La passion selon...

Diabolus in Musica, la légende de cet intervalle qui permettrait d’invoquer le diable

"Le rêve de Tartini", gravure d’après la peinture de Jules Boilly

© Photo12 / Universal Images Group via Getty Images

Le diable se cache dans les détails dit l’adage, mais se cacherait-il aussi dans la musique ? Dans sa chronique La passion selon, la soprano Céline Scheen nous parle d’une légende selon laquelle il existerait un accord musique capable d’invoquer le diable.

La musique est puissante dans nos vies. Elle peut affecter nos humeurs, nos états en un instant, nous euphoriser, nous émouvoir, nous remonter le moral ou nous reconnecter à des souvenirs très précis en un éclair. Son tissu même est source de pouvoir et d’intrigue.

Et ce pouvoir pouvait faire peur au Moyen Age. Ainsi, pendant des siècles, il existait un intervalle musical prohibé par l’église car il avait le pouvoir, disait-on, d’invoquer le démon.

Cet intervalle s’appelle le Triton et il est l’objet de tous les fantasmes. Intervalle énigmatique, le triton a fasciné les compositeurs pendant des siècles et a marqué de son emprunte l’histoire de la musique.

Du Moyen Âge au Heavy métal en passant par le classique, le jazz et le blues, il a été utilisé dans tous les styles à travers toutes les époques.

Mais pourquoi est-ce que ce Triton fascine autant ? Qu’a-t-il de si particulier ? D’où lui vient cette réputation d’intervalle du diable ?

La légende commence au Moyen Âge

L’histoire de ce Diabolus in Musica commence au Moyen Âge. A cette période, la théorie musicale commence doucement à se structurer. Fatigué de voir des moines se transmettre les chants liturgiques de bouche-à-oreille, le moine italien Guido D’Arrezo invente le système de portée et de nomination de notes.

Il est également à l’origine d’un système musical sophistiqué, le système hexagonal, qui fera longtemps référence dans le monde de la musique occidentale, et aboutira finalement à notre système musical actuel, le système tonal.

Il se trouve cependant que ce Monsieur D’Arrezo a consciemment évité d’intégrer le triton à son système. Il jugeait sa sonorité trop difficile. A l’époque, la musique liturgique régnait en maître et privilégiait les intervalles aux rapports de fréquence simple, les quartes et les quintes, plus douces à l’oreille.

Le Triton, tel le bossu de Notre-Dame, est donc écarté des règles harmoniques en vigueur. Il est évité par l’Église, et sa réputation d’intervalle interdit ne fait que s’accroître.

Le coup de grâce lui sera donné par Johann Fux, compositeur et théoricien reconnu, qui le qualifiera dans ses traités d’harmonie de " Diabolus in Musica".

Un intervalle qui engendre une tension chez l’auditeur

Le Diabolus in Musica ou encore Triton est le nom donné à la présence d’un intervalle de trois tons.

Cet intervalle de quarte augmentée engendre une tension pour l’auditeur, contrairement à une quarte juste qui permet un effet conclusif et apaisant, une résolution.

Si l’on scinde l’octave en deux parties égales, nous trouverons de part et d’autre un intervalle de Triton. Une quarte augmentée : Do- Fa #/ Fa#- Do

Cet effet d’intervalle déstabilisant et "désagréable" induit d’autant plus de tension que, contrairement à aujourd’hui, les instruments de l’époque n’étaient pas tempérés.

Selon la légende, l’intervalle en question était si intolérable pour les oreilles des membres du clergé qu’il fut immédiatement proscrit par l’Église. Et comme souvent, lorsqu’on interdit quelque chose, on le retrouve partout. Et c’est ce qu’il s’est passé avec l’intervalle Diabolus in Musica, on le retrouve chez Machaut, Gesualdo, Jean-Sébastien Bach et dans de nombreuses musiques médiévales.

Il faut savoir qu’en réalité, il n’existe aucune preuve écrite d’une interdiction formelle du Triton, et encore moins d’une punition ou malédiction.

Un intervalle évité pour sa complexité harmonique

Le Diabolus in Musica ne fut pas proscrit, mais évité, en raison de sa complexité harmonique, sans parler de la difficulté pour les chanteurs de chanter un triton correctement, alors que l’oreille musicale tend vers la résolution des harmonies pures de la quarte et la quinte.

Vous l’aurez compris, l’histoire du Triton est avant tout liée à sa sonorité. C’est à cause de sa sonorité si particulière qu’il a été écarté des règles harmoniques pendant des siècles et qu’il a obtenu cette réputation sulfureuse.

Mais à chaque revers sa médaille, c’est aussi grâce à sa sonorité que le Triton a tant fasciné à travers les siècles, et a inspiré autant de musiciens.

C’est un peu comme dans les films : plus la scène de tension est intense, plus la scène qui suivra, qui répondra à ces éléments de tension, sera marquante. Dans le cinéma ou la musique, la tension génère de l’attente pour une résolution, ce qui permet à la résolution d’avoir encore plus de poids, d’être encore plus percutante.

Alors faisons-nous l’avocat du diable ! Voyons ce que le bon peut offrir de mal… Mais rappelons-nous qu’avant d’être l’ange déchu, Lucifer était avant tout l’ange de la musique !

Et notez que "Diabolus in Musica" est également le nom que s’est donné un bel ensemble français de musique médiévale, un beau petit clin d’œil à la fameuse légende de l’intervalle du diable.

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