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Dossier : ces commerces indépendants qui veulent résister aux crises en Brabant wallon

A Wavre, comme dans d’autres centres urbains du Brabant wallon, les commerces indépendants ont souffert ces dernières années. Inondations, Covid, concurrence de l’e-commerce, des chaînes internationales et des shoppings, loyers élevés,… Autant de facteurs

© RTBF jch

Que vont devenir les centres-villes ? Des quartiers morts, sans vie ? Dépourvus de commerces, de brassage culturel et d’animation ?

La question taraude de nombreux habitants et badauds. Et pour cause : une partie importante des commerces et de l’Horeca souffre, surtout depuis la crise sanitaire. Mais pour la majorité des petits commerces, les difficultés remontent à une dizaine, voire une vingtaine d’années. De nombreux indépendants (principalement) doivent se battre pour survivre. Ils tentent de résister aux multiples facteurs qui secouent le secteur. Concurrence de l’e-commerce, des chaînes internationales, des shoppings et des complexes commerciaux en périphérie ; espaces commerciaux saturés ; cadre de vie pas assez attractif ; coût élevé des loyers et des charges ; problèmes de mobilité et de stationnement ; changement des habitudes de consommation ; et enfin, crise sanitaire, voire inondations dans certains quartiers.

Selon une étude de l’ULB menée dans les années 2009 à 2019, les surfaces de vente ont grandi de 7% en Wallonie. Par contre, le nombre de boutiques n’a cessé de diminuer avec 3332 commerces perdus entre 2009 et 2019, soit une baisse de 15%. En d’autres termes, la grande distribution et les chaînes de magasins ont grandi au détriment du petit commerce local. Résultat : une augmentation des cellules vides, deux fois plus nombreuses qu’en 2009.

Face à ces multiples difficultés, certains mettent la clé sous le paillasson. D’autres résistent, se modernisent ou se réinventent ! En dépit des difficultés et d’un contexte défavorable, d’autres encore décident de se lancer dans l’aventure. La plupart du temps avec des aides publiques et différents coups de pouce. Et dans certains cas, la réussite dépasse les espérances.

Etat des lieux

 

Difficile, pour ne pas dire impossible à ce jour, de dresser un état des lieux récent, complet et détaillé du secteur en Brabant wallon. Il n’existe pas véritablement de cadastre global, réactualisé et détaillé de la santé des commerces indépendants dans les centres urbains de la province. Certes, les pouvoirs locaux, provinciaux et régionaux, les bureaux d’études, ainsi que les nombreuses associations et fédérations du secteur disposent de chiffres. Mais ils sont tantôt trop partiels, datés ou pas suffisamment indépendants. Tantôt trop ou pas assez locaux. Ou tout simplement inaccessibles gratuitement.

"Il n’y a pas encore de réel cadastre permettant d’avoir une vue globale, à jour et détaillée, pour nos centres urbains", explique Jean-Christophe Echement, responsable de l’asbl GCVOLLN (Gestion Centre-Ville Ottignies Louvain-la-Neuve). "La Région wallonne et le Réseau des Gestions Centres-Villes travaillent actuellement dans ce sens. Nous espérons donc voir naître un tel cadastre vers la fin de cette année-ci". Sur base d’indicateurs et en analysant les données existantes, même partielles, on peut toutefois avoir une idée de l’état du secteur.

Situations disparates

La santé du petit commerce est assez disparate en Brabant wallon. Le secteur du commerce indépendant se porte plus ou moins bien d’un centre urbain à l’autre, en fonction d’une série de facteurs comme ceux cités en début d’article.

Seule certitude à ce jour : la situation des commerces physiques dans les centres-villes a tendance à se fragiliser sensiblement depuis une quinzaine d’années. Parmi les indicateurs souvent exploités dans les études : le taux de cellules commerciales vides. Globalement, dans la plupart des cœurs de ville du Brabant wallon comme dans la plupart des autres villes belges, le pourcentage de commerces inoccupés n’a cessé d’augmenter. "Au 1er janvier 2020, selon le bureau d’études Locatus, on estimait la vacuité commerciale à 11,2% à l’échelle de la Belgique", explique Alexandre Ponchaut, conseiller expert à l’Union des Villes et Communes de Wallonie. "Selon le baromètre annuel de l’AMCV (Association du Management de Centre-Ville), le taux de cellules vides en 2020 dépassait 35% dans certains centres urbains". Et c’est surtout la Wallonie qui enregistrait la plus forte dégradation à quelques exceptions près comme Louvain-la-Neuve ou Waterloo.

Révélateur d’une problématique, cette vacance commerciale constitue aussi un facteur négatif dans les quartiers. Une vitrine vierge contribue à la perte d’attractivité d’une zone commerciale. C’est d’ailleurs ce qui avait poussé la Ville de Wavre (environ 18% de cellules vides à l’automne 2021) à faire décorer les vitrines concernées dans le but de stimuler les candidats à la reprise de commerces. Rappelons que Wavre, malheureuse victime des inondations, a créé un Fonds de développement commercial pour soutenir les commerces (primes à l’installation, au réaménagement, aides au loyer). Ici aussi, malgré un contexte difficile, on constate l’ouverture de nouvelles enseignes (librairies, téléphonie et autres).

Wavre veut tenir bon

Le chef-lieu de la province suscite souvent pas mal d'interrogations en matière de commerces. "Vu le contexte, Wavre ne s’en sort pas trop mal", estime Bernadette Pierre, Présidente de l’association Les Commerçants de Wavre. "Wavre compte environ 600 commerces. La plupart des indépendants sont de vrais professionnels qui connaissent bien leur métier et qui donnent des conseils précieux à la clientèle. Nous avons aussi un nombre important de commerces spécialisés qui proposent des produits de niche. Certes, la concurrence des chaînes, l’e-commerce, la Covid et les inondations nous ont fait souffrir. Mais beaucoup de gens ont pu rebondir en s’adaptant, en rénovant, en développant une filière parallèle de vente en ligne ou en profitant des nouvelles tendances de consommation, une partie des clients souhaitant davantage de proximité (de produits locaux et de circuits courts)".

 

L’accalmie 2021

Lors d’un entretien accordé en octobre dernier au journal Le Soir, l’Association du Management de Centre-Ville (AMCV) constatait dans ses relevés de 2021 une inversion de cette tendance lourde. Une éclaircie dans le ciel gris de Wallonie. "Pour la première fois en 25 ans, on constate une baisse du nombre de cellules commerciales vides dans les centres urbains wallons", indiquait l’AMCV. "En un an, on est passé de 19,9% à 17,2%". Une diminution surtout marquée dans les petites et moyennes villes. Nivelles, par exemple, a perdu 4,2% de cellules inoccupées ; Braine-l’Alleud, 4,1%. Globalement, on peut parler d’une accalmie, mais le secteur reste fragile.

Braine face aux défis

Braine-l’Alleud se bat mais pour une partie de ses 539 commerces, la bataille n’est pas facile. "Le commerce par internet et le changement d’habitudes de consommation rendent la vie des petits indépendants plus compliquée", avoue Nadine Colla, Présidente de l’Association des Commerçants et Artisans de Braine-l’Alleud. "Certains prennent toutefois des risques. Un magasin de bricolage, par exemple, s’est récemment installé. Nous devons miser sur le conseil, la proximité, le lien social, les circuits courts et la spécificité. Cela donne une plus-value par rapport aux grandes enseignes. Pour ma boutique de décoration, je me suis lancée sur internet. Mais cela n’est pas évident. Heureusement, la commune débloque des moyens financiers et pratiques considérables pour nous soutenir. Je pense notamment aux chèques de relance commerciale. Ou aux conseils proposés pour développer l’e-commerce en plus de notre boutique physique".

"C’est un défi de créer de nouveaux commerces, mais nous y travaillons", explique l’échevin brainois Jean-Marc Wautier. "En août 2021, nous comptions 7,8% de cellules vides. C’est encore trop, mais ce n’est pas si mal. Waterloo était à 9,8% à ce moment-là. Nous devons encourager les nouvelles formes de commerces, les concept stores et la vente en ligne".

Se réinventer, réinventer la ville aussi, en modernisant son cadre de vie, en garantissant la mixité fonctionnelle du centre-ville, en s’adaptant aux nouveaux modes de consommation, en se tournant vers l’avenir, c’est aussi ce que tente de faire Tubize. La ville compte beaucoup sur son projet multifonctionnel qui prend forme sur l’ancien site des Forges de Clabecq.

Rixensart et La Hulpe aussi travaillent sur des projets de redynamisation commerciale. Rixensart a reconverti le site des anciennes Papeteries de Genval en vaste complexe commercial moderne. Mais pour les petits commerces de Rosières et du centre de Genval, les défis restent importants. Ici comme ailleurs, la promotion des circuits courts pourra sans doute aussi s’appuyer sur l’aide de la province du Brabant wallon. Celle-ci a débloqué un budget de 400.000 euros pour donner aux communes les moyens d’aider les commerces de proximité à se développer.

A La Hulpe, le bureau d’études UPcity indiquait un taux de cellules vides de 12% pour l’été 2020. L’entité devra notamment diversifier son offre commerciale, par exemple en ciblant les loisirs, et mieux répondre aux attentes des jeunes et des seniors.

Nivelles tente de s’adapter

"Nivelles avait un taux de cellules vides quand même assez élevé (environ 18%). Mais à la fin de l’année dernière, des études, dont celle de l’AMCV, ont révélé une baisse de 4,2%", souligne Jennifer Henneuse, coordinatrice de l’asbl Nivelles Commerces. "On constate d’ailleurs que pas mal de nouveaux commerces ont vu le jour. Et d’autres projets sont prévus en 2022, dont au moins trois dans les prochaines semaines. L’an dernier, nous avons eu une dizaine de nouveaux commerces, voire une vingtaine. Parmi ceux-ci : des concepts hybrides, originaux. Comme un barbier qui vend aussi des alcools spécifiques. Ou des boutiques physiques plus branchées et qui développent une communication via internet, les réseaux sociaux, des newsletters et même des influenceurs. C’est ce genre d’adaptation, de créativité et de communication qui les fait tenir". Bien qu’impactés par les grandes enseignes du centre commercial, les petits indépendants nivellois subissent moins la concurrence du shopping que d’autres entités. "A Nivelles, nous avons pu jouer sur une forme de complémentarité entre les commerces du shopping et ceux du cœur de ville".

Les bons élèves

En Brabant wallon, en 2021, les bons élèves sont Louvain-la-Neuve avec seulement 1,2% de cellules vides. Et Waterloo, avec 10,1%, un taux honorable quand on sait que Dinant (province de Namur) enregistrait un taux de 25,7%. "Ici, nous avons de la chance. Waterloo reste attractive", explique Catherine Detry, de l’Association des Commerçants et des Indépendants de Waterloo. "Nous ne subissons pas la concurrence immédiate des shoppings. Sur nos quelque 800 commerces, dont environ 250 indépendants, nous enregistrons peu de fermetures. D’autant qu’un départ est souvent relativement vite compensé par une arrivée. Waterloo bénéficie d’un nouveau manager de centre-ville qui nous aide. Tout comme les pouvoirs locaux. Nous avons aussi des parkings gratuits. C’est un atout souligné par bon nombre de mes clients". Des clients qui apprécient d’ailleurs les conseils des petits commerçants et le côté proximité du centre-ville. Mais le centre devra toutefois être amélioré, surtout en termes de mobilité.

Ottignies-LLN

Pour la commune d’Ottignies Louvain-la-Neuve, il faut distinguer les deux entités. "A Ottignies, comme un peu partout, les petits commerces souffrent", commente Jean-Christophe Echement, de l’association Gestion Centre-Ville Ottignies Louvain-la-Neuve. "Dans la galerie du Douaire, à Ottignies, la situation n’est pas facile. Il y a eu des faillites. Là, le problème est déjà ancien. Le site a vieilli. Il y a toutefois eu quelques nouvelles enseignes, mais la galerie devra évoluer. La commune vit des situations très contrastées".

A Louvain-la-Neuve, la présence de l’Esplanade a permis d’attirer de nouveaux clients. Elle a également suscité une opposition féroce. Car généralement la plupart des surfaces d’un centre commercial sont occupées par des enseignes de chaînes internationales, seules à pouvoir assurer des loyers élevés. "Même pour les grandes enseignes, le montant élevé des loyers n’est pas facile", assure Jean-Christophe Echement. Mais pour les petits indépendants, la facture est encore plus salée, d’autant que les charges ne cessent d’augmenter. Ce qui a poussé les pouvoirs publics et certains propriétaires privés à proposer une intervention, par exemple pour soulager le loyer. Un autre exemple connu est le dispositif Créashop.

Créashop

Testé d’abord à Liège, l’outil régional wallon a été lancé officiellement dans seize villes wallonnes en 2017. Le dispositif a aidé plus de 200 commerces à se mettre en place dans toute la Wallonie. En Brabant wallon, six villes étaient concernées : La Hulpe, Tubize, Waterloo, Wavre, Nivelles et Jodoigne. Le taux global de réussite en 4 ans a atteint 85%. Le projet s’est achevé le 30 juin dernier. Mais il s’est élargi à 35 villes et communes sous l’appellation Créashop Plus. Concrètement, comme l’explique la Région wallonne, "Creashop Plus octroie à un nouvel entrepreneur souhaitant s’installer dans une cellule vide, une prime allant jusqu’à 6000 euros, représentant au maximum 60% des dépenses effectuées pour l’installation d’une nouvelle boutique". L’aide régionale prévoit aussi un coaching du futur commerçant ainsi que divers coups de pouce.

A Jodoigne, dans une ville où la création de nouveaux commerces n’est pas évidente, le système Créashop a profité récemment à un jeune artisan chocolatier. Après une première expérience dans l’hôtellerie suivie d’un contrat chez un chocolatier, Quentin Van den Broucke a voulu relever le défi : créer son propre atelier et sa propre enseigne de chocolat artisanal. "J’ai ouvert mon magasin le 12 mai 2021 avec le soutien de ma famille et du projet Créashop", explique-t-il. Le Covid avait déjà sévi. Le jeune homme a inauguré son point de vente dans une période de répit. Mais le pari restait risqué. "J’ai cru en mon projet. Je suis passionné. J’étais bien conseillé, bien informé, bien préparé depuis 4 ou 5 ans. L’aide régionale de Créashop, comme celle de l’UCM (partenaire des indépendants et des PME), a évidemment été importante. J’ai beaucoup travaillé. Il peut y avoir plein d’embûches, mais il faut persévérer. Les clients apprécient les produits artisanaux. La période des fêtes a très bien fonctionné pour moi. Je continue à croire en mon projet".

S’adapter et rebondir

Pour survivre, se développer ou se redynamiser, les petits commerces indépendants devront donc s’adapter à l’évolution des nouveaux modes de consommation. Cela passera notamment par une offre commerciale intégrant les nouvelles techniques de vente, de marketing et de communication. Mais aussi par une offre plus spécifique permettant de se démarquer de celle proposée sur internet. "L’évolution passe aussi par le développement des commerces de niche, de proximité et des circuits courts", commente Nadine Fraselle, échevine du commerce à Ottignies Louvain-la-Neuve. Les pouvoirs publics devront aussi continuer à soutenir les petits commerces. Notamment par rapport aux difficultés du loyer. Des politiques locales, provinciales et régionales qui devront aussi tenir compte de la taille des surfaces commerciales, du cadre de vie, de la mobilité, de l’accessibilité, de la sécurité, de la concurrence locale et transfrontalière. Le défi est énorme, mais c’est sans doute le prix à payer pour sauver le commerce des centres-villes, véritable pilier (avec l’Horeca) d’une ville agréable, vivante et animée.

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