Belgique

D’où vient la Chandeleur, jour de crêpes ?

Par Sophie Brems

Ce mercredi 2 février, date de la Chandeleur, c’est jour de crêpes. Mais quelles sont l’origine et l’histoire de cette tradition ? Pour en parler au micro de Sophie Brems sur la Première, Geneviève Lacroix, historienne et spécialiste des fêtes traditionnelles.

Quelle origine ?

"C’est très chrétien, avec une couche d’acculturation chrétienne par-dessus. L’idée au départ est que le mois de février est un mois un peu court, un mois qui termine le cycle de Noël et qui inaugure le cycle du Carnaval. C’est donc vraiment l’idée de mettre fin à l’hiver par toute une série de purifications et de cérémonies, et déjà de s’ouvrir au printemps avec le début des retours de la fertilité, des oiseaux qui commencent à pépier, qui commencent à prendre les repères pour faire leur nid, etc. Et la crêpe évoque évidemment ce disque solaire, ce retour des quelques minutes de jour, de luminosité que l’on gagne par jour et de vitalité qui revient dans la nature."

D’où vient le mot Chandeleur ?

"La Chandeleur, c’est du latin. C’est la Festa Candelarum, la fête des chandelles. Depuis les traditions celtes, qui se sont attestées bien avant la christianisation de nos régions, on a documenté le fait qu’il y avait des processions aux flambeaux dans les villages, toujours dans cette idée de refaire le tour du groupe, refaire le tour du village, apporter la lumière dans tous les petits recoins du village pour célébrer la lumière, chasser les mauvais esprits et retrouver cette purification, apporter la joie et le retour du printemps."

L’étymologie de crêpe a donc aussi son importance ?

"Là, c’est justement du latin. Ça vient simplement de crispus, qui veut dire frisé, ondulé. Ce n’est pas tellement le centre de la crêpe qui est en question, mais c’est le petit bord de pâte beaucoup plus fin, beaucoup plus craquant et un peu plus foncé. C’est cette idée de croustillant."

La crêpe fait donc référence au disque solaire, et il y a une différence à faire avec la galette des Rois ?

"Oui, la première fête du retour de la lumière est l’Épiphanie, le 6 janvier. Là, on est un mois plus tôt dans le calendrier et les réserves sont souvent plus importantes : on a encore davantage de beurre, de farine. Je parle évidemment de nos aïeux, sans frigo, sans camion. On peut donc faire un beau gros gâteau assez riche qui doit monter. Il est important qu’il monte pour signaler ce début de la montée de la fève, de la montée en luminosité. Un mois plus tard, les réserves sont parfois un peu plus maigres, mais pour faire une crêpe, on a au moins un peu de farine et un peu d’eau. Et si on a du lait, du sucre ou du miel à l’époque, si on a de quoi enrichir la crêpe, c’est mieux, mais au minimum, on aura cette évocation gourmande et familiale du disque solaire."

© Getty

Le "paquet" à l’Épiphanie et un peu plus cheap pour les crêpes de la Chandeleur, les traditions se sont superposées ?

"C’était avec ce qu’il reste mais il n’y a jamais eu de génocide culturel. Toutes les traditions se sont superposées suite à des migrations, des changements de religion ou des influences. Mais on ne peut pas remonter tellement plus loin que le fond celte non plus, on n’a pas de documents pour remonter plus loin. Là, il est attesté avec ces tournées aux flambeaux, souvent faites par des enfants parce que les enfants incarnent la genèse, le pouvoir de la vie, le futur. Cette tradition-là a été christianisée à la fin du 5e siècle pour en faire justement des processions aux flambeaux qui partent de l’église, les flambeaux étant bénis, et où les porteurs de flambeaux se rendent dans chaque maison pour porter ce message de joie, et de résurrection dans ce cas-ci, à chaque foyer et surtout les foyers les plus isolés du village. C’est un ajout chrétien, mais la base, le fond de l’histoire, le fond de la symbolique reste le même."

Pourquoi la première crêpe est presque toujours ratée ?

"La première est souvent ratée pour tout le monde, je vous mets tout de suite à l’aise. D’abord, le fait de les faire sauter, c’est toujours d’exprimer cette vitalité, ce rebond de la vie, ce rebond de l’énergie, cette dynamique. Et le fait d’en sacrifier une en la lançant par-dessus une armoire et en l’y laissant pendant un an, c’est toujours cette idée de faire un petit sacrifice pour commencer, pour obtenir un porte-bonheur, pour obtenir une grâce, pour obtenir le fait que l’année sera beaucoup plus prospère parce qu’on a osé sacrifier un tout petit peu au départ. C’est le début de l’agriculture, c’est le principe de l’épargne : sacrifier un tout petit peu pour obtenir beaucoup. Et ça se voit dans tous les sacrifices, dans toutes les religions. Là, c’est finalement une version très apaisée, très calme et très lointaine, mais de cette petite crêpe du début qui est d’abord sacrifiée, consacrée, et la famille peut se rassembler pour profiter de toutes les autres. Mais la crêpe est là, elle veille, elle restera porte-bonheur pour le restant de l’année et apportera prospérité, d’où l’idée de parfois le faire avec une pièce de monnaie en main également."

La crêpe, finalement plus ancien, plus archaïque que le pain ?

"Oui, parce que c’est de la farine et de l’eau sans principe de fermentation. C’est la galette qui a finalement été mise au point, d’une certaine manière, avant qu’on ne puisse commencer à gérer les processus de fermentation qui rendent le pain plus abondant, qui rendent le pain plus gonflé et plus beau symboliquement. Mais dans toute une série de régions où on ne panifie pas, on fait néanmoins des galettes. Je vous parle des temps les plus anciens, je parle de la Mésopotamie il y a 4000 ans. Quand le levain ne veut vraiment pas prendre, au strict minimum on a une galette."

Et au final chacun a sa recette du pain et sa recette des crêpes. Certains avancent qu’il faut mettre aussi un peu de bière pour qu’elles soient plus légères. D’autres vont même plus loin, comme la célèbre chef Richard Oliver dans son incontournable recette des années 50.

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