Elles sont exposées au musée de la Médecine à Erasme depuis une dizaine d’années : deux momies de bébés précolombiens sont préservées dans une vitrine de la collection consacrée à la médecine des civilisations précédant l’arrivée des Européens sur le continent américain.
L’une est Inca, de l’empire qui s’étendait le long de la partie occidentale de l’Amérique du Sud du 13e siècle à la conquête des Espagnols en 1532. L’autre est Chancay, une civilisation qui s’est développée au nord de Lima au Pérou entre 1200 et 1470.
C’est à peu près tout ce que le musée de la Médecine savait de ces momies avant qu’une jeune étudiante en histoire de l’art et archéologie venue de l’ULB ne soit intriguée par ces bébés.
Des momies intrigantes
Anissa Ouzeroual, étudiante en dernière année, souhaitait consacrer son mémoire à des restes humains. Lors d’une visite au musée de la Médecine, elle découvre les momies : "Quand je les ai vues, je me suis dit, ce sont elles. J’ai trouvé que c’était impressionnant, j’avais envie de découvrir et de percer le mystère derrière ces deux bébés momies. D’en connaître plus sur leur vie et les communautés andines. C’est aussi leur permettre de retrouver une identité", nous explique-t-elle.
Rapidement, toute une équipe se met en place pour aider l’étudiante et tenter d’en savoir plus sur les momies. Il faut dire que de si petits enfants sont rares et de nombreux spécialistes sont à leur tour intrigués par leur histoire.
Nous ne pouvions pas prélever des échantillons d’os.
Grâce à ses professeurs, c’est d’abord à l’IRPA, l’Institut royal du patrimoine artistique, qu’Anissa Ouzeroual trouvera de l’aide. Le laboratoire carbone 14 l’aidera dans un premier temps à préciser l’époque à laquelle les bébés ont vécu.
"Nous ne pouvions pas prélever des échantillons d’os, précise Gaia Ligovitch, chimiste à l’IRPA. Alors nous avons opté pour la peau et les cheveux. Nous avons prélevé de petits échantillons qui ont été prétraités au laboratoire pendant trois à quatre jours avant d’être analysés au spectromètre de masse".
Les résultats tombent : la momie Inca date du 13e siècle, la momie Chancay du 16e. D’autres analyses permettent d’affirmer qu’il s’agit de deux petits garçons, que l’Inca était âgé de moins de trois mois et avait un régime alimentaire herbivore via le lait maternel de sa mère. Le bébé Chancay était lui âgé de trois à six mois et avait plutôt un régime alimentaire carnivore.
Mort naturelle ou sacrificielle ?
Mais ce qui intéresse surtout les scientifiques, c’est l’origine de la mort de ces bébés. Les morts naturelles étaient fréquentes chez les nourrissons, mais les Précolombiens pratiquaient aussi le sacrifice des nouveau-nés.
"Les Précolombiens pensaient qu’il y avait une vie dans l’au-delà, précise le professeur Thierry Appelboom, directeur du musée de la Médecine. Le sacrifice, c’était juste une mauvaise phase à passer et parfois on prenait des bébés avec l’accord de leurs parents. Ils étaient momifiés en offrande aux divinités pour obtenir une guérison ou pour se protéger d’une maladie".
Des ORL au musée
Dans la salle du musée où sont abritées les momies, un beau jour de mai, nous assistons à une opération unique. Deux ORL ont fait le trajet depuis l’hôpital Erasme juste à côté avec du matériel d’endoscopie : un outil permettant d’examiner les cavités du corps à l’aide d’une petite caméra.
Table d’examen, instruments, gants : tout l’attirail des médecins est déployé au cœur du musée pour inspecter les momies. "C’est une demande assez exceptionnelle de faire une endoscopie chez une jeune momie, ça sort vraiment de notre ordinaire", confie Sébastien Carlot, ORL à l’hôpital Erasme.