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Doit-on s’inquiéter de variants plus virulents en provenance de Chine ? "La menace viendrait plutôt des Etats-Unis avec le variant Omicron XBB.1.5 encore plus transmissible"

Des passagers embarquent en plein épidémie de Covid sur un vol intérieur à l'aéroport international de Shanghai Pudong à Shanghai le 3 janvier 2023. HECTOR RETAMAL / AFP

© AFP or licensors

Une déferlante de cas de Covid, comme un air de déjà-vu. Depuis que la Chine a brusquement mis fin le 7 décembre aux mesures de sa politique dite du "zéro Covid", le pays affronte la plus forte vague de Covid au monde.

Cela suscite l'inquiétude. Au nom du principe de précaution, une douzaine de pays, dont la France, les Etats-Unis, l’Australie et le Canada, ont décidé d'imposer des tests PCR aux voyageurs en provenance de Chine. Le Maroc interdit purement et simplement l'entrée sur son territoire à tous les voyageurs en provenance de Chine, "quelle que soit leur nationalité".

La Chine condamne ces mesures imposées et annonce qu’elle pourrait prendre des "contre-mesures" en représailles. La crainte est de voir débarquer des milliers de malades et surtout d’importer un nouveau variant du Covid-19, plus virulent que les autres.

 

Ces inquiétudes sont-elles justifiées ?

"C’est normal qu’on soit préoccupé de voir une population d’un milliard 400 millions exposée au Covid", estime Antoine Flahault, épidémiologiste, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève. " Jusqu’à la levée des mesures zéro-covid, la population chinoise n’avait pas été exposée au virus, autant que dans le reste du monde où l’on a connu plusieurs vagues pandémiques. En Europe, nous en sommes à la neuvième !".

"Le principal motif d’inquiétude", ajoute l’épidémiologiste, "c’est la population chinoise elle-même, car elle est peu immunisée contre le virus, par immunité naturelle, et elle n’est pas bien vaccinée".

Données peu fiables, manque de transparence

Que sait-on réellement des taux de contamination et de décès en Chine ?

Rien de précis. Des images non officielles partagées sur les réseaux sociaux montrent cette déferlante. Du côté de Shanghai et ailleurs dans le pays, les hôpitaux et les crématoriums sont débordés par un afflux de patients et victimes du Covid. Pour la plupart des personnes âgées. Par endroits, on compte quatre fois plus de morts qu’en temps normal.

 

On sait qu’à Shanghai, la situation sanitaire est particulièrement critique. Depuis le mois dernier, environ 70% des habitants, soit quelque 18 millions de personnes, auraient contracté le virus, selon les médias officiels. Dans d'autres grandes villes comme Pékin, Tianjin (Nord), Chongqing (Sud-Ouest) et Canton (Sud), les autorités sanitaires estiment que le pic est déjà passé.

Difficile d’avoir une image complète de la situation nationale, tant les données sont parcellaires et peu fiables, par manque de transparence.

Du reste, Pékin l'a reconnu, depuis l'abandon le mois dernier des dépistages à grande échelle de la population par des tests PCR, quantifier les contagions sur son territoire est devenu "impossible".

 

Le Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) est désormais chargé de publier les chiffres quotidiens de cas et décès, mais les récentes modifications des critères pour attribuer les décès donnent des chiffres improbables. Pour "combler les lacunes" des statistiques, les autorités se fonderaient sur des sondages en ligne, les visites à l'hôpital, les demandes de médicaments contre la fièvre et les appels d'urgence.

De quoi susciter de sérieux doutes sur la fiabilité des données officielles et leur capacité à refléter la réalité.

Antoine Flahault, épidémiologiste, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève.
Antoine Flahault, épidémiologiste, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève. © Tous droits réservés

Prévisions pessimistes

D’autant que les projections de scientifiques indépendants sont pessimistes. Les chercheurs (de l'université de Hong Kong ou de la société britannique d'analyses médicales Airfinity) prédisent respectivement que de un à 1,7 millions de Chinois pourraient mourir du virus cet hiver.

Antoine Flahault est encore plus pessimiste : "On a transposé des chiffres observés à Hong-Kong, qui a connu une hécatombe, à l’ensemble de la population chinoise ! Or l’espérance de vie à Hong-Kong est une des plus élevée au monde. Les infrastructures sanitaires y sont bien plus développées. Ces chiffres sont malheureusement largement sous-estimés…"

Les sous-variants d’Omicron sont de plus en plus transmissibles

 

La cause de cette hécatombe sanitaire ? "Cette déferlante de cas de covid s’explique par le fait que les sous-variants d’Omicron sont de plus en plus transmissibles", explique Antoine Flahault,  "et passé un seuil de transmissibilité, on ne peut rien faire pour le bloquer. C’est ce qui s’est passé en Europe, avec les différentes vagues, malgré les taux de vaccination".

Le problème en Chine, c’est que les infrastructures sanitaires ne sont pas suffisantes. En un rien de temps, les hôpitaux se sont retrouvés submergés, les pharmacies ont été prises d'assaut, avec des pénuries de médicaments anti-fièvre. Les besoins en soins intensifs sont nettement supérieurs aux capacités actuelles en Chine.

 

Pour Thierry Kellner, spécialiste de la politique étrangère de la Chine à l’ULB, la gestion anti-covid des autorités chinoises est un échec. "Les autorités chinoises ont utilisé les succès au début de la pandémie, en 2020", analyse-t-il. "Leur politique de confinement stricte était à l’époque présentée comme une réussite. Mais le passage soudain de cette politique restrictive à une ouverture totale est un échec… Car cette ouverture s’est faite dans la précipitation, sans mener une réflexion de fond sur les conséquences, sans que le pays ne soit préparé sur le plan médical".

Et de préciser, "le pouvoir a été forcé de prendre ces mesures d’ouverture début décembre, pour calmer la population qui manifestait son mécontentement, et aussi pour des raisons économiques, l’objectif de la croissance étant une priorité. Quoi que cette nouvelle vague de Covid risque bien de porter un coup à l’économie chinoise et même mondiale !".

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L’autre problème, c’est la faible couverture vaccinale auprès des personnes âgées.

Les autorités chinoises affirment que plus de 90% de la population a été complètement vaccinée. En revanche, moins de la moitié des personnes âgées de 80 ans et plus ont reçu trois doses de vaccin (Cf. Histogramme).

En réalité, la couverture vaccinale à l'échelle de la Chine reste inconnue. Mais pour Antoine Flahault, c’est certain : "il n’y a pas assez de personnes de plus de 60 ans qui ont reçu les 3 doses qui les protègeraient contre les formes graves du virus".

 

Des doutes subsistent aussi quant à l'efficacité des principaux vaccins utilisés en Chine - Sinovac et Sinopharm - contre Omicron, la souche la plus répandue. "Les données scientifiques ne permettent pas d’affirmer ou d’infirmer l’inefficacité de ces vaccins chinois", explique Antoine Flahault. "En revanche, des données montrent qu’avec 3 doses de vaccin chinois, on ne voit pas de différence avec les vaccins occidentaux".

Désormais, les autorités chinoisent exigent des services de santé qu'ils "renforcent la vaccination de l'ensemble de la population, en particulier des personnes âgées". Or, il faudra des mois pour que la population soit vaccinée en plus grand nombre.

 

Aujourd’hui, la Chine paye le prix de ces choix, des choix du Président Xi Jinping

Jusqu’à présent, Pékin refuse d'utiliser largement les vaccins occidentaux.

L'Union européenne vient de proposer des vaccins anti-COVID-19 gratuits à la Chine afin de l'aider à endiguer cette nouvelle vague. Une initiative qui s'inscrit dans le cadre des efforts déployés par la Commission européenne pour coordonner une réponse à l'échelle européenne.

Interrogée à ce sujet à Pékin, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Mao Ning a répondu que la couverture vaccinale et les capacités de traitement continuaient de progresser en Chine, avec un approvisionnement "adéquat".

"La Chine a construit un discours sur l’excellence du modèle chinois et son autonomie", analyse Thierry Kellner. "La production de vaccins anti-Covid représente une fierté nationale, d’où le refus d’en recevoir d’autres, produits par les occidentaux. Accepter ces vaccins reviendrait à reconnaitre une faiblesse. Aujourd’hui, la Chine paye le prix de ces choix, des choix du Président Xi Jinping".

Sans doute que les autorités chinoises croisent les doigts pour que le variant Omicron ne soit pas remplacé dans les prochaines semaines, par un autre plus virulent.

Thierry Kellner, spécialiste de la politique étrangère de la Chine à l’ULB.
Thierry Kellner, spécialiste de la politique étrangère de la Chine à l’ULB. © Tous droits réservés

Un nouveaux variant plus virulent ?

Face à ce fiasco sanitaire en Chine, de nombreux pays s'inquiètent de possibles nouveaux variants encore plus virulents qu’Omicron et Delta. A tel point que certains jugent nécessaire d’imposer des tests aux voyageurs venant de Chine.

Un comité d'experts sanitaires des 27 membres de l’UE s’est prononcé en faveur de tests Covid systématiques pour les voyageurs en provenance de Chine, avant leur départ pour l'Europe. D’autres mesures ont été proposées comme imposer le port du masque aux passagers venant de Chine, des tests avec séquençage génomique des eaux usées dans les avions, y compris dans les aéroports d'arrivée, dans le but d'identifier éventuellement de nouveaux variants.

 

La réunion de l'IPCR (dispositif européen pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise) devrait aboutir ce mercredi à des recommandations qui devront ensuite être avalisées par les Etats membres. L’objectif étant de préparer une réponse coordonnée à travers l’Union européenne, pour plus d’efficacité.

Antoine Flahault approuve ces mesures face à une Chine opaque : "Il faut rester très vigilant, il faut être très informé", insiste-t-il.

A ce stade, seul le variant Omicron - bien répandu en Europe – circule en Chine. Aucune nouvelle souche du Covid-19 n'a été détectée. Les sous-lignages du variant Omicron BA.5.2 et BF.7 restent dominants à Pékin.

La menace viendrait des Etats-Unis avec le variant Omicron XBB.1.5

En revanche, pour Antoine Flahault, c’est la circulation depuis octobre du variant Omicron XBB.1.5, né d'une fusion de deux sous-variants d'omicron, qui pourrait inquiéter : "La grande menace pour la prochaine vague de Covid - la dixième - en Europe de l’ouest ne viendra probablement pas de Chine mais plutôt des Etats-Unis", prévient l’épidémiologiste. "Ce variant n’est pas plus inquiétant que les autres, mais il est extrêmement transmissible. Il réagit bien aux vaccins pour protéger des formes graves. Malheureusement la couverture aux Etats-Unis n’est pas optimale".

Et de préciser : "En Europe, nous n’avons pas les mêmes craintes, même si ces vagues sont toujours à l’origine d’un surcroit d’hospitalisations, en particulier chez les plus de 60 ans qui n’ont pas reçu un rappel de vaccin les six derniers mois".

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