Durant la deuxième guerre mondiale, des soldats wallons, engagés aux côtés des Allemands ont commis un crime contre l’humanité. Ils ont massacré plus de 6000 femmes juives, détenues dans le camp de Stuthof, en Pologne. Un dossier de la justice allemande prouve leur participation. Ce sont les interrogations d’un fils de SS wallon, qui nous ont menés à la découverte de ce crime de la collaboration.
Tout commence par une émission sur la Première. Elle est consacrée à l’ouvrage "Papy était-il un nazi ?". Antoine en profite pour contacter la RTBF. Le sujet le touche profondément. Son père s’est engagé en 1941, dans la légion wallonne. Ils seront plusieurs milliers de Belges à se battre, comme lui, aux côtés des Allemands. Ils veulent s’attaquer au communisme. Leur chef est le plus connu d’entre eux, c’est Léon Degrelle, leader du parti d’extrême droite Rex.
Antoine se pose de nombreuses questions sur le passé de son père. Il est persuadé que son parcours militaire en Russie fait planer une ombre sinistre sur sa famille. Son père lui a confié, lorsqu’il avait 14 ans, son passé de collaborateur. "Je lui ai demandé comment il avait pu s’engager aux côtés des Allemands quand on sait ce qu’ils ont fait aux juifs. Mais il m’a toujours répondu qu’il n’en savait rien lorsqu’il se battait en Russie".
Le problème c’est que l’histoire de la famille d’Antoine s’est emballée de manière tragique. "Mon père s’est suicidé. Il s’est tiré une balle dans la tête, ce qui ressemblait un peu à une exécution. Cinq ans plus tard, mon frère s’est aussi suicidé. Il s’est gazé dans sa voiture. Et j’ai souvent fait le rapprochement avec ces camions, dont les nazis détournaient les gaz d’échappement, pour tuer les juifs qu’ils transportaient, au début de la Shoah. J’avais l’intuition que mon père ne m’avait peut-être pas tout dit. Qu’il avait peut-être des remords, et que cette culpabilité a imprégné la vie de ma famille en profondeur et de manière tragique."
Mais Antoine a des doutes. Quand il confie ses peurs à ses proches, certains lui disent qu’il va trop loin, que rien dans les ouvrages historiques consacrés à la légion wallonne ne permet de prouver que des Wallons ont commis des crimes de guerre ou contre l’humanité, même s’ils seront intégrés à la Wafen SS, les soldats les plus fanatiques d’Hitler, en 1943. Antoine a donc des doutes. Et il nous demande de les lever.
Le début de l’enquête
Pour répondre aux demandes d’Antoine, nous commençons par contacter les historiens belges, les plus pointus. Ceux qui ont le plus écrit sur la collaboration militaire sur le front de l’Est. Dans un premier temps, le message est toujours le même : "Tout laisse à penser, que les Wallons ont fait une guerre propre en Russie. Il n’y a aucun indice de crime de guerre ou contre l’humanité".
Nous contacterons d’autres historiens, français cette fois. Ils ne tiendront pas tout à fait le même discours, Jean Lopez notamment, l’auteur de "Mythes de la seconde guerre mondiale" avoue ne pas avoir d’information particulière concernant les Wallons sur le front de l’Est, mais ajoute "que considérer que des soldats se sont battus dans un pays, où il y a 20 millions de civils tués sans avoir rien vu, rien su, rien fait est impossible".
Cette déclaration nous encourage à poursuivre les investigations. Paradoxalement, alors que nous enquêtons sur des collaborateurs wallons, c’est de Flandre que viendra la première réponse. Frank Seberechts, un historien du Cegesoma, le centre d’étude des conflits, à Bruxelles, publie, début 2019, un ouvrage qui fait date. "Drang naar Oosten", la marche vers l’est, décrit par le détail les exactions commises par les collaborateurs flamands engagés dans l’armée allemande, sur le front de l’est. Il ne manque rien. Il évoque des massacres de civils, l’élimination de prisonniers de guerre ou encore la pendaison d’enfants soupçonnés d’être des résistants.
Mais il nous donne surtout un nom qui va prendre une importance considérable dans notre enquête : Palmnicken. C’est le nom d’une petite ville des bords de la mer Baltique, non loin de Kaliningrad. Aujourd’hui c’est en Russie. Mais à l’époque, c’était l’Allemagne, la Prusse Orientale. Kaliningrad s’appelait Königsberg. La zone sera annexée à la Russie après la deuxième guerre mondiale.
Le massacre de Palmnicken
En janvier 1945, les Russes avancent. Et les Allemands comprennent qu’ils ont perdu la guerre. Il faut donc faire disparaître les traces de leurs crimes, et notamment vider les camps de concentration de leurs détenus.
A Stuthof, en Pologne, 6000 femmes juives sont gardées par des soldats flamands. Ce ne sont pas des SS, mais des soldats de l’organisation Todt. C’est un service de génie civil chargé de bâtir aussi bien des routes que des bunkers ou des camps de concentration… Les chefs sont des Allemands, des SS. Les hommes viennent de différents pays : France, Russie, Belgique. Il y a plusieurs dizaines de gardes flamands.
Mais ce que Frank Seberechts, nous précisera aussi lorsque nous le rencontrerons, "c’est qu’il y a aussi des francophones, venus de Wallonie mais aussi de Bruxelles. Il n’y a vraiment pas que des Flamands… "
Fin janvier, les gardiens du camp de concentration reçoivent l’ordre d’éliminer les 6000 femmes juives qui y sont détenues. Ils partent, à pied, vers la ville de Königsberg, une centaine de kilomètres plus loin. Il fait extrêmement froid, 20 degrés sous zéro et les détenues sont peu vêtues. Elles meurent tout au long de la route, à petit feu. Une fois arrivé à Königsberg, le convoi bifurque vers la côte, vers le village de Palmnicken. Il est connu pour ses mines d’ambre, et les chefs du convoi envisagent d’y enfermer les survivantes et de tout faire sauter. Arrivées sur place, les autorités locales s’y opposent. Les cadavres risquent de polluer la nappe phréatique.
Les gardiens de ce sinistre convoi prennent donc une autre décision. Ils emmènent les détenues jusqu’à la plage. Et là ils les précipitent dans une mer froide, partiellement recouverte de glace.
Selon Frank Seberechts, "ils les mitraillent, ils leur lancent des grenades. Certains ne tireront pas, mais d’autres, en revanche, décrivent le plaisir qu’ils ont éprouvé à exécuter ces femmes, dans leurs écrits d’après-guerre. Leur haine n’a pas de limite."
Ce témoignage réoriente notre enquête. Pour la première fois nous avons des indices montrant que des Wallons ont participé à un massacre de masse. Ces collaborateurs wallons sont bel et bien allés au bout du cauchemar nazi.