Ce constat de dépendance pourrait faire bouger les lignes du vieux débat sur le développement d’une défense européenne. Le Président français, Emmanuel Macron, a ainsi répété le WE dernier son plaidoyer pour le développement de "l’autonomie stratégique" de l’Europe, position partagée par le Président du Conseil européen Charles Michel.
Et cette semaine Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’Union a plaidé pour que les 27 Etats développent une "force de première entrée" de 5000 militaires, mobilisable rapidement et facilement, pour intervenir dans l’urgence sous bannière européenne. L’idée a été débattue en réunion des ministres de la défense européens, jeudi.
Mais cette démonstration de faiblesse en Afghanistan suffira-t-elle à faire avancer l’idée ? Les obstacles à sa mise en pratique sont nombreux.
▼Une compétence nationale et l’insurmontable unanimité
Aujourd’hui, il existe déjà une possibilité de mobiliser des troupes sous bannière de l’UE : les Etats européens peuvent décider de déployer ensemble ce qui s’appelle un "groupement tactique", 1500 militaires et leurs équipements. Ce mécanisme est pleinement opérationnel depuis janvier 2007, mais il n’a jamais été activé. Et pour cause.
La décision de mobiliser des troupes est, et restera, une compétence nationale, régalienne, chère aux Etats. Ce sont eux qui, en prenant la délicate décision d’envoyer leurs troupes quelque part, de les exposer au danger, en endossent aussi la responsabilité.
►►► À lire aussi : Talibans au pouvoir en Afghanistan : l’Union européenne restera à Kaboul "si les conditions de sécurité le permettent"
Une intervention militaire même commune doit donc être approuvée par chacun des 27 Etats, selon sa législation. Pour ne citer qu’un frein, de taille, à la nécessaire vitesse de réaction, prenons le cas de l’Allemagne : légalement, il ne peut pas y avoir d’intervention de l’armée allemande sans l’accord explicite du Bundestag, le parlement. Comment dès lors imaginer intervenir en quelques heures ?
Mais la lourdeur du processus n’est pas le seul obstacle. L’unanimité est très difficile à trouver à 27 sur une opération militaire.
▼Pas de "culture de la défense" commune
Il n’y a pas, entre les 27 Etats de l’Union, de "culture de la défense" commune.
A quoi sert une armée ? Qu’est-ce qui peut justifier une intervention militaire à l’étranger ? Qu’est-ce qui constitue une menace à laquelle réagir ? De qui faut-il se méfier ? Avec qui faut-il éviter des frictions ? Les histoires particulières des 27 Etats induisent des réponses distinctes.
C’est l’observation d’Alexander Mattelaer professeur d’études européennes de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et collaborateur à l’institut Egmont des relations internationales à Bruxelles.
"Les Etats membres ont des idées très différentes de la fonction de leurs armées et des priorités" explique Alexander Mattelaer. "Prenons l’exemple de la Pologne : elle s’inquiète évidemment de la possibilité de se retrouver dans un conflit miliaire face à la Russie. En revanche, des pays comme l’Italie ou l’Espagne sont bien plus préoccupés par leur voisinage du sud, de l’autre côté de la Méditerranée. Et puis il y a des Etats neutres, attachés à cette neutralité, comme l’Irlande. Or sans convergence de vue sur ce que doit être la fonction de la défense, il est très difficile d’aller plus loin dans l’intégration."
▼L’attachement à l’OTAN et à l’allié américain
Les Etats européens sont en outre membres de l’OTAN. Les Etats de l’est de l’Union, anciennement communistes, sont déterminés à éviter tout ce qui pourrait mener à affaiblir ces boucliers face à la Russie que sont l’Otan et une relation transatlantique étroite avec les Etats-Unis.
Ils ne souhaitent pas que l’Union cherche à développer son "autonomie stratégique", dont davantage d’indépendance vie à vis de l’allié américain en matière de défense.
Autant de divergences qui rendent une unanimité assez inaccessible, a fortiori dans les délais serrés d’une crise. Quant à renoncer à l’unanimité et opter plutôt pour un vote à la majorité ? L’idée était formulée cette semaine en début de réunion des 27 ministres de la défense par le ministre Slovène Matej Tonin qui présidait la tablée. Mais elle ne fait pas l’unanimité non plus.
"Si on décide de l’engagement militaire par vote majoritaire, si on envoie des troupes européennes sans le consentement de certains Etats, alors le contrôle parlementaire pourtant obligatoire dans certains pays pourrait être contourné et c’est une difficulté" commente Alexander Mattelaer. "Pour ces décisions sur ces interventions militaires, je serais vraiment surpris que les Etats abandonnent l’unanimité."
▼L’obstacle des moyens
Au-delà de la question de l’unanimité, celle des moyens à mobiliser est aussi une sérieuse pierre d’achoppement.
Quels seraient les moyens, en équipements, en personnel, en capacité de renseignement, à mettre à disposition de cette "force de première entrée"? Les moyens doivent être fournis par les Etats membres. Or ils disposent aujourd’hui de capacités très inégales et souvent insuffisantes parce que, commente Marc Mattelaer, de nombreux états de l’Union ont fait le choix politique d’investir moins dans la défense, depuis des années.
"Pendant de longues années, les Etats membres de l’Union ont négligé leur défense nationale. Chez nous, en Belgique, nous sommes très loin dans ce processus d’érosion de notre puissance militaire nationale."
►►► À lire aussi : Après l'Afghanistan, l'UE relance son projet de force militaire européenne
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell annonce un plan stratégique pour la mi-novembre, baptisé "boussole stratégique", un cap en matière de sécurité et de défense qui pourrait définir des propositions concrètes pour une force de réaction militaire européenne rapide.
Mais les réticences politiques tenaces, les obstacles matériels et la lourdeur de ce processus décisionnel à 27 en matière de défense rendent sceptique.