Bart De Wever s’arrangeait avec Theo Francken pour organiser des « razzias » à Anvers. C’est ce que montre une enquête publiée dans le Vif/l’Express aujourd’hui et ce qu’illustre l’extrait sonore que nous diffusons.
Lors d’une réunion en interne en 2016, du côté d’Anvers, à Hoboken, le président de la N-VA va tenir un discours pour le peu étonnant devant quelque 120 militants. « Nous pouvons éviter la frustration des services de police qui arrêtent des dealers de drogues, mais qui doivent les relâcher, car il n’y a pas assez de capacité. »
Il annonce donc, à cette réunion, que Theo Francken a l’intention de construire un nouveau centre fermé pour les criminels en situation anversoise. Pour augmenter les capacités de détention, celui qui est encore secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration veut racheter des containers inutilisés, qui faisaient office de prison, aux autorités néerlandaises.
Bart De Wever fait encore un pas plus loin dans son discours, insistant sur l’avantage que Theo Francken occupe cette fonction au sein du gouvernement fédéral. « Il n’y a pas assez de capacité. Ne le criez pas sur tous les toits, mais ça va si loin que, quand nous planifions des interventions, nous devons réserver des places. C’est l’avantage d’avoir un secrétaire d’État comme ami. Quand nous allons par exemple faire une razzia dans le quartier rouge (le quartier des prostituées à Anvers), nous lui demandons : combien de places avez-vous pour nous ? Combien pouvez-vous en éjecter ? Vers quel pays volent les prochains avions ? » La salle rigole alors que Bart De Wever affirme avoir un arrangement avec Theo Francken pour savoir combien de personnes il peut arrêter pour les renvoyer.
Mais le président de la N-VA et bourgmestre d’Anvers ne s’arrête pas là. « Vous pouvez rire, mais c’est vraiment comme ça ! Alors, vous continuez jusqu’à ce que la prison soit remplie. Et de préférence, les nationalités prévues pour Air Francken. Si tu peux remplir l’avion, ce serait fou de ne pas le faire ! »
Alors, cela signifie-t-il que la police anversoise avait reçu ordre de mener des actions visant certaines nationalités en particulier ? Ces affirmations montrent que le bourgmestre d’Anvers se servait de la présence de ses ministres N-VA au fédéral pour servir les intérêts de sa propre commune.
« Fier du travail mené avec Theo Francken »
Aujourd’hui, le président de la N-VA, Bart De Wever réagit et ne nie pas sa collaboration avec le secrétaire d'Etat à l'Asile et la Migration de l'époque. « Apparemment, cela choque tout le monde que nous menions une politique efficace d'expulsion des criminels en situation illégale » a-t-il déclaré à Belga. Avant d'ajouter : « Je suis particulièrement fier du travail que j'ai pu mener alors avec Theo Francken. » Il affirme que l’expulsion de criminels en situation illégale constitue une priorité de son parti. Selon lui, « plus de 6.250 criminels illégaux ont été renvoyés. Un record absolu. »
En septembre 2017, des « rafles » et des « quotas » d’arrestations de migrants au parc Maximilien sont évoqués dans différents médias francophones. Jan Jambon, à l’époque encore ministre de l’Intérieur, balayera cela d’un revers de la main. Dans le discours de Bart De Wever devant ses militants, il utilise pourtant bien le mot « razzia ».
Un travail de longue haleine
Ces informations, parues dans le Vif, sont le fruit du travail du journaliste Aubry Touriel. Un travail de longue haleine. Il a assisté aux réunions de la N-VA à Anvers pendant trois ans (de décembre 2014 à fin 2017). Pour accéder à sa première réunion, ce journaliste a dû prendre sa carte de parti puisque la presse y était interdite.
Ce qui a frappé ce journaliste, c’est le double discours de la N-VA. Mis à part cette citation, les propos tenus en interne sont plus « doux » que les tweets de Theo Francken. Mais Aubry Touriel précise qu’il ne sait pas si le discours a changé avec la campagne puisque son immersion s’est arrêtée en décembre 2017.
Charles Michel ne réagit pas directement aux propos de Bart De Wever dont il affirme ne pas avoir connaissance au moment de l’interview que nous avons réalisée. Mais il précise qu’il a « défendu une ligne stricte en matière de migration. C’est-à-dire être ferme dans l’application des règles de l’Etat de droit, ne pas permettre qu’il y ait un Calais bis qui puisse se développer, dire qu’on a besoin de centres fermés pour mener une politique stricte mais en même temps humaine. »
Il revient ensuite sur le Pacte de l’ONU signé au mois de décembre et qui a mené à la démission des ministres N-VA. « J’ai fait le choix de mettre en avant les valeurs de la Belgique. Et il y a eu, à ce moment-là, une divergence de vue (avec la N-VA) sur ce pacte. Donc la ligne du MR, elle est très claire. »
Les réactions fusent
Kristof Calvo, le chef de groupe Ecolo-Groen à la chambre et tête de liste à Anvers, n'a pas tardé à réagir. Il considère que le langage de Bart De Wever est inapproprié et déshumanisant. Il se dit « très indigné et déçu. » L'écologiste flamand fait, tout de suite, un lien avec les élections de ce dimanche. « Il y a une forte crainte que l'on assiste à un dimanche noir (en référence aux bons sondages pour le Vlaams Belang), mais il y a aussi une préoccupation envers la N-VA elle-même ». Il considère que « Bart De Wever représentait un rempart contre le Vlaams Belang. Mais ils se ressemblent, maintenant, de plus en plus. »
Ecolo s'est également exprimé sur ce sujet et réclame que le MR exclue dorénavant toute alliance avec la N-VA. « Ces pratiques et cette dialectique nous rappellent les pages les plus sombres de notre histoire européenne et belge. Elles mettent en cause nos valeurs les plus fondamentales. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre Charles Michel doit les condamner sans ambiguïté », a affirmé le co-président d'Ecolo Jean-Marc Nollet, dans une réaction à Belga.
Le chef de groupe socialiste à la Chambre, Ahmed Laaouej a, lui aussi, réagi. Il qualifie cette vision politique d'« intolérable ». Il déclare que « la lutte contre la criminalité, qui est un objectif d'intérêt général, ne se fait pas en visant certaines nationalités ou origines, en stigmatisant certaines parties de la population. »
Illégal pour la Ligue des Droits Humains
Pierre-Arnaud Perrouty, le directeur de la Ligue des Droits Humains, revient sur les soupçons de « rafles » au parc Maximilien dénoncées à l'époque par la Ligue. « Là, on a confirmation que, oui, la police procédait à des rafles sur base de quotas préétablis. Alors, fonctionner sur base d'un nombre de places disponibles en centre fermé, cela peut sembler, d'une certaine manière, être une bonne gestion. Mais, c'est surtout fonctionner à l'envers. Les forces de police sont censées contrôler des gens pour ce qu'ils ont fait ou sont suspectés d'avoir fait mais pas déterminer, à priori, combien de personnes on va trouver dans l'illégalité parce que par définition on ne le sait pas. » Pour ce qui est des nationalités, Pierre-Arnaud Perrouty considère que c'est clairement illégal. « C'est une discrimination sur base de la nationalité. Vous ne pouvez pas décider d'aller arrêter tel origine ethnique dans la rue ou telle nationalité en fonction des places que vous avez dans un avion. C'est strictement illégal » affirme-t-il.