Guerre en Ukraine

Discours de Nouvel an de Vladimir Poutine : « Un discours de plus en plus orwellien qui met en scène une réalité parallèle »

Le président russe Vladimir Poutine a donné un discours de nouvel an, en pleine offensive en Ukraine et en pleine crise avec les Occidentaux. Un discours très court.

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Le président russe Vladimir Poutine a donné un discours de nouvel an, en pleine offensive en Ukraine et en pleine crise avec les Occidentaux. Un discours très court. "Dans ces vœux, on retrouve le narratif du Kremlin utilisé depuis le début de l’offensive en Ukraine", analyse Aude Merlin, professeur à l’ULB, spécialiste de la Russie. "Il s’agit de se présenter dans le camp du bien, dans le camp de la défense légitime, rappeler les fondements des valeurs traditionnelles…".

Alors qu’il s’exprimait aux côtés de militaires ayant combattu en Ukraine, Vladimir Poutine a évoqué une année écoulée forte "d’événements décisifs et importants" qui "jettent les bases de notre véritable indépendance". "C’est pour cela que nous nous battons aujourd’hui", a-t-il ajouté, "en protégeant notre peuple dans nos propres territoires historiques, dans les nouvelles entités constitutives de la Russie".

Après avoir lancé une offensive militaire contre l’Ukraine en février, la Russie a revendiqué en septembre l’annexion de quatre territoires ukrainiens qu’elle contrôle au moins partiellement, sur le schéma de celle de la péninsule de Crimée en mars 2014.

"C’est un discours qui s’inscrit dans le sillage des discours successifs depuis le 24 février, qui se durcit dans la construction d’une réalité parallèle", note Aude Merlin, "ce discours affirme que la Russie défendrait sa propre indépendance et libérerait l’Ukraine, tandis que l’occupant serait l’occident".

Le ton fait écho à celui qui est renforcé au niveau législatif. Cette année, les autorités russes ont adopté plusieurs lois afin de lutter contre toute "menace perçue" au niveau national contre "l’intervention" lancée il y a près de dix mois en Ukraine.

Désormais, dans les écoles et les administrations, il faut présenter une carte géographique qui inclut les nouveaux territoires annexés, comme s’ils appartenaient constitutionnellement à la Fédération de Russie, au risque d’être puni par la loi. "C’est un discours qui fait de plus en plus penser au discours orwellien, qui met en scène une réalité parallèle", souligne Aude Merlin.

Vladimir Poutine se positionne comme une victime de l’occident collectif

Vladimir Poutine a par ailleurs adopté une position victimaire, fustigeant "une véritable guerre des sanctions" déclarée contre la Russie par les Occidentaux. "Ceux qui l’ont lancé s’attendaient à la destruction totale de notre industrie, de nos finances et de nos transports. Cela ne s’est pas produit", a-t-il ajouté.

Le Président Russe a accusé Américains et Européens "d’utiliser cyniquement l’Ukraine et son peuple pour affaiblir et diviser la Russie". "L’Occident mentait sur la paix et se préparait à l’agression", a-t-il ajouté. "Ensemble, nous surmonterons toutes les difficultés et garderons notre pays grand et indépendant. Nous irons de l’avant et l’emporterons, pour le bien de nos familles et pour le bien de la Russie", a-t-il conclu.

"Vladimir Poutine positionne la Russie comme une victime de l’Occident collectif", analyse encore Aude Merlin. Ce qui fait écho "aux trois vecteurs de justification de l’invasion en Ukraine : 1. démilitariser l’Ukraine, 2. dénazifier l’Ukraine, et 3. mettre fin à ce qu’il considère comme un génocide contre la population russophone du Donbass, à l’Est de l’Ukraine. Or les ONG sérieuses qui ont travaillé sur la question ont conclu qu’il n’y a jamais eu de logique génocidaire dans le Donbass entre avril 2014 et le 24 février 2022 "

Rien sur les Russes morts au front, rien sur les préoccupations des concitoyens

Un discours triomphant. Vladimir Poutine n’a pas abordé les questions socio-économiques, ni les préoccupations quotidiennes des Russes. "C’est surréaliste pour les concitoyens Russes !", souligne Aude Merlin. "Vladimir Poutine affirme que l’économie russe est résiliente. Or on commence à voir l’impact de cette invasion sur l’économie russe. Les économistes prédisent une récession et l’industrie militaire est fortement touchée. Mais en premier lieu, Vladimir Poutine aurait dû au moins reconnaître que des dizaines de milliers de Russes ont été tués au front !". Pas question d’adopter un discours de défaite.

Vladimir Poutine a par ailleurs affirmé que la "justesse morale et historique" était "du côté" de la Russie. Le Président russe se pose comme un défenseur de valeurs conservatrices, dénonçant sans cesse le déclin moral de l’Occident, du fait, en particularité, de l’acceptation des communautés LGBT.

"C’est une constante depuis le retour en 2012 de Vladimir Poutine à la présidence", souligne Aude Merlin. "Les premières lois, notamment celle sur la pénalisation de la propagande sur les minorités sexuelles non traditionnelles vis-à-vis des mineurs ont alors été adoptées. La Constitution a ensuite été amendée en 2020, la présence de Dieu a été ajoutée dans le texte. La question des valeurs morales traditionnelles fait partie du logiciel du Kremlin depuis 2012, mais on assiste à une amplification de ce discours s’appuyant sur ce socle idéationnel, pour tenter de justifier ces aventures militaires".

Dans un message de condoléances au pape François, diffusé par le Kremlin avant son discours, Vladimir Poutine a salué la mémoire de l’ancien pape, Benoît XVI, saluant un "défenseur des valeurs traditionnelles chrétiennes", dont le président russe se veut également l’apôtre.

Pas de carte de vœux pour Biden, Macron et Scholz

En cette fin d’année, le Kremlin a prévenu que Vladimir Poutine n’adresserait pas de vœux de bonne année aux présidents américain et français, Joe Biden et Emmanuel Macron, ni au chancelier allemand Olaf Scholz.

À l’inverse, selon le Kremlin, le Président Russe a déjà envoyé des vœux de bonne année 2023 à plusieurs dirigeants plus proches du Kremlin. Selon une liste publiée vendredi par la présidence russe, Vladimir Poutine a félicité notamment les présidents chinois Xi Jinping, turc Recep Tayyip Erdogan, syrien Bachar al-Assad, vénézuélien Nicolas Maduro, ainsi que le Premier ministre indien Narendra Modi.

Il a également envoyé des vœux à deux anciens dirigeants occidentaux, l’Italien Silvio Berlusconi et l’Allemand Gerhard Schröder.

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