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Deux directeurs de Solvay inculpés en Italie pour catastrophe environnementale

L’usine chimique de Solvay à Spinetta Marengo est spécialisée dans la production de polymères spéciaux.

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Par Emmanuel Morimont

En septembre dernier, l’émission #Investigation de la RTBF révélait que des usines chimiques de Solvay aux États-Unis et en Italie avaient contaminé des populations riveraines à des substances toxiques connues sous le nom de PFAS.

En Italie, le parquet d’Alessandria vient de terminer son enquête préliminaire sur le pôle chimique de Solvay spécialisé dans la production de polymères spéciaux à Spinetta Marengo dans le Piémont. Il inculpe pour catastrophe environnementale coupable Stefano Bigini, directeur de l’usine entre 2008 et 2018 ainsi qu’Andrea Diotto, l’actuel directeur du site.

Ils auraient continué à polluer

Selon le quotidien Il Piccolo, le Ministère public accuse les deux dirigeants de ne pas avoir "assuré l’assainissement le plus efficace de la contamination passée du site et le confinement le plus sûr de la libération de contaminants à la fois dans la nappe phréatique en dessous de l’usine et en aval. Ils auraient alors continué à polluer le sol et les eaux souterraines où, depuis mars 2019, la surveillance de l’Arpa (L’agence de protection de l’environnement) aurait constaté la présence constante de polluants se référant aux productions de Solvay (nous parlons de Pfas…)."

Des polluants chimiques éternels dans le viseur

Les PFAS sont des polluants organiques persistants.
Les PFAS sont des polluants organiques persistants. © RTBF

Cette nouvelle inculpation semble mettre en lumière non seulement les manquements du passé mais aussi une pollution nouvelle dont Solvay serait responsable bien après la reprise du site en 2002. Et les PFAS sont clairement pointés du doigt par le Procureur de la République, Enrico Cieri.

Les PFAS (de l’anglais per- and polyfluroalkyl substances) sont des molécules tellement stables qu’on les surnomme les "produits chimiques éternels". Ces composés résistent aux très hautes températures. Ils peuvent repousser l’eau, les graisses… On les utilise dans les revêtements antiadhésifs des poêles (Téflon), les vêtements imperméables et les voitures. Elles s’accumulent dans les êtres vivants et leur durée de vie dans l’environnement peut aller jusqu’à plusieurs centaines d’années. Leur toxicité est de plus en plus documentée. Certaines sont des perturbateurs endocriniens et des cancérogènes suspectés.

En mars 2022, l’émission #Investigation avec l’aide de scientifiques du CHU de Liège et de l’ULiège avait analysé le sang d’un échantillon de la population de Spinetta Marengo. Ce test d’orientation avait montré que les habitants testés vivant à proximité de l’usine de Solvay de Spinetta Marengo étaient 5 fois plus exposés au PFOA, un des PFAS les plus toxiques, que d’autres citoyens vivant à plusieurs kilomètres de là. Les personnes les plus exposées étaient même jusqu’à 10 fois plus contaminées au PFOA. Une contamination jugée trop importante par les scientifiques car 55% de l’échantillon dépassait le seuil d’alarme fixé par l’Allemagne, un des rares pays à avoir recommandé des normes.

Dans 100% des échantillons sanguins, on retrouvait aussi de l’ADV, un PFAS de remplacement utilisé et produit par l’usine de Spinetta Marengo jusqu’en 2022. Ce PFAS de substitution est également suspecté d’être aussi toxique et persistant que les anciens.

Une barrière hydraulique inefficace

Le rejet des eaux usées industrielles de l’usine de Solvay à Spinetta Marengo dans la rivière Bormida.
Le rejet des eaux usées industrielles de l’usine de Solvay à Spinetta Marengo dans la rivière Bormida. © RTBF

Dans les conclusions de son enquête préliminaire, le parquet met en évidence la fragilité de la barrière hydraulique installée pour contenir la pollution. Elle semble inefficace depuis 2014. Les autorités de contrôle, l’ARPA, ont retrouvé non seulement du PFOA mais aussi de l’ADV et du C6O4 (un autre PFAS de substitution) en dehors du périmètre de l’usine. Cette nouvelle procédure en justice ne concerne donc plus seulement la pollution historique dont Solvay avait hérité en rachetant le site en 2002 mais aussi une contamination plus récente.

Pour rappel, le géant belge de la chimie avait déjà été condamné en 2019. Un procès qui avait duré 11 ans mais qui concernait une pollution ancienne. En réalité, 800.000 m³ de substances toxiques (chrome hexavalent, arsenic, DDT…) étaient enfouis dans le sous-sol de l’usine. Des poisons enterrés par d’anciens gestionnaires avant l’arrivée de Solvay en 2002.

La Cour de cassation avait pointé la négligence de Solvay dans l’assainissement et la gestion de cette pollution ancienne. L’entreprise sera finalement condamnée à payer plus de 420.000€ de dommages et intérêts aux parties civiles.

Solvay avait commenté il y a quelques mois cette décision de justice dans un mail envoyé à notre rédaction : " Bien qu’elle ne soit pas responsable de la pollution passée, Solvay a pris des mesures correctives importantes pendant de nombreuses années […] Solvay a investi plus de 280 M€ dans la remédiation de la pollution historique du site, l’amélioration de sa sécurité et de son empreinte environnementale, ainsi que pour sa modernisation. "

Un cas d’omissions coupables

La saga judiciaire ne semble donc pas terminée. La responsabilité de l’entreprise est une nouvelle fois mise en cause. Le parquet parle d’un "cas d’omissions coupables". La société aurait agi de la sorte "au profit et dans l’intérêt de l’entité afin d’économiser les coûts de nettoyage et d’augmenter l’efficacité de la production industrielle."

Des riverains réclament la fermeture de l’usine

Manifestation du Comitato Stop Solvay dans la ville d’Alessandria le 15 octobre 2022.
Manifestation du Comitato Stop Solvay dans la ville d’Alessandria le 15 octobre 2022. © Tous droits réservés

Solvay a pris acte de la décision du parquet de renvoyer l’affaire devant un juge. Par le biais de sa responsable de communication, Nathalie Van Ypersele, l’entreprise tient à préciser que "les accusations ont été rejetées pour 6 des 8 employés incriminés et que la charge provisoire a été réduite. En particulier, elles ne concernent pas la santé publique et mettent en évidence une responsabilité non intentionnelle. Solvay confirme sa confiance dans la justice, qui pourra faire toute la lumière sur les actions correctes de Solvay et de ses dirigeants. Solvay est confiante que tous ses dirigeants ont toujours agi de manière équitable et dans le respect des réglementations environnementales."

une concentration étendue et manifeste de PFAS

Plus de 50 personnes se sont constituées parties civiles dans ce procès bis. La santé publique semble néanmoins en jeu puisque le Ministère public note : "une concentration étendue et manifeste de PFAS (substances typiquement produites par l'usine de Spinetta Marengo, y compris les composants ADV, cC6O4 et PFOA, de toxicité avérée pour l'environnement et l'homme, dont la présence dans l'eau des puits AMAG de Montecastello avait conduit à son exclusion des conduites d'eau destinées à la consommation humaine depuis juin 2020)". Les PFAS, à certains endroits, semblent donc avoir contaminé l'eau potable de certains habitants.

Parallèlement à la justice, les autorités sanitaires (ASL) ont promis la tenue d’un biomonitoring sur un échantillon beaucoup plus large de la population de Spinetta Marengo. Il devrait commencer au printemps 2023 et permettra d’évaluer avec plus de précision les risques réels auxquels la population est exposée. Le biomonitoring complétera une étude épidémiologique de 2019 qui avait démontré que les habitants de Spinetta faisaient face à une augmentation du risque de développer différents types de maladie dont une tumeur au foie (30%), un cancer du rein (76%), de l’hypertension (8%), des maladies respiratoires (47%) ou encore des troubles neurologiques chez les enfants (86%)…

La diffusion des rapports d’analyses sanguines commandés par l’équipe d’#investigation avait entraîné une vague d’actions du Comitato Stop Solvay qui avait organisé une manifestation le 15 octobre dernier dans les rues d’Alessandria. Il réclame la fermeture de l’usine et un assainissement immédiat du site.

Précisons enfin que la justice n'a encore tiré aucune conclusion. L'affaire sera renvoyée devant un juge de fond dans les prochains mois. 


Revoir l'entièreté de l'enquête #Investigation : "Solvay, la pollution invisible"

#Investigation

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