais une femme lesbienne. Cela convoquait tout un imaginaire absolument incroyable autour d’elle. On voit aussi dans les commentaires comment la sexualité est mise en avant par rapport aux fantasmes sous-jacents et à l’objectification des femmes et encore plus des lesbiennes (avec des remarques comme "il aurait pu proposer un plan à trois"). Comment cet homme devient le héros trahi nécessitant de nettoyer son honneur. Ceci nous renvoie aux siècles précédents où l’on considérait comme normal qu’un homme possède sa femme. Cette dernière était alors la seule punie par la justice pour adultère, quand elle ne correspondait pas aux attentes imposées par le couple, et par les hommes", continue-t-elle. "Je suis très mal par rapport à cette histoire, c’est la première fois que je suis mobilisée si personnellement et fortement sur la question des féminicides. On ne possède pas quelqu’un, jamais".  

Si on s’intéresse au fond du problème des féminicides, on découvre que ce sont des hommes violents qui ne supportent pas de perdre le contrôle sur leur conjointe

Mal connue et invisibilisée, la lesbophobie n’est pas la même chose que l’homophobie. "La lesbophobie, c’est l’intersection entre le sexisme et l’hétérosexisme. Les violences que vivent les lesbiennes ne sont pas comparable à celles que vivent les homosexuels. Il s’ajoute aux violences sexistes auxquelles les femmes sont confrontées", explique Irène Zeilinger, fondatrice de l’asbl Garance. "On n’a pas beaucoup de chiffres pour la Belgique, mais on constate que les lesbiennes sont plus souvent confrontées à la violence verbale, sexuelle ou physique que les femmes hétéros. Il y a cette idée en hétéropatriarcat que les femmes doivent être sexuellement disponibles pour les hommes, par définition, les lesbiennes ne le sont pas. C’est comme si elles volaient quelque choses aux hommes qui doivent alors affirmer leur domination, leur droit à cette disponibilité sexuelle. Il y a par exemple les viols correctifs, destinés à ‘guérir’ les femmes lesbiennes." Et de continuer : "Cette lesbophobie est institutionnalisée dans la pornographie mainstream, où on va voir des femmes qui commencent une relation sexuelle et puis l’homme arriver. Et elles n’attendaient que ça. Cela donne l’image d’une sexualité lesbienne dépendante des hommes. Je suis bisexuelle, j’ai été en couple avec des femmes et j’ai déjà été face à des hommes qui voulaient s’inviter dans mon couple..."

"La lesbophobie se croise avec le sexisme car sont vues comme lesbiennes toutes les femmes qui ne correspondent pas aux normes de genre. Elles sont jugées ‘trop’ masculines par exemple, ce n’est pas pour rien qu’on ‘accuse’ les féministes d’être lesbiennes, parce que quelque part on est moins disponibles pour les hommes, on s’émancipe", observe Irène Zeilinger. "Dans les recherches sur la lesbophobie, on voit que beaucoup de violences se produisent dans le contexte privé. Ce sont les voisins, les amis, la famille, etc. Dans ce cas-ci, c’est considéré comme une grande trahison pour cette femme de ne plus avoir été disponible sexuellement pour son mari. Il y a aussi cette idée chez certains hommes que ça va s’ils sont quittés pour un homme, parce que c’est être en concurrence avec un autre homme, mais quand c’est pour une femme, cela signifie perdre face à une femme. C’est pire. Cela met en jeu une virilité et une masculinité stéréotypé."

On constate que les lesbiennes sont plus souvent confrontées à la violence verbale, sexuelle ou physique que les femmes hétéros. Il y a cette idée en hétéropatriarcat que les femmes doivent être sexuellement disponibles pour les hommes, par définition, les lesbiennes ne le sont pas

Selon Irène Zeilinger, la lesbophobie est particulièrement invisibilisée, même au sein de la communauté LGBTQIA+. "Il faut visibiliser la lesbophobie et ses spécificités, il faut en parler, et également de la biphobie qui est encore moins bien connue, parce qu'on ne sait pas si elles étaient lesbiennes toutes les deux, l'une d'elles était mariée à un homme", conclut-elle. Garance a publié un guide d’auto-défense à destination des personnes LGBTQIA+ : Libres à tous les coups.


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Un "crime passionnel" ?

Très vite sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnes ont réagi pour expliquer qu’il ne s’agissait pas de féminicides mais bien d’un "crime passionnel", l’homme ayant agi "sous le coup de la passion". "Crime passionnel", une expression bien connue qui minimise les faits, culpabilise les victimes et dédouane l’agresseur. C’est d’ailleurs le constat d’une étude de l’Association des journalistes professionnels (AJP) sur la médiatisation des violences faites aux femmes. L’AJP recommande d’ailleurs de ne plus l’utiliser, ainsi que "drame familial" ou encore "amoureux éconduit". "Parler de 'chagrin d’amour' ou de 'crime passionnel' pour qualifier un meurtre conjugal, c’est parer la réalité d’un voile romantique et induire un sentiment de compréhension par rapport au meurtrier", écrit l’AJP. " ‘Drame’ comme ‘passionnel’ évoquent le domaine du théâtre. L’idée est que l’individu est emporté par une force qui le dépasse et n’est donc plus responsable de ses actes. Parler de ‘crime passionnel’ conduit aussi à déplacer l’accent du crime vers la passion amoureuse et, de ce fait, à dédouaner au moins en partie le coupable, lui-même victime de ses passions", explique quant à elle la linguiste française Anne-Charlotte Husson au site Journal des Femmes.

L’AJP recommande également aux journalistes "d’expliquer la nature du phénomène, son caractère systémique. Ces violences sont des actes récurrents, structurels. Elles découlent de rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, qui ont instauré des relations de domination et des discriminations". En juin, c'est le Conseil de déontologie journalistique qui a publié des recommandations sur le traitement journalistique des violences de genre.

"Si on s’intéresse au fond du problème des féminicides, on découvre que ce sont des hommes violents qui ne supportent pas de perdre le contrôle sur leur conjointe. La séparation est d’ailleurs un moment particulièrement à risque pour les femmes, expliquait aux Grenades Josiane Coruzzi, directrice du refuge Solidarité Femmes à La Louvière. [...] Le dominant ne supporte pas de perdre l’objet de sa domination. Ce n’est pas “je ne supporte pas de vivre sans toi”, c’est plutôt : “je ne supporte pas que tu vives sans moi”. On parle de contrôle coercitif, qui fait partie des violences conjugales. Pourtant, il y a encore cette image qui entoure le féminicide, qui serait le fruit d’une pulsion incontrôlée, d’un crime passionnel. C’est complètement faux.”


►►► A lire aussi : Au moins 13 féminicides en Belgique en 2021 : "Il faut sortir du déni"


Le féminicide est défini par l’Organisation Mondiale de la Santé comme le meurtre ou l’assassinat d’une femme parce qu’elle est une femme. La Belgique a récemment annoncé sa volonté de comptabiliser ces actes qui font donc partie du continuum plus large des violences faites aux femmes pour mieux les contrer.

Selon le décompte des associations de terrain, via le blog Stop Féminicide, Nathalie Maillet et Ann Lawrence Durviaux sont respectivement les 14ème et 15ème victimes de féminicide cette année dans notre pays.

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La directrice du circuit Spa-Francorchamps a été tuée - JT 15/08/2021

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