C’est un petit livre miraculeux que nous présente Sophie Creuz, "Deux femmes et un jardin" d’Anne Guglielmetti, qui paraît aux éditions Folio.
Ne vous fiez pas à la couverture, illustrée par une peinture sans âme comme l’intelligence artificielle pourrait en générer, alors que tout, dans ce texte, a la palette d’un peintre et n’est que vibration sensible et âme précisément. C’est de l’âme d’une maison dont il est question, une maison de poupée envahie par la végétation dont Mariette, une vieille dame hérite. Elle n’a aucune idée de qui la lui a laissée, mais cette bonbonnière en mauvais état, dans un hameau perdu, va mettre Mariette au monde. Elle n’a jamais rien possédé, depuis toute jeune elle a été louée comme bonne à tout faire, ici et là, à Paris. Elle ne possède rien, pas même la minuscule chambre de bonne sous les toits où elle a vécu toute sa vie. Alors cette maison, en pleine nature, est une bénédiction.
Il y a des lieux, qui sont comme des rencontres dans une vie…
Anne Guglielmetti décrit avec une merveilleuse sensualité et proximité, la manière dont Mariette va peu à peu faire sienne cette maison.
Au départ, elle commence par nettoyer, dépoussiérer, cirer, briquer ce qui demande à l’être. Elle ne se sent pas d’emblée chez elle, ni autorisée à se reposer. Et puis, petit à petit, elle va lever la tête et découvrir ce qu’il y a au-delà de la fenêtre, cet envahissement généreux du jardin, qui vit sa vie sans contraintes autres que celles des saisons. Elle admire cette liberté naturelle qui l’intimide et qu’elle ne peut nommer, faute de la connaître. C’est une citadine. Elle est arrivée dans ce lieu perdu au fond de la Normandie, en car puis à pied, à la fin de l’automne. Et quand le printemps arrive, le jardin se réveille à foison et révèle peu à peu ses surprises.
Et parmi ces surprises, une femme, une toute jeune fille, qui s’ennuie dans la maison de vacances de son père qui l’y traîne chaque congé. Et cette jeune fille va trouver chez Mariette, la taiseuse, la timide, un havre où se rendre utile d’abord, où partager le silence avec celle qui n’a jamais ouvert la bouche que pour répondre, quand sa patronne l’interpellait. Il y a quelque chose d’Un cœur simple de Flaubert dans le portrait de cette servitude invisible, qui ne s’est jamais rien autorisé qu’on ne lui ait d’abord permis. C’est donc le livre d’un apprivoisement et de la simplicité d’une relation, de la bonté d’une nature gorgée de beautés, de senteurs, d’un désordre libérateur, que Mariette découvre sur le tard et qu’elle va pouvoir nommer, avec l’aide d’une jeune fille. Seringa, châtaignier. Tout ici est don gratuit : des fruits du verger, aux menus cadeaux ou services rendus, jusqu’à ce lieu bienfaisant dans lequel Mariette s’est à peine glissée pour ne pas déranger.
Une écriture attentive et discrète
Anne Guglielmetti a une écriture attentive et discrète, tout en contraste, entre la frugalité de Mariette qui vit de peu, et la profusion d’une végétation qui se déploie sans contrainte. Ce qui est superbe, outre cette écriture trempée dans la sève, c’est la manière dont cette maison libère chez Mariette tout ce qui lui a toujours été refusé : le plaisir, la beauté, l’inutile, l’harmonie, le temps.
Et la jeune adolescente, elle aussi, va trouver dans ce havre de paix un lieu où se reposer de l’âpreté mécanique de son univers familial.
Ce donc 150 pages merveilleuses à lire au jardin ou dans un parc, sous un weigelia en fleurs ou une glycine odorante.